Me Akere Muna : « Glencore devrait payer près de 900 milliards de dommages et intérêts à l’Etat »

L’éminent avocat et figure très influente de la société civile africaine engagé depuis des décennies dans la lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent, se réjouit de l’initiative des pouvoirs publics de porter le scandale impliquant le trader anglo-suisse des matières premières à la justice camerounaise. Il évalue en outre les conséquences des actions occultes du trader anglo-suisse au Cameroun.

La sentence est finalement tombée

Quel commentaire faites-vous de l’actualité récente concernant l’ouverture prochaine d’une enquête judiciaire au TCS contre les auteurs des transactions financières occultes avec Glencore dans le cadre de ses activités au Cameroun ?

Je reçois cette information comme tout le monde. S’il s’avère qu’elle est authentique -et je n’ai pas des raisons de croire qu’elle ne l’est pas-, c’est une très grande avancée. L’Etat lui-même se saisit de ce dossier. Je dois dire qu’il y avait déjà une enquête qui avait commencé au niveau de la police judiciaire, suite à une transmission de ma dénonciation par le Procureur du tribunal de grande instance de Yaoundé. Peut-être que cette nouvelle procédure ira plus rapidement, puisque ça sera une procédure diligentée à la demande de l’Etat, pas à la demande du citoyen que je suis. Ce qui m’intéresse le plus, et c’est ce qui intéresse également les Camerounais, qu’est-ce qu’on y gagne exactement ? C’est cela qui m’inquiète. On devait être plus concerné à savoir et à calculer ce qu’on va exiger de Glencore car, on n’est plus au stade de demander ce qu’il a fait. Il a fait, et il a avoué qu’il a fait. Il a pris un engagement auprès des autorités américaines, dans son accord de plaidoyer coupable, où il a dit en son article 12, qu’il s’engageait à donner toutes sortes d’informations requises aux autorités d’enquête étrangère. Donc, de ce côté, c’est une enquête qui ne devra pas prendre du temps. Je crois que l’essentiel, pour démontrer que nous avons dépassé l’étape de l’impunité dans notre pays, c’est de demander l’identité des gens qui ont perçu de l’argent, parce que Glencore a dit qu’il a donné de l’argent aux hauts commis de l’Etat de la SNH et de la Sonara. Alors, qui sont ces individus ? Je suis quand même surpris que Glencore fasse encore des affaires dans notre pays. Un fraudeur patenté qui a avoué, qu’est-ce qu’il fait encore chez-nous ? On dit souvent que la fraude corrompt tout. Je crois qu’on devait annuler tous ses contrats et le mettre à la porte.

Comment comprendre la posture de la SNH, du moins celle de son administrateur directeur général, qui manœuvre pour une procédure judiciaire en tant que partie civile, alors qu’il pourrait être lui-même éclaboussé ?

Je suis un peu surpris par la posture de SNH. La meilleure démarche pour elle aurait été de convoquer Glencore, et de leur dire, vous avez déclaré avoir corrompu des personnes dans notre société et à la Sonara. Ce que je vous demande de faire, c’est de me dire qui sont ces personnes, et si vous ne le faites pas, j’annule vos contrats, et on verra pour la suite. La SNH qui est en relation directe avec Glencore devait simplement menacer de rompre le contrat, et exiger les noms, et demander un arrangement ou exiger des dommages et intérêts. Je suis sûr qu’on a affaire à des dommages qui vont dépasser les 600 milliards voire les 800 ou 900 milliards de FCFA. Si on tient compte de la période (2007-2018) durant laquelle il a mené ces transactions occultes. Je suis très surpris qu’avec les problèmes financiers que nous sommes supposés avoir, on en soit à trainer le pas. J’avais également vu dans les documents de l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives) qu’à un moment donné, Glencore avait acheté le pétrole camerounais 30% en dessous du prix mondial. Comment il a pu faire ça ? Je le dis parce que lorsqu’on a demandé à Glencore pourquoi il a payé des pots-de-vin, il a dit que c’était pour obtenir des conditions commerciales avantageuses. Donc, la démarche de la SNH me surprend, quand elle a toutes les possibilités d’exiger de Glencore beaucoup d’argent.

Vous avez initié plusieurs actions auprès de quelques organismes nationaux de lutte contre la corruption et de l’enrichissement illicite pour dénoncer ces pratiques maffieuses. Quels résultats avez-vous obtenu de ces organismes ?

Sur le plan international, mon travail est dans la commission qui est présidée par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki (Groupe de haut niveau Union africaine (UA)/Commission économique pour l’Afrique (CEA) sur les flux financiers illicites, NDLR). Je suis membre de cette commission, et nous y travaillons pour trouver les voies et de moyens de lutte contre ce fléau. J’avais, depuis 20 ans, dit que je ne comprenais pas pourquoi les occidentaux traitaient les habitants du Sud de kleptocrates quand en fait, tout l’argent qui est détourné en Afrique est stocké dans les banques occidentales. Ces banques sont des receleuses. J’avais proposé qu’on mette sur pied un système de compte séquestre pour que, chaque fois que des sommes d’argent sont identifiées comme résultant de détournement de deniers, il faudrait que pendant que la procédure suit son cours, que cet argent soit logé dans un compte séquestre. Beaucoup d’occidentaux commencent à être très malins. Ils créent des comptes de consignation pour déclarer que l’argent est en lieu sûr, mais il s’agit des manœuvres pour garder l’argent de leur côté. De notre côté, on avait proposé pour l’Afrique, que la Banque africaine de développement (BAD) ait le compte de la personne qui gère ce compte séquestre, pour permettre de garder l’argent en Afrique. On s’est également intéressés aux problèmes fiscaux, avec des gens qui utilisent des paradis fiscaux pour garder de l’argent, ou qui créé des sociétés écrans pour faciliter leurs entreprises de corruption.

La CONAC a rendu public il y a quelques jours son rapport sur l’état de la lutte contre la corruption dans notre pays. Celui-ci révèle que la corruption a fait perdre à l’Etat 4,6 milliards de FCFA en 2022, soit environ 40 milliards de moins que le préjudice financier subi par le trésor public en 2021. Qu’est-ce que cela traduit selon-vous ?

Je pense que c’est un rapport de pure forme qui ne rime à rien. J’ai écrit à la Conac plusieurs dans le cadre du scandale de Glencore, ils n’ont même pas osé m’entendre. Donc, je ne sais pas sur quoi ils enquêtent. Leur rapport, je ne connais pas les bases, et je ne pense pas que les montants qu’ils avancent riment à quelque chose de réaliste. Les chiffres que j’ai par ailleurs, révèlent qu’en 20 ou 24 ans de détournement, le préjudice financier soit allé au-delà de 8000 milliards de FCFA, soit un peu plus de 360 milliards par an. Non seulement, notre dette publique se chiffre à plus de 12 000 milliards, et les détournements constituent près de 2/3 de ce montant-là. Quand on regarde les problèmes dénoncés (Covid-19, chantiers routiers, stades…), on s’interroge sur les méthodes de la Conac.

Pourrait-on mettre cette performance au crédit des organismes gouvernementaux de lutte contre corruption (ANIF, CONAC, CDBF, TCS…), ou cela dénote simplement d’une prise de conscience citoyenne des gérants de la chose publique ?

A partir du moment où je pense que les résultats que la Conac nous donne sont peu fiables par rapport à la montée de la corruption, je ne peux pas vraiment justifier ces variations selon la Conac. Tout ce que je sais, c’est que le Cameroun a été mis sur la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) parce qu’on n’a pas un cadre précis pour lutter contre le blanchissement d’argent, et la problématique du financement du terrorisme. D’où le décret signé récemment par le chef de l’Etat.

Quel commentaire faites-vous justement de ce décret justement, relatif à la création, à l’organisation et au fonctionnement du comité de coordination des politiques nationales de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive ?

 C’est un instrument qui vise à nous donner les bases pour nettoyer notre image vis-à-vis de GAFI, et de voir dans quelle mesure on peut sortir de cette liste. C’est dans la nature de notre gouvernement de bosser à réaction. Le fait qu’on soit sur la liste grise du GAFI va freiner certains investisseurs qui ne voudraient pas aller dans une économie où le blanchiment d’argent est monnaie courante. Quand Glencore prend des centaines de millions dans des valises qu’il fait entrer dans le pays par des jets privés, c’est des cas classiques de blanchiment d’argent. Depuis que ces faits ont été dénoncés devant les instances judiciaires de Londres et de New York, qui a réagi à propos ? J’ai modestement saisi la Direction générale des impôts qui a commencé les enquêtes, l’ANIF (Agence nationale d’investigation financière), et la Douane. Donc, on verra ce que ça va donner, avec ce cadre juridique qui a été mis sur pied. Vraiment, nos textes sont superbes, mais je ne sais pas s’ils sont utilisés. Il y a qu’à voir avec l’article 66 de notre Constitution concernant la déclaration des biens, on est à plus de deux décennies, et rien ne se passe ; la loi de 2018 sur la transparence évoque encore la déclaration des biens, mais jusque-là, rien ne se passe ; les conventions des Nations-Unies et de l’Union africaine contre la corruption, qui lutte contre l’enrichissement illicite, mais dans notre pays, on n’a pas encore de cadre pour cela. Donc, je pense que les actions et les discours, c’est bien, mais les actions concrètes, c’est nettement mieux.

- Publicité -

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.