Jean-Marc Châtaigner : « Nous voulons renforcer l’appui de l’Union Européenne aux PME et aux entrepreneurs du Cameroun»

Arrivé l’année dernière au Cameroun, le nouvel Ambassadeur de l'Union européenne veut impulser un nouvel élan aux relations Cameroun-Union Européenne, avec un accent sur la gouvernance, le développement économique soutenable et les défis climatiques. Il livre les grandes lignes de cette ambition dans cette interview.

Vous organisez la « Cameroon-EU Business Week », à l’occasion du salon PROMOTE. Quels sont les objectifs de cet évènement ?

Cet événement a pour vocation de promouvoir les opportunités commerciales et d’investissements dans votre pays. Il doit aussi permettre de favoriser un dialogue public-privé privilégié, autour des relations économiques entre le Cameroun et l’Union européenne et ses Etats membres. 

Organisée autour du thème « Saisir les Opportunités d’Investissement et Commerciales au Cameroun », cette rencontre permettra à tous les participants d’explorer les avantages stratégiques du Cameroun en tant que pôle d’investissement et des affaires dans la sous-région Afrique Centrale. Il représentera une opportunité unique pour échanger sur l’environnement des affaires et les investissements dans de nombreux secteurs d’avenir du Cameroun, tels que l’énergie, des infrastructures, du transport, du digital, de l’agro-business, de l’économie circulaire, l’industrie. 

La Cameroon – EU Business Week donnera aussi l’occasion de découvrir les possibilités de financement offertes par les institutions financières européennes qui sont souvent méconnues. Les entreprises européennes et camerounaises pourront échanger entre elles et chercher des partenariats. Elles pourront également mener des discussions stratégiques avec les membres du Gouvernement. Nous lancerons notamment à l’occasion de la « Business Week », ce qui pour moi reflète tout l’esprit de ce magnifique événement, une initiative européenne au bénéfice des jeunes entreprises en Afrique : la Team Europe Initiative – Investing in Young Businesses in Africa (en sigle TEI-IYBA). 

La « Cameroon-EU Business Week » aura enfin une vraie dimension internationale, avec notamment l’organisation le 21 février d’un atelier régional présentant les nouveaux instruments financiers de l’UE, avec les institutions financières de la sous-région et les banques de développement européennes. Cet atelier permettra d’informer les banques et le secteur privé des opportunités qui se présentent dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway. Ce « portail mondial » est en effet de mon point de vue un instrument très intéressant dont peuvent bénéficier le Cameroun et ses entreprises pour contribuer au financement de grandes infrastructures et avoir ainsi une action décisive pour agir sur les facteurs structurels de la croissance, comme le désenclavement ou l’approvisionnement en énergie.

La Cameroon – EU Business Week est l’occasion de découvrir les possibilités de financement offertes par les institutions financières européennes

Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur UE au Cameroun

Quelques mois après votre arrivée au Cameroun, comment appréciez-vous l’accueil et vos débuts?

Je suis absolument enthousiaste d’avoir été nommé ambassadeur de l’Union européenne au Cameroun, un pays fascinant qui tient une place cruciale dans la région. Je découvre son fabuleux patrimoine culturel, des compétences impressionnantes en ressources humaines, un potentiel énorme en termes de développement économique et social, comparable ou pouvant même dépasser les pays les plus dynamiques du continent… A la fin du mois de novembre, j’étais dans cette capitale économique active et vibrionnante qu’est Douala. J’ai également visité une bananeraie dans la région du Sud-Ouest, ainsi qu’une zone cacaoyère dans le centre du pays. Je reviens il y a quelques jours d’une mission à Maroua et dans l’Extrême-Nord. A chaque fois, je dois vous avouer que j’ai fait des rencontres passionnantes avec des leaders et des chefs d’entreprises inspirants et totalement engagés pour la réussite du Cameroun. Mes échanges avec les autorités administratives et traditionnelles, avec des acteurs politiques et des organisations de la société civile me renvoie l’image positive de votre pays. Une nation accueillante, courageuse et entreprenante.

Quels sont les axes prioritaires de la coopération telle que vous allez l’impulser ?

Notre action vise à appuyer les autorités camerounaises, dans le cadre des accords de partenariat qui nous régissent, pour débrider et libérer toutes les énergies créatrices que je viens d’évoquer. Nous intervenons en soutien aux Gouvernement sur trois axes que nous avons déterminés conjointement : la gouvernance, un développement économique soutenable et ce que nous appelons le « Pacte vert », qui vise à intégrer l’environnement comme un moteur d’une croissance verte et vertueuse. Ce sont des priorités communes pour lesquelles nous mettons en œuvre des programmes d’appui et un dialogue constant dans le respect des valeurs que nous partageons. L’essentiel pour moi est que nous puissions obtenir ensemble des résultats concrets et visibles pour la population. Au-delà de nos investissements en infrastructures, je souhaite inciter mon équipe à lancer des initiatives pour favoriser la création d’emplois décents, pour les jeunes et les femmes notamment. Le facteur humain est trop souvent sous-estimé dans les stratégies de développement. Cette action passe notamment par un renforcement de notre appui aux PME et aux entrepreneurs, en leur permettant d’accéder à des financements ou des garanties à taux compétitifs. Le défi n’est pas facile, car l’environnement bancaire est souvent peu favorable. Je souhaiterai notamment que nous puissions davantage travailler avec les banques camerounaises pour s’assurer que les financements que l’Union européenne met en place parviennent effectivement aux entreprises qui en ont besoin pour accroitre leurs capacités productives. Je m’y impliquerai, s’il le faut, personnellement, car il y a là, me disent tous les chefs d’entreprise que je rencontre, un véritable goulot d’étranglement pour le développement du secteur privé au Cameroun.

je souhaite inciter mon équipe à lancer des initiatives pour favoriser la création d’emplois décents, pour les jeunes et les femmes notamment.

Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur UE au Cameroun

Qu’apportent l’instrument financier ‘‘Global Europe’’ et la stratégie d’investissement ‘‘Global Gateway’’?

Le Global Gateway est l’initiative de l’Union européenne qui vise à développer un partenariat stratégique et d’égal à égal avec tous les pays dans le monde qui souhaitent investir massivement dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports et à renforcer leurs systèmes de santé, d’éducation et de recherche. Cette stratégie s’appuie notamment sur la capacité européenne à lever des financements beaucoup plus importants pour les programmes concernés. Le but étant la recherche systématique d’un effet de levier des subventions que nous apportons, le financement des études d’impact et l’accroissement de la concessionnalité des prêts apportés par nos Banques de Développement, comme la Banque Européenne d’Investissement (BEI).

En Afrique Centrale et pour le Cameroun en particulier, deux corridors stratégiques sont directement concernés par le Global Gateway. Il s’agit du corridor Libreville – Ndjamena et du corridor Douala/Kribi – Kampala. Au Cameroun, il existe d’ores et déjà plusieurs projets Global Gateway notamment la voie de contournement de Yaoundé, le Pont sur la Logone, que je viens de visiter, ou encore le BRT (Bus Rapid Transit) de Yaoundé. D’autres investissements sont en préparation et seront bientôt annoncés.

Au nombre de vos projets il y a le Dispositif d’appui à la compétitivité du Cameroun (DACC). Quelle en est la vocation, quels sont ses moyens, et quel bilan à ce jour ?

Le Dispositif d’appui à la compétitivité du Cameroun est actuellement le projet phare de l’Union européenne en matière d’appui au secteur privé et vise à améliorer la compétitivité des entreprises nationales. Il s’inscrit dans le cadre des mesures d’accompagnement à l’Accord de Partenariat Economique entre le Cameroun et l’Union européenne. Le programme a notamment soutenu les filières riz, farine de manioc, tomate, cuir. Il soutient l’écosystème des start-up notamment du secteur numérique et appuie l’innovation. Il propose des solutions pratiques pour améliorer l’accès au financement aux entreprises. En partenariat avec la Banque européenne d’investissement (BEI), des lignes de crédit subventionnées d’un montant de 25 millions d’euros en soutien au entreprises ont été mises en place avec deux banques commerciales camerounaises.

Le DACC arrive à la fin de mise en œuvre cette année et un prochain programme d’appui au secteur privé, au climat des investissements et aux chaines de valeur sera aussi lancé lors de la « Cameroon-EU Business Week ».

Vous avez récemment annoncé un soutien au projet de BRT (Bus Rapid Transit) de Yaoundé. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les modalités et montant de ce concours, ainsi que sur la consistance et les délais des travaux ?

Nous avons lancé au mois de janvier avec Mme Célestine Ketcha Courtes, Ministre de l’Habitat et du Développement Urbain, le projet Yaoundé MoVe. C’est une démarche conduite en lien étroit nos partenaires de la coopération allemande (GIZ) et de l’Agence Française de Développement (AFD). Nous apportons donc notre soutien aux autorités camerounaises sous un format que nous appelons Team Europe pour renforcer les synergies et démultiplier nos moyens. Le projet intègre d’une part la modernisation du centre-ville à travers la rénovation des voies et la création de couloirs verts et trottoirs réaménagés. Il s’agit de fluidifier le trafic et de permettre aux piétons de se déplacer plus facilement et plus agréablement. D’autre part, il consiste à préparer l’arrivée du Bus Rapid Transit (BRT) également appelé TransYaoundé en conduisant des études techniques et environnementales indispensables au démarrage des travaux

Le volet BRT du projet Yaoundé MoVe consiste à mettre en place d’ici 2028 un trajet en bus électrique de 65 minutes entre Olembé et Ahala (corridor nord-sud) à un prix inférieur à 500 FCFA. Ce type de projet expérimenté à Bogota en Colombie et lancé à Dakar le mois dernier constitue un instrument très efficace de désengorgement urbain et de réduction de la circulation de véhicules individuels. Il contribue à réduire la pollution urbaine et les émissions de CO2. 

MoVE Yaoundé comporte un travail en profondeur avec les taxis de Yaoundé pour les rendre plus sûrs et plus fiables et complémentaires avec le futur BRT. Nous allons également retravailler le tissu urbain, en concertation étroite avec les parties prenantes concernées et les autorités camerounaises concernées, pour donner plus de place aux piétons afin qu’il soit facile d’accéder au BRT à pied. 

Quels sont les autres projets mis en place par l’Union Européenne dans le cadre de la coopération avec le Cameroun, et quelle évaluation en faites-vous ?

Le partenariat entre le Cameroun et l’Union européenne couvre un très large spectre. Nous venons de parler économie, en abordant la Business week, mais notre action cible également des secteurs comme la gouvernance politique, à travers la décentralisation, les droits humains, la lutte contre les violences faites aux femmes, l’état de droit, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, sans oublier les infrastructures et corridors stratégiques. Le choix de ces actions correspond évidemment aux priorités identifiées par le Gouvernement camerounais dans sa stratégie et ses objectifs de développement. Il vise à accompagner le Cameroun dans son ambition de développement économique et social durable. Cette coopération bilatérale a déjà fourni d’excellents résultats au bénéfice des populations et à l’amélioration de leurs conditions de vie, dans toutes les régions du pays. Nous nous attelons mes équipes et moi à toujours renforcer davantage l’efficacité et la pérennité de nos programmes et bien sûr, parce que c’est la clé du succès, être à l’écoute de nos partenaires.

Sur un autre plan, le gouvernement camerounais s’est montré préoccupé par le financement de la Stratégie nationale de mise en œuvre de l’APE bilatéral. Qu’en est-il ?

La réduction des droits de douanes dynamise le marché de la consommation et l’activité économique, générant de nouveaux revenus fiscaux. Aussi, la mise en œuvre de l’Accord de Partenariat Economique est davantage une question de réforme fiscale que de financement à proprement parler dans un contexte où les recettes douanières camerounaises ont tout de même progressé de plus de 13% en 2023.

Plus fondamentalement, le Cameroun et l’Union européenne travaillent ensemble à la mise en place d’une fiscalité réformée et tournée vers l’avenir, une fiscalité qui compensera à terme une potentielle baisse de recettes aux frontières et qui reflètera la volonté du Cameroun d’être un pays émergent à l’horizon 2035.

pour la période 2016-2021, ce sont 125 Milliards de francs CFA de droits non-payés par les acteurs économiques camerounais qui ont exporté vers l’Europe,

Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur UE au Cameroun

Quelle évaluation faites-vous de la mise en œuvre de l’APE ?

Bien qu’ayant accusé un report de plusieurs mois en raison de la crise COVID, le plan de démantèlement tarifaire suit son cours. Les marchandises des groupes 1 et 2 sont désormais totalement détaxées et celles du groupe 3 bénéficient actuellement d’une réduction des droits de 40%.  Cependant, l’Union européenne est préoccupée par l’instauration de droits d’accises sur certaines marchandises importées. Cela entre en contradiction avec l’accord signé. Je suis confiant qu’une solution sera trouvée avec le Gouvernement camerounais par la discussion et le dialogue.

Par ailleurs, comme je l’ai écrit dans une tribune publiée en fin d’année dernière avec mes collègues de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Espagne, de la France et de l’Italie, l’Accord de Partenariat Economique entre le Cameroun et l’Union européenne doit encore livrer tout son potentiel. Comme tout partenariat, l’accord prévoit une relation basée sur la poursuite d’intérêts en commun dans le cadre d’un approche paritaire, basé sur des concessions réciproques. Près de 99% des marchandises camerounaises exportées vers l’Union européenne le sont sans droits de douane. C’est le but de l’accord. D’ailleurs, rien que pour la période 2016-2021, ce sont 125 Milliards de francs CFA de droits non-payés par les acteurs économiques camerounais qui ont exporté vers l’Europe, favorisant de fait leur compétitivité sur le marché européen et l’accroissement de leur chiffre d’affaires. Les profits ainsi générés au Cameroun permettent aux entreprises de grandir et d’embaucher et contribuent aux recettes budgétaires et à la consommation intérieure.

On parle beaucoup de ce que gagne le Cameroun dans l’APE. Mais sachant que c’est un partenariat gagnant-gagnant, qu’y gagne l’Europe ?

L’Accord de Partenariat Economique est une bonne nouvelle pour les consommateurs européens qui peuvent plus facilement accéder à ces produits camerounais de qualité, à des prix avantageux. En dynamisant le commerce bilatéral, qui a cru de 68% depuis son entrée en vigueur en 2014, l’Accord établit des ponts et renforce les liens commerciaux et humains. L’Europe tient à renforcer ses relations avec un pays qui lui est cher.  

Finalement, à travers cet accord avec l’Union européenne, le Cameroun fait le choix de favoriser l’accès à son marché national de produits et de biens d’équipements réputés pour leur qualité et leur fiabilité. Ces derniers permettront à l’industrie camerounaise de produire des biens transformés de qualité qui pourront à leur tour être exportés dans de meilleures conditions en Europe, avec des prix de revient compétitifs. C’est donc bien un partenariat gagnant-gagnant.

Propos recueillis par François BAMBOU, Défis Actuels

- Publicité -

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.