Marcel Okoudou : « Le football est un instrument incontournable dans la mobilisation des masses »

Spécialiste des questions de football et doctorant en Science politique à l’université de Douala, il défend l’argument selon lequel, le football participe à la consolidation de l’unité nationale et renforce le vivre-ensemble.

Comment le football participe-t-il à consolider l’unité nationale?

Quand on parle du football qui consolide l’unité nationale il s’agit essentiellement essentiellement du football de sélection nationale, celui qui mobilise les symboles nationaux tels que l’hymne nationale et l’exhibition du drapeau national avant chaque rencontre internationale. Il est différent du football local qui accentue les antagonismes socioculturels en favorisant la formation d’une identité qui se distingue de l’autre. Depuis l’impulsion des régimes totalitaires (années 1930), le football est un instrument incontournable dans la mobilisation des masses. C’est dans ce sens qu’en 1972, les Lions indomptables voient le jour dans un Cameroun en manque de paix et de stabilité. Les gouvernants vont s’arranger à lui doter des principes idéologiques et inclusifs comme le bilinguisme, l’équilibre régional,  la sélection des nationaux et des binationaux dans la tanière, afin qu’elle soit « une communauté imaginée de millions de gens réduite à onze joueurs dont on connait les noms » (Hobsbawm). En mai 1990, les marches du SDF pour le multipartisme, mettent en branle la stabilité sociopolitique au Cameroun. Les prouesses des Lions indomptables au mondial de football de 1990 seront vécues comme un triomphe national, le Président BIYA va surfer sur ce sentiment de fierté nationale, cette émotion collective pour contenir les contestations de l’opposition de rue. Voilà comment le football de sélection nationale a permis aux Camerounais  de retrouver le sentiment d’appartenance à un même groupe,  à une seule identité.

Pourquoi la victoire finale du Cameroun lors de la CAN 2017 n’a pas suffit pour taire la crise observée au Nord-ouest et du Sud-ouest, quand on sait qu’après leur sacre les Lions indomptables on fait le tour du Cameroun avec le trophée.

 L’arrivée du multipartisme et la naissance du SDF donne plus de poids à la formation identitaire anglophone avec notamment un résultat promettant de  37% contre 39% face au RDPC en 1992. Le SDF devient un acteur politique de taille sur la scène politique anglophone, mais sa position consensuelle d’un fédéralisme à quatre Etats, réduisant les prérogatives anglophones, est ce qui explique la résurgence des velléités sécessionnistes de ces deux régions, se traduisant depuis 2016 en manifestations, revendications et désormais, enlèvements et assassinats des populations civiles et des éléments des forces de l’ordre par ceux là qui se considèrent comme Ambazoniens depuis 1999.

La nation est une communauté humaine, caractérisée par la conscience de son identité historique ou culturelle, et souvent par l’unité historique ou religieuse. Cela étant, la naissance symbolique de l’Ambazonie, rendait moins pertinent l’existence d’une nation camerounaise. C’est ce qui fait la particularité du problème anglophone des autres crises sociopolitiques qu’a connues le Cameroun. Cela explique aussi pourquoi il semble laborieux, pour l’équipe nationale fanion du Cameroun, de participer à l’unification d’un peuple ancré dans les frustrations de « l’extravagance de la suffisance du régime de Yaoundé vis-à-vis des spécificités linguistiques, politiques et historiques des régions anglophones » (Mireille RAZAFINDRAKOTO). L’unité nationale reste une disposition naturelle et permanente que les Lions indomptables consolident par leurs prouesses et leurs organisations anthropologiques.  

Selon vous, l’équipe nationale de football du Cameroun sonne donc  comme élément indispensable du vivre ensemble?

                « L’Etat repose sur trois critères traditionnels : un territoire, une population, un gouvernement. Nous pourrions ajouter un quatrième : une équipe nationale de football » (P.Boniface). Ces mots sonnent justes car tellement de pays en manque de stabilité ont vu leur peuple s’unifier grâce au football de sélection nationale. C’est le cas par exemple de l’équipe Irakienne citée par Boniface ; il démontre qu’au moment des violences intercommunautaires après la guerre de 2003, les victoires de l’équipe irakienne étaient  l’unique élément unificateur : « L’équipe d’Irak est la seule chose qui nous unissent encore » déclare le chiite Haydar Adman « j’espère que les hommes politiques vont s’inspirer de ces footballeurs qui unifient le peuple irakien et apprendre d’eux ». L’équipe nationale de football du Cameroun n’est pas en reste, voilà pourquoi nous refoulons la position selon laquelle, le football ne fait pas preuve de consolidation de l’unité nationale sous le prisme de la crise observée au Nord-ouest et du Sud-ouest Cameroun.

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