Investissements. Pourquoi de grands groupes se lancent dans la micro-finance

La création de nouveaux établissements de micro finance est annoncée dans le pays par des acteurs majeurs des secteurs pétrolier et financier tandis que l’activité reste dominée par diverses faillites.

Le Cameroun  compte plus de 400  établissements de micro finance (EMF) à ce jour. Le nombre ne cesse de se rallonger. Début août dernier, Antoine Ndzengue,  déjà très présent sur le marché local de la distribution des produits pétroliers avec sa chaîne de stations-services Neptune Oil annonce son entrée dans le secteur financier. L’homme d’affaires fait savoir qu’il a mis sur pied un établissement de micro finance dénommé Agence Bancaire pour le commerce (Abc finances).   Avec  un capital de 5 milliards de FCFA, ABC finances a  pour siège social Douala.

Un autre qu’il faudra bientôt compter parmi les EMF présents au Cameroun c’est Atlantic Microfinance For Africa Cameroun » (Amifa).  Cette structure est portée  par le  groupe marocain BCP qui contrôle déjà la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec).  Cet EMF de deuxième catégorie sera la filiale locale du groupe Amifa déjà implanté dans plusieurs pays africains. Constitué le 20 juin 2023, l’établissement est doté d’un capital de 1 milliard de FCFA, la structure.  Le projet est présenté comme un outil de  collecte de l’épargne et de financement des micros, petites et moyennes entreprises (MPME).

Ces deux investissements annoncés par des grands capitaux suscitent de l’étonnement. Car, l’activité de micro-finance est marquée par l’échec de plusieurs compagnies. Pas moins de 10 EMF ont fait faillite ces dernières années, laissant les épargnants, des paysans pour la plupart dans le désarroi.  C’est notamment l’histoire de Cofinest ou encore de Comeci, des établissements de micro-finance qui avaient su gagner la confiance de plusieurs entrepreneurs partout sur le territoire national. Mais, ils ont fini par fermer.  De quoi questionner le  choix des investisseurs d’envergure à injecter des capitaux dans un tel environnement. Notamment un groupe comme BCP qui détient déjà une banque locale.

Interview

Jean Marie BIADA, expert financier

« C’est une réponse aux complaintes des PME »

Il analyse les dynamiques observées  récemment dans l’activité de micro-finance au Cameroun, son potentiel, tout en évoquant les raisons  de ces nouveaux investissements.

Plusieurs investissements sont annoncés ces dernières semaines dans le secteur financier notamment de la micro finance. D’abord le promoteur de Neptune Oil, ensuite le groupe  BCP qui détient déjà des capitaux  dans une banque de la place. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette dynamique. Je commencerai par dire qu’en dehors du promoteur de Neptune oil qui exerce prioritairement dans le secteur pétrolier aval  qui est un étranger dans le secteur de la finance, tous ceux que vous allez citer sont à la base  bien implantés dans le secteur financier.  Car ce secteur au Cameroun  a quatre composantes. Les banques, les assurances, les compagnies de change et les établissements de micro finance. La BICEC par exemple, a toujours eu sous sa coupole une micro finance, Acep  qui existe encore et qui était au départ un programme  sous la tutelle du ministère de l’industrie et du développement industriel et commercial. C’est lorsque le financement qui avait été mis dans le projet par l’AFD arriva à son terme que le gouvernement a intervenu à travers la SNI et ACEP a obtenu son agrément d’EMF de deuxième catégorie. Donc  si la BICEC veut revenir avec un projet d’EMF ce ne  sera  pas nouveau.

 Quatre raisons peuvent expliquer cette dynamique généralement du fait des banques. La première est le souci de diversification des produits et services bancaires. Les produits bancaires sont parfois tels que lorsqu’on veut vous accorder par exemple une facilité de caisse il vous faut  avoir en caisse un certain montant. Or parfois les PME ne parviennent pas à mobiliser de grandes ressources. Ce qui fait que la banque parfois ne parvient pas à satisfaire leurs besoins. La deuxième raison c’est le souci d’augmentation des performances de la banque par le produit net bancaire (PNB). Une entreprise bancaire qui a un PNB ne peut pas partager les dividendes à ses actionnaires. Par contre, si elle a un PNB excédentaire, elle peut alors envisager de mettre un canton de cet argent en réserve, un autre en investissement, un autre  en réserve libre et  affecter le dernier au partage des résultats avec les  propriétaires de l’entreprise.

La troisième raison c’est l’élargissement de sa zone d’intervention. Ce qui lui permet d’avoir un réseau  dense de collecte  des dépôts auprès d’épargnants. La quatrième raison c’est une réponse aux complaintes des PME qui  disent être exclues des cibles sollicitées par les banques dans leur déploiement alors qu’elles sont les plus nombreuses à se ruer aux guichets des banques pour des versements qui sont redistribués à 80% des grandes entreprises qui en nombre ne contribuent pas autant aux dépôts.

 Comment comprendre la présence d’un grand groupe  dans une activité comme la micro finance ? Sur quoi peut reposer le succès d’un tel choix stratégique ?

 Si la Bicec veut investir dans les EMF cela peut reposer en marketing sur ce qu’on appelle le « me too ». C’est-à -dire s’aligner sur ce que fait la concurrence de bien. Vous avez déjà Société Générale qui chapote un réseau de microfinance appelé advans Cameroun. La BICEC a également eu à chapoter MC2 consacré aux micro-projets villageois. Donc la BICEC veut simplement retourner à ce qu’elle faisait déjà.  S’ils savaient qu’Aqcep partirait et survivrait et aurait un réseau aussi dense que celui qu’il a aujourd’hui,  ils n’auraient jamais laissé ACEP partir. Ce d’autant plus que leurs concurrents notamment SGC  et Ecobank ont leur réseau de  micro finances.  Donc la stratégie que veut développer BCP aujourd’hui va dans le sens de corriger l’erreur stratégique qu’avait commis la banque d’abandonner l’activité de micro-finance  qui pourtant fait partie de l’univers de la finance.

Cet engouement est-il le signe que le potentiel du secteur est prometteur ?

 Nous avons aujourd’hui 18 banques commerciales au Cameroun, on en voit moins de 5 qui ont des activités de micro-finance. Donc je ne vois  pas d’ engouement particulier dans ce sens.  Mais en dehors des fonds étrangers,  il faut quand même noter la présence du groupe camerounais Afriland First bank  qui a un réseau de micro-finance qui lui permet de couvrir des zones où la banque ne peut aller.  Est-ce un secteur prometteur ? J’en doute si on regarde le rythme auquel ces micro finances ferment. J’ai fait une étude dessus. L’expérience de vie d’un EMF tourne  autour de 12 ans.  Il se passe simplement que ce  sont des Multi nationales qui définissent leurs stratégies au niveau international et quand elles arrivent ici elles appliquent simplement ce qui a été décidé au niveau de la maison mère. Donc de mon point de vue je ne vois pas de raisons de dire que le secteur est prometteur.

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