Emmanuel Noubissie Ngankam : « bien gérée, la dette peut être le moteur de la croissance »

Emmanuel Noubissie Ngankam est Analyste Economique. Néo-retraité de la Banque mondiale où il a été en fonction pendant 20 ans et a occupé de hautes responsabilités opérationnelles et managériales

Le Cameroun signe régulièrement des accords de financement avec des partenaires, ou lève des fonds par divers mécanismes. Et une certaine opinion se demande quels sont le bien fondé et l’utilité de ces financement extérieurs…

Les questionnements au sujet du bien-fondé de l’endettement sont d’autant fondés et légitimes que les citoyens s’attendent à ce que les actions de l’Etat se traduisent en mieux-être et par une amélioration de leurs conditions de vie. Or la perception aujourd’hui rime avec une forte demande sociale non satisfaite. Il n’y a qu’à regarder la situation d’insalubrité dans laquelle se trouvent nos villes, la dégradation des infrastructures existantes, la longue liste des projets d’infrastructure inachevés voire abandonnés. Et pourtant l’endettement est une source de financement essentielle voire indispensable au développement économique et social. Il faudrait également relever que les questionnements sur l’utilité de l’endettement sont alimentés par le déficit de communication du Gouvernement et la rupture du contrat social entre gouvernants et gouvernés.

Le pays ne pourrait-il pas financer son développement par ses propres moyens ? 

Non seulement le Cameroun n’en a pas les moyens, mais ce serait une erreur et même utopique de choisir de se priver des financements essentiels comme je l’ai indiqué plus haut. Cela dit, il y a de la bonne et de la mauvaise dette, tout comme il y a de la bonne et de la mauvaise gestion de la dette.

Selon les derniers chiffres, la dette du secteur public s’élève à 12 137 milliards de FCFA, soit environ 43,8% du PIB. C’est trop selon une certaine opinion, et ce n’est pas assez selon le gouvernement. Qu’en est-il ?

Il est indéniable que rapportée au PIB, la dette publique du Cameroun est soutenable au regard de l’un des critères de convergence de la CEMAC qui recommande un taux inférieur à 70% du PIB. Cependant, ce chiffre ne devrait pas être une fixation. Il y a d’autres éléments qui permettent d’apprécier la viabilité de la dette qui est la capacité de s’acquitter de toutes ses obligations de paiement actuelles et futures sans recourir à une aide financière exceptionnelle ou sans se retrouver en défaut de paiement. Or la situation de trésorerie du Cameroun ainsi que sa capacité à faire face à ses engagements extérieurs ont récemment été éprouvées. Les défauts de paiement en début d’année 2023, bien que vite résorbés, sur certains créanciers notamment Exim Bank China, Exim Bank Turkey, et Deutsche Bank Spain, ont été des signaux négatifs. L’accumulation des arriérés sur la dette intérieure est également une source de préoccupation. C’est d’ailleurs pour y faire face que la loi de finances 2023 rectificative relève le plafond d’endettement du Cameroun, ce qui permettra de rechercher 200 milliards de F CFA sur le marché international pour faire face à une partie du Reste à Payer de la dette intérieure. D’autres indicateurs telle que la Valeur Actuelle de la dette par rapport aux Exportations peuvent également contribuer à apprécier la viabilité et la soutenabilité de la dette étant entendu que les recettes d’exportations ont une incidence sur la balance de paiement et la capacité à faire face aux engagements extérieurs. Au plan interne, l’une des manifestations de la tension de trésorerie est l’émission sur le marché des valeurs du trésor de la CEMAC de plusieurs Bons de Trésor Assimilés (BTA) dont celui de mars 2023 de 15 milliards de F CFA et qui n’a été souscrit qu’à 30%. C’est inédit que le Cameroun ait besoin de… 15 milliards et ça l’est davantage qu’il ne parvient à lever que 5 milliards.  On pourrait développer davantage. Donc le ratio dette par rapport au PIB est certes pertinent mais présente des limites en ce qui concerne l’appréciation de la soutenabilité et la viabilité de la dette publique.

Quel peut être l’impact de ces financements extérieurs sur la croissance ?

L’endettement en général et les financements extérieurs en particulier sont des moteurs de la croissance à travers l’investissement, surtout dans un contexte comme celui du Cameroun où les ressources propres de l’Etat ne permettent même pas de couvrir toutes les dépenses courantes. Selon la loi de finances 2023 rectificative, le budget de l’Etat est de 6.642 milliards de F CFA. Les dépenses courantes s’élèvent à 5.283 milliards alors que les Recettes propres sont de 4.780 milliards. Vous constatez que ces recettes propres ne permettent pas de couvrir la totalité des dépenses courantes. Quid des dépenses en capital qui s’élèvent à 1.359 milliards dont 1.194 milliards pour les investissements. Ces chiffrent indiquent clairement que le Cameroun devra s’endetter pour financer la totalité de ses investissements en 2023 et même couvrir une partie de son fonctionnement. Or sans investissement, il n’y a pas de croissance. Donc de manière absolue, la dette n’est pas le problème. Pour paraphraser Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne : « Il n’y a de bonne dette publique que s’il y a des investissements publics rentables ». Pour ce qui est du Cameroun, on peut se poser des questions sur la qualité et la rentabilité de certains investissements publics.

Il y a le problème des soldes engagés et non décaissés, ces emprunts contractés et non utilisés. Pourquoi ce problème ? Comment le corriger ?

C’est un problème majeur. La dernière note de conjoncture de la dette publique publiée par la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) s’en émeut en ces termes : « A fin juin 2023, les soldes engagés et non décaissés (SEND) extérieurs (hors appuis budgétaires) sont estimés à 3 542,4 milliards de FCFA. Tenant compte d’une capacité d’absorption moyenne de 700 milliards de FCFA par an, il faudrait un minimum de 5 ans pour absorber l’intégralité des SEND’s existants, ce qui traduit une lenteur dans l’exécution de nombre de projets ». Ceci nous renvoie au sempiternel problème de maturation des projets. Le Cameroun fait face à un sérieux problème de gestion des investissements publics dans un certain nombre de secteurs. 

Ce problème semble particulièrement grave pour ce qui est du portefeuille de la Banque Mondiale dont vous êtes un ancien haut cadre…. 

Le cas de la Banque mondiale est au cœur de l’actualité tout simplement parce qu’il y a eu une revue du portefeuille de cette institution au mois de mai dernier et les constats ont été rendus publics. Ce n’est donc que la partie visible de l’iceberg. Tous les partenaires multilatéraux et bilatéraux ont le même problème. 

Quelles pourraient en être les conséquences ?

S’agissant particulièrement de la Banque mondiale, l’une des conséquences du mauvais état du portefeuille pourrait être la réduction de l’allocation IDA (Association Internationale de Développement) du Cameroun. Ceci serait d’autant dommage que les ressources IDA sont concessionnelles, à taux d’intérêt presque nul. Mais au-delà de la réduction de l’allocation IDA, l’une des conséquences majeures des SENDs est l’augmentation des coûts des projets et l’exacerbation des coûts d’opportunité. Il est évident que les coûts des facteurs évoluent dans le temps notamment en contexte de tensions inflationnistes. Un projet évalué pour être mis en œuvre en 2020 n’a plus le même coût en 2023.

Les agences Moody’s et Standard & Poors ont récemment dégradé la note du Cameroun. Comment l’expliquer ? Et quelle incidence sur les prochaines levées de fonds du Cameroun ? 

La dégradation de la note souveraine du Cameroun par les agences Moody’s et Standard & Poors bien que sévère n’est pas surprenante. J’ai évoqué plus haut les velléités de défauts de paiement constatés par le FMI lors de la quatrième revue du programme. La conséquence immédiate pourrait être le durcissement des conditions de prêts au Cameroun notamment le renchérissement des taux d’intérêt. La décision de ces agences de notation jette le discrédit sur la signature du Cameroun et arrive à un bien mauvais moment alors que le pays s’est engagé à lever l’équivalent de 200 milliards de F CFA sur le marché international. C’est bien dommage.

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