Vivre ensemble : Questions autour du « Rentrez chez vous ! »

Réflexion indignée et pédagogique sur une thématique xénophobe très en vogue dans certains milieux prétendument intellectuels du Cameroun.

Lazare Bela

Par Lazare BELA, PH. D., Ingénieur Statisticien, Economiste (Source : Défis Actuels)

L a compétition mondiale est féroce; pas un jour sans que la presse occidentale n’attaque la Chine, coupable de viser le rang de première puissance économique mondiale occupé par les Etats-Unis. Les pays de gueux sont sommés de se détourner de la Chine qui a mis fin à l’extrême pauvreté, toujours endémique en Occident où le revenu par tête est plus élevé.

Pendant ce temps, en boucle dans les réseaux sociaux au Cameroun, des robots enjoignent les citadins à rentrer chacun dans son village. Ça ferait rire si, pour avoir assimilé trop longtemps des vocables comme anglo-fo(.), on n’est pas aujourd’hui embourbé au NOSO dans une guerre qui n’était pas fatale. De quels villages s’agit-il donc ?

A l’israélienne, ils sont dans la vallée du Nil au dire de Cheik Anta Diop. L’inculte en histoire comme ce Président français, s’en tient aux travaux de l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer). Pour elles, le colon allemand avait sédentarisés des peuples en migration pour les recenser. Les villages du département de la Lékié dateraient ainsi des années 1910.

L’ORSTOM les avait qualifié de villages dortoirs. On y rentre au décès du père pour hériter de sa cacaoyère ;ça ne va pas de soi quand il y a plusieurs héritiers. La raison est qu’à partir de 150 habitants au km2, il n’y a plus de terres pour créer de nouvelles cacaoyères. Or la densité de population de la Lékié était de 250 habitants au km2 au recensement de 1975.

Selon l’ORSTOM, à l’Ouest où un pic de 300 habitants au km2 était relevé en 1975, le problème foncier a été résolu par le non partage de l’héritage. A part l’héritier désigné, les autres enfants doivent aller se chercher ailleurs.

L’ORSTOM s’était aussi intéressé aux Monts Mandara. Ses agronomes étaient impressionnés par la culture intensive et écologique sur les versants. Mais quand ces paysans descendaient dans la plaine, ils pratiquaient l’agriculture extensive.

D’après ces monographies, la ville est le débarras du surplus de ruraux. Une formalisation mathématique simple montre que l’émigration rurale découle soit de ce surplus, soit de la désertion des campagnes sous-peuplés. Au final, la majorité de la population urbaine n’a pas de villages où rentrer vivre (leurs dons sont bienvenus, pas eux-mêmes et encore moins leurs veuves et orphelins). Sil a nationalité leur est retirée, les Nations Unies devraient venir prendre en charge ces apatrides plus nombreux que les autochtones citoyens.

Un casse-tête foncier

Dépouillant les archives du tribunal coutumier d’Obala, une analyse de l’ORSTOM concluait que les conflits ruraux des années 60 portaient sur la terre, et sur les femmes qui mettaient la terre en valeur (à l’époque, l’homme ne tolérait pas que sa femme le quitte pour un autre).De nos jours, on dit qu’environ 80% des affaires devant les tribunaux de Yaoundé et de Douala portent sur les conflits fonciers. C’est donc que l’Etat fait l’autruche au lieu de créer un droit foncier idoine et un environnement propice à son application au profit de tous.

Un peuple en migration n’accorde pas de valeur à la terre selon l’ORSTOM. Ainsi en cas de conflit, la jurisprudence antinapoléonienne des tribunaux coutumiers dans la Lékié attribue la jouissance exclusive de la récolte au planteur d’un arbre fruitier ou de toute culture pérenne, au détriment de celui à qui est reconnu la propriété de la terre.

Cas extrême, des Bamouns vivent à la borne kilométrique 45 sur la route nationale n°4 ; le grand carrefour sur l’ancienne route s’appelle « Bamծ » (pour Bamoun ; les noms des individus, Arouna, Bakari; Njoya … n’ont pas été déformés par la prononciation en Eton). Des dizaines d’années après, ils ont appris que leurs frères Bamoun avaient laissé une cacaoyère à la borne 50. Ils ont revendiqué et le tribunal coutumier du lieu leur a donné raison. La cacaoyère aurait disparu sans entretien pendant si longtemps. Une telle restitution n’aurait pas été possible là où le chef est propriétaire de tout ce qui n’appartient pas incontestablement à un sujet.

Une telle restitution est aussi inconcevable en villes. A Yaoundé et Douala, des descendants contestent les transactions de leurs aïeux, parce que la terre a pris une grande valeur et qu’eux n’en ont pas hérité. Ils vendent le même lot à plusieurs personnes à la fois. Face à cette diversité de comportements, plusieurs défis sont à relever par l’Etat.

Les aïeux ont dilapidé l’argent de la vente de terrains. Nyanga boy à Douala marchait bien sapé devant le taxi qu’il avait loué. A Yaoundé choisi par le colon à cause son climat frais, certains allaient respirer l’air frais à l’hôtel après la vente de terrain. Au lieu de laisser que des gens non préparés, se retrouvent soudain avec des sommes qu’ils ne pouvaient pas gérer, l’Etat devait les mettre sous tutelle.

L’Etat l’avait bien fait à tort pour les cacaoculteurs. Il ne leur versait que le tiers de la valeur du produit, au motif qu’ils utilisaient l’argent pour doter d’autres épouses. Celles-ci et les enfants étaient la main d’œuvre indispensable pour cette activité très intensive en travail. La tutelle s’était par ailleurs transformée en spoliation puisque la stabilisation des prix avait été un leurre.

Les vendeurs veulent renégocier aux prix courants du terrain. Ce sont les investissements collectifs qui donnent la valeur au terrain. Quand les dépenses du roi étaient modérées, les anglais avaient envisagé de ne les financer que par l’impôt foncier. Celui-ci n’affecte pas l’offre inélastique du terrain, au contraire de beaucoup d’autres impôts qui réduisent la production.

Exclus de la propriété à leur lieu d’émigration, les acheteurs savent que la terre se raréfie et acquiert une valeur inestimable. A court de placements et d’idées, la terre sert aussi d’actif financier non risqué aux riches. Le colon avait organisé l’approvisionnement forcé de Yaoundé parce que la population ne vendait pas les vivres pourtant disponibles ; on partage au lieu de vendre aux proches. Dans cet esprit, des terrains ont été cédés gratuitement aux immigrés.

Le contexte est celui d’asymétrie d’informations et de valeurs généralisée . L’Etat doit encadrer les transactions qui ne se déroulent pas comme si on était en concurrence pure et parfaite. Il y parviendra avec une autre gestion et sans l’individualisme et la vénalité forcenés actuels. La réussite était collective et non individuelle dans la tradition ; personne n’était laissée sur le carreau même malgré lui. C’est une piste à explorer.

Dans l’économie néolibérale triomphante, la terre ne doit plus être la valeur refuge. Le préalable est une croissance inclusive forte et diversifiée qui donne à l’Etat la possibilité de redresser les torts et les asymétries passés et en cours.

*La titraille est de la rédaction

Par Lazare BELA, PH. D., Ingénieur Statisticien, Economiste (Sources : Défis Actuels)

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