Paul Tasong : « la reconstruction des régions en crise est la priorité du gouvernement »

Paul TASONG. Ministre délégué auprès du Ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire, chargé de la planification. Coordonnateur national du Plan Présidentiel de Reconstruction et de Développement des Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR Rosine NKONLA AZANMENE (MINEPAT)

Tasong Paul

Monsieur  le  Ministre,  quel  est l’état des lieux du processus de reconstruction  des  régions  du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ?

Le processus de reconstruction des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avance normalement. Après les étapes préalables de sensibilisation et de mise à jour des pertes enregistrées par les populations et les collectivités, les travaux ont bel et bien démarré. Actuellement, plusieurs écoles, centres de santé et systèmes d’adduction d’eau sont réalisés ou sont en cours de réhabilitation dans les deux régions. Parallèlement,  de  nombreuses  initiatives visant l’apaisement sont menées en vue de faciliter l’exécution du Plan Présidentiel de Reconstruction et de Développement  des  régions  du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (PPRD-NO/SO). La phase de relèvement ou «Recovery », qui est actuellement mise en œuvre pour une période de trois ans, est construite autour de trois pi-liers à savoir : la promotion de la cohésion  sociale ; la réhabilitation  des infrastructures sociales de base et la revitalisation de l’économie locale. En Effet, la priorité durant cette première phase est de permettre aux populations affligées par la crise, de retrouver un minimum d’autonomie. Par la suite,  les  deux  autres  phases  viendront consolider les acquis et transformer structurellement les deux régions grâce à la relance des agro-industries et la construction des projets d’envergure, à l’instar de la Ring Road, du port  de  Limbé  et  du  barrage  de  la Menchum. 

Plusieurs fois, vous avez organisé des missions de sensibilisation des populations. Avez-vous le sentiment qu’elles sont prêtes à adhérer, à s’impliquer dans la reconstruction dans un contexte où la crise peine à s’estomper ?

Je vous le dis d’emblée : si le PPRD-NO/SO a pu être réalisé au cours de l’année précédente, c’est essentiellement grâce à l’adhésion massive des populations et l’accompagnement des acteurs locaux du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Il est vrai que des appréhensions existaient au début. Mais, la plupart d’entre elles ont été levées ou sont en passe de l’être, en raison de l’approche  inclusive  et  participative que nous avons adoptée à toutes les phases d’exécution des projets. Aujourd’hui, la majorité des citoyens des deux régions attendent impatiemment de bénéficier de l’accompagnement de l’État et des partenaires du Cameroun pour pouvoir recommencer à mener une vie normale.

Une  étude  a  été  menée  sur l’évolution et les impacts socio-économiques de la crise sécuritaire… Quel est l’enjeu d’un tel travail de recherche au moment où les populations attendent devoir sortir de terre les premières infrastructures ? 

L’élaboration de l’étude à laquelle vous faites allusion n’est en rien incompatible avec l’implémentation des projets de reconstruction. Mais à l’issue de la première année de mise en œuvre du PPRD-NO/SO, l’objectif était d’apprécier l’évolution et les impacts socio-économiques  de  la  crise  sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sur la période 2017-2020,en vue  de proposer des axes de consolidation  de  la  stratégie  de  reconstruction et de développement implémentée par le gouvernement et ses partenaires. Ce travail était très important, car il a permis d’avoir une idée exacte de la dynamique de la crise et d’éclairer la décision des plus hautes autorités, quant au maintien ou à la réorientation des axes d’intervention du plan.

Parlons  maintenant  de la thématique  abordée  par  l’étude,quelle est la dynamique de cette crise  sécuritaire  et  quels  sont les impacts socio-économiques dans ces deux régions ?

Précisons tout d’abord que cette étude a été menée en liaison avec le Minepat, l’Institut national de la statistique(INS) et le Programme des  Nations Unies pour le développement (PNUD).Globalement, les résultats font état de ce que la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest a détérioré les principaux indicateurs socio-économiques entre 2017 et 2019. En effet, la majorité des secteurs  d’activités  ont  été  affectés notamment  l’agriculture,  l’industrie,les  services  marchands  et  le  commerce extérieur. Tout cela a eu une incidence  sur  le  chiffre  d’affaires  des entreprises et sur les recettes fiscales qui ont fortement baissé dans les deux régions.  Toutefois,  l’année  2020 marque une inversion de la tendance à la baisse, avec une reprise perceptible des activités économiques et sociales  dans  les  deux  régions.  C’est ainsi qu’après trois ans de baisse consécutive, les effectifs des  élèves inscrits dans les écoles ont enregistré une augmentation significative. Bien qu’en deçà du niveau d’avant crise, la production agricole est également repartie à la hausse de même que les échanges des biens et services. Par conséquent, il nous paraît plus que jamais nécessaire de  maintenir  et  renforcer cette dynamique positive en consolidant le processus de reconstruction des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.Après une telle étude, il y a forcément  des  pistes de  solution qui  se  dégagent. 

Quelle  est selon vous, la meilleure stratégie pour endiguer la  crise,  redonner  confiance  aux populations et booster le développement  socio-économique dans les deux régions ?

Le Grand Dialogue National, convoqué par le Président de la République, Son Excellence Paul BIYA, avait déjà formulé des recommandations pour met-tre un terme à la crise. Sous l’égide du Premier  Ministre,  ces  recommandations  sont  actuellement  mises  en œuvre par le gouvernement dans le cadre fixé par le chef de l’Etat. La mise en  œuvre  de  ces  préconisations,conjuguée au démarrage effectif du PPRD-NO/SO est à n’en point douter à l’origine de l’apaisement progressifobservé et de la reprise des activités socio-économiques dans les deux régions. Qu’à cela ne tienne, quelques pistes de réflexion ont été émises dans l’étude au sujet de la première phase de  la  reconstruction,  notamment  la prise en charge scolaire des orphelins mineurs de la crise ; l’accélération de la  réinsertion  socioéconomique  des ex-combattants  ;  la  sauvegarde  du tissu économique local et le soutien aux acteurs clés de développement.Concernant la confiance entre les populations  et  les  autorités,  elle  se consolide progressivement au regard de la collaboration de plus en plus ac-tive observée sur le terrain. Pour la restaurer définitivement, en plus des actions déjà engagées, il nous semble important de renforcer la culture de la redevabilité dans la conduite des actions publiques, de systématiser l’approche participative avec l’implication des principaux acteurs de développement et de mettre sur pied des cadres d’expression citoyenne.

Monsieur le Ministre, dans le cadre  de  l’approfondissement du  processus  de  décentralisation, un statut spécial avait été conféré  aux  régions  du  Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les positionnant désormais comme des acteurs majeurs du développement. L’objectif était de prendre davantage en compte les spécificités  linguistiques  et  culturelles de ces deux régions. Où en sommes-nous ?

Ce processus est piloté par le gouvernement (précisément le Ministère de la Décentralisation et du Développement Local), sous la conduite du Président  de  la  République.  À  notre niveau, nous envisageons appuyer la mise en œuvre du statut spécial pour la simple raison que le PPRD-NO/SO a vocation à prendre fin dès la réalisation de  ses  objectifs, contrairement aux CTD qui sont des institutions pérennes chargées  du  développement local. Dans des conditions qui restent à définir, nous allons procéder au renforcement des capacités des exécutifs régionaux du Nord-Ouest et du Sud-Ouest,  en  matière  de conduite  des projets de développement socio-économique, en vue de capitaliser l’expertise du PNUD dans une perspective de consolidation des acquis et de pérennisation des infrastructures réhabilitées.Comment  est–ce  que  le  Plan Présidentiel  de  Reconstruction et  de  Développement  des  Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest s’arrime-t-il à la SND30 ?La reconstruction des régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest  est  la  priorité  majeure  du gouvernement pour les dix prochaines années. Elle figure en tête de liste des 15 programmes et projets que le gouvernement compte mettre en œuvre au  cours  de  cette  décennie.  À  cet effet,  toutes  les  phases  du  PPRD-NO/SO sont arrimées aux objectifs de la Stratégie Nationale de Développement  2020-2030  (SND30),  notamment en  termes d’amélioration  des conditions de vie des populations et de gouvernance locale. À titre d’illustration,  les  principaux  axes  des phases 2 et 3 du PPRD-NO/SO doivent contribuer à : transformer structurellement  l’économie  des  deux régions ; promouvoir l’emploi et l’insertion économique et aménager le territoire du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Quid du financement du PPRD-NO/SO, où en sommes-nous ?

 Le budget estimatif initial du Plan Présidentiel est de 89 milliards de FCFA.Au 31 décembre 2021, l’Etat du Cameroun avait déjà réglé les 10% du montant global (8,9 milliards FCFA) et le Japon était le seul partenaire étran-ger ayant contribué financièrement(1,5 milliards FCFA). Par ailleurs, le secteur privé  a déjà  apporté  une contribution de 1,2 milliard FCFA. À cette date, le total du financement mobilisé se chiffre à 11,6 milliards de FCFA. S’il est vrai que la pandémie du Covid-19 peut expliquer les difficultés de certains pays amis à contribuer au financement du PPRD-NO/SO, nous demeurons convaincus que le retour de la paix, par le biais de la reconstruction, est une cause qui mérite une attention et des efforts particuliers en vue de la préservation d’un Cameroun uni et stable. Le cas échéant,des alternatives s’offrent au gouvernement, en l’occurrence la mobilisation  de  ressources  additionnelles auprès du budget de l’État, le recours aux financements concessionnels et la poursuite de l’appel à la contribution financière du secteur privé.

Quelle  est la  prochaine  étape après la présentation de l’étude sus citée ?

 Dans les prochains mois, l’accent sera mis sur la poursuite de la réalisation des activités planifiées sur la période 2021-2022, couplée au renforcement de la stratégie de financement et à l’appui  aux  collectivités  territoriales décentralisées du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Entretien mené par Rosine Azanmene (Minepat)

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