Djimadoum Mandekor, économiste :  » La surliquidité des banques rend inefficaces les mesures de la Beac contre l’inflation »

L'ancien directeur central au siège de la Beac et l'auteur de l’essai : "Sortir la Beac de sa gouvernance défaillante. Pour une banque centrale assurant l'intérêt général " analyse l'effet produit par les titres de créance de la Banque centrale en zone Cemac


La BEAC a lancé le 28 mars dernier une nouvelle émission de bons de 50 milliards de FCFA. Il s’agit de la 3e après celles du 25 mars et du 19 février, l’enjeu étant de soustraire 150 milliards de FCFA. A quoi servent principalement les bons BEAC ?
Les bons BEAC sont un des instruments utilisés par les banques centrales pour retirer de la liquidité dans l’économie. La Banque centrale sous-régionale l’a introduit dans son dispositif en juin 2016 afin d’absorber les ressources des banques non utilisées dans les crédits à l’économie et aux Etats, qui constituent structurellement, au niveau de la CEMAC, un volume important, excédant 1000 milliards de FCFA. Vous observez que le volume de ces bons émis est infime comparativement à la liquidité à neutraliser. L’existence de ces fonds oisifs perturbe l’action de la BEAC qui ne peut ainsi pas influer sur le comportement des établissements de crédit à travers les taux d’intérêt sur les prêts qu’ils accordent.
Selon les résultats des deux dernières émissions, la Banque centrale n’a pas pu collecter la somme escomptée. Qu’est-ce qui peut expliquer cet échec ?
Ce nouvel instrument, encore mal connu dans les faits, a besoin d’être rodé par les gestionnaires financiers des banques commerciales. Actuellement il est concurrencé par les prêts interbancaires dont le taux d’intérêt moyen pondéré à 7 jours est ressorti à 6,31 % fin mars 2024, de loin supérieur à celui de 2,5 % proposé par la Banque centrale. Pour accroître l’attrait des bons BEAC, la banque centrale doit accepter de limiter ses recettes d’exploitation en remontant le taux de ces bons, comme le recommande d’ailleurs le FMI.
Quel bilan faites-vous de la politique restrictive mise en place depuis 2022 par la BEAC en vue de lutter contre l’inflation d’origine monétaire ?
Les effets des mesures de politique monétaire de la BEAC sur les économies de ses pays membres ne sont pas facilement observables. S’agissant des taux d’intérêt payés par les établissements de crédit pour obtenir les avances de la Banque centrale, particulièrement du taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO), son relèvement de 3,25 % en novembre 2021 à 5 % en mars 2023, n’a pas trop affecté la distribution des crédits aux entreprises et le financement des Etats. Ainsi, les prêts bancaires aux économies auraient augmenté de 4,6 % en 2023. Comme indiqué plus haut, la liquidité excessive des banques soustrait ces dernières de l’impact des interventions de la Banque centrale, rendues ainsi inefficaces. En définitive, l’inflation globale dans la sous-région reflète largement la variation des prix des produits pétroliers et des importations alimentaires ainsi que les déficits saisonniers de production agricole.
En observant le déploiement de la Banque centrale, elle semble accorder une haute priorité à la lutte contre l’inflation. Ne devrait-elle pas revoir ses priorités ?
La maîtrise des prix est le premier objectif de la plupart des Banques centrales modernes. Dans les pays de la zone franc, grâce à la parité fixe entre le FCFA et l’euro et les obligations rattachées, notamment le contrôle étroit du financement monétaire et du taux de change, l’inflation a toujours été relativement faible. Malgré tout, ceci n’a pas induit de croissance économique dont il est théoriquement une des conditions. La croissance qui est dans nos pays, en grande partie, une responsabilité des Etats par le biais, principalement, de leur gestion des finances publiques, est également du ressort de la BEAC qui, sans préjudice de cet objectif prédominant, doit « apporter son soutien aux politiques économiques générales » dans la CEMAC.
Aujourd’hui la Banque centrale doit, avec la Commission bancaire sous-régionale, la COBAC travailler à consolider le système bancaire et à l’orienter, par des incitations ciblées et autres mesures facilitant le développement du crédit sain, vers le financement des investissements pour la diversification économique. Elle doit aussi montrer son indépendance institutionnelle en conseillant les Etats à mettre réellement en œuvre des réformes structurelles, notamment dans le domaine de la gouvernance, et à améliorer drastiquement leur efficacité en mieux gérant les ressources budgétaires tout en privilégiant les dépenses publiques productives. C’est le lieu ici de rappeler les engagements des chefs d’Etat de la CEMAC pris en novembre 2019 et renouvelés en mars 2023, de revoir les structures et les règles de fonctionnement de la zone franc. Pour dynamiser nos économies, il urge de mettre en place une véritable commission élargie au-delà de la Commission de la CEMAC et de la BEAC, composée d’experts de la sous-région et de l’extérieur, chargée de proposer des solutions pertinentes, inspirées des bonnes pratiques internationales, qui ne manquent pas.
Selon la première session du CPM de l’année 2024 tenue ce 25 mars, la BEAC envisage une légère baisse des réserves de change. Cela ne va-t-il pas influencer les importations ?
L’évolution des réserves des changes dans la sous-région est fortement déterminée par celle des recettes d’exportation pétrolière. Si dans l’ensemble ces dernières diminuent, entrainées surtout par un recul de la production pétrolière dans certains pays, cela impactera négativement les importations des pays concernés. Mais ici, l’objectif à rechercher est le développement de la production intérieure pour économiser les devises.
Dans la même veine les entreprises du secteur extractif refusent de se soumettre à la nouvelle règlementation sur le rapatriement des devises. Quel peut être la conséquence de cette mesure ?
La réforme des textes sur la gestion des devises date de décembre 2018. Elle répond en grande partie au besoin d’appliquer des mesures anciennes qui étaient peu mises en œuvre par les Etats au nom desquels la Banque centrale agit. Les entreprises, quelle que soit leur secteur, doivent s’adapter aux lois de leurs pays d’établissement, étant entendu qu’une concertation permanente est indispensable pour éviter des règles contreproductives. Si elles continuent à avoir des avantages à tirer de ces pays, elles y demeureront.

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