Crypto-monnaie : dangers et opportunités

Présentée par ses promoteurs comme un investissement innovant et rentable , sa non régulation fait peser d’énormes risques sur les placements des souscripteurs.


La police est à la recherche du promoteur de ChyMall, une société opérant dans la crypto-monnaie qui a subitement fermé ses portes en décembre 2020. Le 12 juin dernier, le directeur général de l’agence de Deïdo a été happé par les éléments de la gendarmerie à la suite d’une plainte déposée par des souscripteurs qui réclament leurs dus. Cette représentation ne serait pas la seule dans la ville. Un souscripteur habitué à un autre bureau à Akwa raconte son aventure avec cette entreprise qui se présentait comme étant spécialisée dans le commerce en ligne et le trading via le Chy point, une monnaie qu’elle a ellemême créé.« Ils nous ont fait miroiter le rêve. Au départ, ceux qui sont entrés dans le business ont eu beaucoup d’argent et c’est cela qui a attiré mon attention. Parce que lorsque mon ami qui était déjà investisseur me parle de cette affaire je n’y crois pas. Mais c’est lorsque je vois les résultats que j’y adhère et à ce moment-là nous sommes plus nombreux et ils ont monté les enchères donc il fallait payer plus ». Yves Harold dit avoir investi plus d’un million de F CFA dont une partie collectée auprès de sa sœur. « J’ai d’abord injecté 588 000 francs qui devaient me générer 88 000 chaque mois et 617 000 en six mois donc mon capital. Mais au moment de retirer mon gain, j’ai préféré laisser que ça produise plus et j’ai de nouveau pris 3 packs de 210 000 dont je devais avoir les gains en décembre», nous dit-il. Seulement, c’est précisément ce mois de décembre 2020 que la plateforme ChyMall dédiée aux transactions commence à ne plus fonctionner. Lorsque Yves Harold et ses amis vont au bureau d’Akwa, on leur fait comprendre que la plateforme est hyper sollicitée ; ce qui crée le bug. Un mois plus tard, les bureaux sont fermés et aucun responsable ne répond au téléphone. D’après les informations glanées, l’entreprise avait déjà des milliers de souscripteurs dans les villes de Douala et Yaoundé. Les investisseurs étaient également rémunérés en fonction du nombre de nouvelles personnes qu’ils faisaient adhérer.

160 Milliards de Flux Financiers Illicites

Le cas de ChyMall vient s’ajouter à celui de Mekit Invest. Le promoteur a été arrêté en décembre 2020 alors qu’il faisait des promesses de rendements non tenues qui allaient jusqu’à 15 % par semaine. Fabriquée de manière non conventionnelle et utilisée sur un espace virtuel, la crypto monnaie d’après des experts échappe au contrôle des institutions étatiques et peut servir à financer diverses activités illicites. Le rapport d’Évaluation Nationale des Risques publié en début d’année fait savoir à ce titre que l’utilisation de l’Ambacoin, crypto monnaie créée par les séparatistes aurait généré 160 milliards de F CFA de flux financiers illicites en 2018. Cette monnaie, souligne le rapport, était utilisée par « les groupes armées dont les comptes bancaires avaient été bloqués à la suite du déclenchement des poursuites judiciaires » pour 31 000 unités achetées à fin septembre 2018.

D’après ce même document, la crypto monnaie la plus utilisée au Cameroun est le Bitcoin. Dans le fonctionnement, chaque opérateur crée son unité monétaire. Liyeplimal par exemple, l’un des pionniers au Cameroun opère avec le dollar limo, dont l’unité équivaut à 1000 francs CFA. Les rémunérations pour chaque investissement sont versées tous les 7 jours pendant 52 semaines et les gains peuvent aller au-delà de 200 % d’après un adepte. Cet argent, nous dit il peut être transféré en Fcfa dans une carte visa et même, que certains espaces commerciaux dans les villes de Yaoundé et Douala acceptent cette monnaie.

Interview

Joel Mboango, expert en cybercriminalité

 « ce sont des systèmes calqués sous la pyramide de Ponzi »

Il explique avec Défis Actuels, le fonctionnement des transactions de crypto-monnaie et clés pour détecter l’arnaque.

Les placements crypto actifs sont très sollicités au Cameroun ces dernières années. On recense près d’une vingtaine de sociétés qui opèrent dans ce secteur de manière illégale.Comment percevez-vous cela ?

C’est simplement de l’arnaque à l’exemple des machines à Sous. Nous n’avons pas encore le même système que l’occident.  La majorité des individus qui opèrent dans le trading  chez nous sont des escrocs.  Les gens ont notamment fait la publicité de Global Investment Trading (GIT), la structure qui a mis sur pied Liyeplimal avec les sim d’où le Sim coin. Ils disent qu’aujourd’hui on peut payer son billet d’avion avec le Sim coin, payer des chambres d’hôtels, acheter des marchandises dans les supermarchés.  Mais si vous menez une enquête profonde, vous réaliserez que le tenancier de ce supermarché n’est autre qu’un adhérent de Liyeplimal. En fait, il va accepter de prendre vos coins parce qu’il va les convertir sur la plateforme et aller voir qui a plus d’argent sur cette plate-forme pour lui donner aussi ces coins pour ensuite récupérer l’argent que vous lui avez donné pour compenser l’achat que vous avez fait chez lui.  Lorsqu’on parle des hôtels, ils sont simplement créés par le GIT qui appartient à Liyeplimal. Vous n’irez pas dans un hôtel quelconque et payer avec la Sim coin. On vous indiquera des hôtels bien précis parce que l’hôtel appartient à l’un des membres initiateurs du concept. C’est parce  que cette monnaie en fait n’a pas de valeur.

Les acteurs promettent des taux d’intérêt au-dessus de 100% et on voit bien dans certains cas que des personnes entrent en possession de leurs gains. Comment procèdent-ils selon vous ?

Toutes les crypto-monnaies n’ont pas le même modèle de fonctionnement. Le bitcoin  par blockchain n’a pas  le même fonctionnement que  la crypto monnaie qui s’utilise dans le  trading ou les marchés en ligne.  En matière de trading, ce qu’ils font par exemple ChyMall, Longrich ouSairu,c’est qu’ils mettent sur pied un système qui la plupart du temps est calqué sur la pyramide de Ponzi avec pour principe,  plus de souscripteurs pour le maximum de gains. A la base de la pyramide, on a un nombre de souscripteurs qui adhèrent à un mouvement qui est créé par un individu X qui est le sommet.  Ce dernier créé des démembrements constitués de ses adjoints directs, des personnes à qui il fait confiance et il les forme. Elles à leur tour forment d’autres personnes et qui forment également d’autres etc. L’initiateur au sommet de la pyramide met sur pied la plateforme et crée une monnaie virtuelle qu’il insère susr le marché de la crypto monnaie.Ce marché peut ne pas être reconnu mais sur sa plateforme elle a une valeur.Sur la plateforme, on peut aller  d’un compte à un autre  mais dès que vous quittez la plateforme, vous ne pouvez plus rien faire avec cet argent. Donc vous donnez de l’argent en judicaire, on convertit en monnaie binaire. On vous dira par exemple que lorsque vous déposez 100000 francs, ils équivalent à 100 points Donc vous souscrivez à un pack sur le back office, ce pack vous donne droit à  certains avantages  et certaines marchandises que vous ne voyez pas mais, on vous fait comprendre que ces marchandises existent et que lorsque vous allez souscrire, des gens  vendront ces marchandises pour vous et vous serez rémunérés à la fin. Les intérêts proposés ne proviennent pas des marchandises vendus, mais des nouveaux souscripteurs. Ils sont payés afin d’amener le milieu de la pyramide à faire venir le maximum de souscripteurs. Une fois que le sommet a récupéré tous les fonds souhaités, il met un terme à tout.

Pensez-vous, que  cette  forme d’investissement peut servir de financement des activités illicites ?

Oui.Parce que les crypto monnaiessont des systèmes de paiement qui ne sont pas contrôlés. Ils permettent de contourner la sécurité monétaire. Il ya des montants par exemple que vous ne pouvez pas faire transiter par une banque sans donner des justificatifs. Par contre avec le bitcoin, c’est possible.  Une fois que vous filmez l’activité et que vous envoyez à l’intéressé qui doit vous faire parvenir de l’argent via un mode de paiement normal, vous pouvez supprimer la traçabilité  et votre portefeuille reste introuvable puisque c’est virtuel. Alors plusieurs personnes malsaines peuvent utiliser pour financer des activités illicites comme le blanchiment d’argent, des subventions des actes de terrorisme, et des entrées financières illégales dans un pays. Les cybercriminels par exemple lorsqu’ils veulent faire les paiements, ne pouvant aller en banque par ce qu’ils seront interpellés sur les montants, font des transactions  via la crypto monnaie. Il suffit de communiquer votre portefeuille virtuel ou wallet,  on vous transfère le bitcoin qui a une valeurdéjà reconnue et une fois que vous avez reçu l’argent, il suffit d’effacer votre compte. En plus, on utilise des pseudonymes et les numéros de comptes peuvent être supprimés à tout moment.

Winston Pouka, juriste

« Il y a peut-être un silence mais pas de vide juridique »

Quoi que cela puisse sembler étrange,  il existe des situations qui sont aux yeux du droit des inconnues, des objets juridiques non identifiés surtout si comme  les « crypto monnaies », il s’agit d’éléments  nouveaux et disruptifs. Les crypto-monnaies sont assimilées à des actifs financiers dans certains pays comme les États-Unis et sont par conséquent soumis aux impôts. Cela explique pourquoi l’Internal Revenu Service (IRS) a décidé de traiter le bitcoin comme un bien à des fins fiscales plutôt que comme une monnaie depuis le 25 mars 2014. Pour confirmer cette approche, soulignons qu’un juge de l’Etat de Californie a relaxé un prévenu poursuivi pour blanchiment d’argent car le bitcoin n’est pas un instrument monétaire. Cette solution est également partagée par de nombreux pays et territoires fiscaux comme la Finlande, Israël et  le Portugal.  La terminologie dans cette hypothèse  parlera  de crypto actifs.

Mais le débat sur la nature juridique des crypto-monnaies est vif et est fonction des divers prismes sous lesquels sont perçues ces préoccupations.   Les positions sont assez  divergentes entre le silence, l’assimilation à des moyens de paiement, la reconnaissance de leur cours légal ou d’un traitement assimilé et le rangement de ces éléments dans la catégorie des actifs numériques.  En fonction des choix juridiques ou des préférences on parlera de crypto actifs, de monnaies alternatives, de monnaies numériques etc.Il y a peut-être un silence mais pas de vide juridique sur la question des crypto monnaies. Ce silence s’explique par le caractère nouveau et disruptif de ces éléments or le droit n’est que la transposition au plan juridique plus ou moins parfaite des dynamiques d’une société à un moment donné. Comment donc le droit peut-il se prononcer sur une chose nouvelle quand les autres sphères de la société n’ont pas encore clairement intégré ces nouvelles venues ? Ainsi, suivant cet argument l’apparition de tout phénomène nouveau demandera une « mise à jour » du droit.

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