Notation souveraine du Cameroun : des pistes à explorer pour relever les défis

Par Emmanuel Yangam (Source: Défis Actuels)

Entre fin juillet et mi-août 2023, le couperet des deux importantes agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s s’est abattu sur le Cameroun. En cause les tensions de trésorerie mais surtout la gouvernance

Ces deux agences estiment que la dette camerounaise est moins sûre parce quele pays a tardé à rembourser des échéances dues auprès de la branche espagnole de la Deutsche Bank. Des retards de deux semaines, en moyenne, alors que les agences ont un seuil de tolérance de cinq jours. Ces difficultés remonteraient à la période janvier-novembre 2022, mais les agences n’ont eu que récemment connaissance des détails, d’où ces dégradations de la note souveraine du pays.

Ces retards seraient le fruit de tensions de trésorerie, en partie dues à la hausse de la facture des subventions des carburants en 2022, bien que le Gouvernement ait décidé de réduire le poids des subventions dans le budget 2023 par le relèvement des prix à la pompe en février. Le contexte sécuritaire dans l’Extrême Nord, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, qui provoque des dépenses imprévues généralement payées par avances de trésorerie, y a également contribué. L’inefficacité de l’administration publique est à pointer du doigt en définitive.

Entraînant une levée de boucliers des critiques qui s’intéressent plus à l’accessoire

En réaction, des critiques ont évoqué un manque d’objectivité et ont accusé ces agences de notation d’être promptes à dégrader la dette des pays africains. Généralement, les experts estiment que les paramètres utilisés par ces agences, quand il s’agit de l’Afrique, n’ont aucun lien avec ceux qui jaugent de la stabilité d’une économie. Le cas du Cameroun paraît révélateur dans la mesure où le pays fait preuve d’une résilience économique en 2022 : taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 4% selon l’Institut national de la statistique, déficit primaire sur une tendance baissière depuis 2020 et se situant à 0,4% du PIB, ratio de la dette de 44,8% du PIB (dont 29,5% pour la dette extérieure, libellée à 20,8% seulement en dollars).Bien plus, Standard & Poor’s a revu à la hausse la note du Cameroun quelques jours après sa première forte dégradation. Par ailleurs, les experts relèvent, pour le déplorer, la situation oligopolistique, sachant que trois agences dominent le marché de notation. Il en résulte des propositions qui s’attaquent peu aux vrais enjeux.

Saisir les vrais enjeux

Pour résoudre le problème, l’Union Africaine(UA) propose de créer une agence de notation panafricaine. J’ai peur qu’on prenne des impasses pour des autoroutes. Cette proposition est pour nous, à faible impact pour le financement efficace des économies africaines pour trois raisons au moins. Premièrement, des agences de notation financière existent déjà sur le terrain, mais ont une faible influence face aux trois géants internationaux . 

Deuxièmement, les pays africains, qui souhaitent accéder au financement sur les marchés obligataires internationaux (et non du continent), sollicitent, pour se faire noter, les agences qui ont une bonne réputation. L’Afrique offre peu de place financière forte ou capable de satisfaire complètement les besoins de financement des pays africains. 

Troisièmement, seules les notations de crédits des trois majeures imposent aux investisseurs internationaux la qualité des titres qu’ils peuvent acheter ou détenir. L’obtention d’une bonne note auprès de ces trois agences est donc essentielle pour nos pays.

Il n’est pas inutile de rappeler que la notation souveraine est l’appréciation par une agence de notation financière du risque de solvabilité d’un Etat (elle peut avoir un impact significatif sur les variations de taux d’intérêt pouvant provoquer des tensions sur sa solvabilité). Plusieurs critères sont pris en compte pour l’évaluation tels l’efficacité de la gouvernance, les niveaux de revenus et de croissance économique, les niveaux de solde budgétaire et la dette.

Pour le cas du Cameroun, les deux agences de notation affirment en résumé que, « les risques de dégradation du profil budgétaire et de liquidité du gouvernement sont liés à la volatilité des recettes pétrolières, à la poursuite des subventions aux carburants, à l’augmentation des dépenses de sécurité, à la mauvaise gouvernance d’entreprises publiques et à la gestion de la trésorerie, ainsi qu’aux risques politiques… ».

L’amélioration de la note passe par des réformes structurelles et le lobbying des pays africains

Autrement dit, l’amélioration de la note souveraine du Cameroun exige des efforts conjoints de toutes les parties prenantes.

Les pays africains doivent présenter un leadership uni pour plaider en faveur d’une plus grande transparence et une meilleure prise en compte du contexte du continent. La transparence est nécessaire pour ramener de la sérénité sur la planète financière. A ce titre, les pays africains devraient pousser à l’instauration d’une publicité sur les infractions constatées. 

Prenant en compte le fait que des investisseurs sont dans le capital des trois importantes agences de notation financière, les pays africains devraient exiger la publication par celles-ci de leurs principaux partenaires ainsi que la participation de leurs actionnaires dans les entités ou pays qu’elles notent. Parallèlement, ces pays devraient promouvoir des systèmes de scorings au sein des grandes banques et compagnies d’assurance nationales, pour un meilleur financement des entreprises locales.

Après la dégradation de la note souveraine du Cameroun, le Gouvernement doit se montrer encore plus vertueux, tout en cherchant des stimulants pour l’activité.

Il s’agit entre autres, de poursuivre la réforme pragmatique de l’administration publique (les agents de l’Etat doivent se présenter comme des défenseurs de l’économie nationale), d’améliorer le contenu en emplois de la croissance économique (par l’adoption d’une politique active d’emplois, en révisantle cadre institutionnel et réglementaire de création d’emplois, entre autres) et de renforcer le patriotisme économique. Au total, il est important de conduire une réforme volontariste de l’Etat basée sur la recherche permanente de la justice et de l’équité, qui suppose efficacité et efficience de l’action publique.

L’adoption de mesures fortes en faveur de la compétitivité de l’économie tout comme l’amélioration de la qualité de l’infrastructure économique (ressources humaines pour l’industrie, accès au capital et à la technologie, environnement réglementaire, infrastructure physique, etc.) devraient retenir l’attention des décideurs tant publics que privés. En particulier, les pouvoirs publics doivent réhabiliter la productivité et la transparence dans les entreprises publiques. L’Etat devrait donc mieux jouer son rôle d’actionnaire, en dressant le bilan de la gestion des entreprises publiques ou à participation de l’Etat.

Il sera également nécessaire de procéder à une analyse fine du potentiel de croissance des différents secteurs d’activité de l’économie. Cette analyse est d’autant plus capitale, que pour améliorer le climat propice à l’entrée des investissements directs étrangers, le Cameroun doit fournir des informations sur les possibilités d’investissements rentables.

Par Emmanuel Yangam (Source: Défis Actuels)

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