Djimadoum Mandekor, ancien directeur central au siège de la Beac: « Transparence, équité et obligation de rendre compte s’imposent à la Beac»

Après environ 35 années de service au sein de la Banque centrale, ce titulaire d’une maîtrise en économie du travail et des Ressources humaines, spécialisation en gestion du personnel au diplôme d’Economie et Finances de Sciences-po Paris fournit les outils d’analyse du fonctionnement de la Beac dans un essai intitulé « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante : promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général ».



Vous venez de publier un essai qui questionne la gouvernance défaillante de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale. Qu’est-ce-qui à motiver la production de cet ouvrage dont le titre est « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général » ?


Un des éléments déclencheurs de cet essai est le constat de la faiblesse des informations diffusées sur la BEAC, institution publique sous-régionale, tant par ses dirigeants que par la presse qui n’a pas accès facilement aux responsables de cette institution fortement imprégnée d’une culture du secret.
J’ai commencé à l’écrire fin janvier 2022, au vu notamment des articles publiés dans la presse camerounaise durant cette période, parfois dans différents journaux le même jour, et reprises sur les réseaux sociaux. Quelques-uns de leurs titres, souvent à la Une, étaient les suivants : Discorde sur la prorogation du mandat du directeur ; Le ring de l’intérim ; Alerte à l’incurie, il faut sauver la BEAC.
Il m’est apparu nécessaire de contribuer à l’approfondissement du débat en allant au-delà de ce qui semble ressortir des faits divers, surtout à un moment où la banque centrale était plutôt censée travailler à proposer, avec la Commission de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), « dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune ». Cette résolution du sommet extraordinaire des Chefs d’Etat de la CEMAC paraissait être tombée dans les oubliettes.
Par ailleurs, le livre participe à développer l’histoire des banques centrales, une discipline récente, à côté de celle des autres institutions publiques et privées. Le point de vue qu’il apporte, plus pointu car fondé sur une expérience directe, dans le sillage de l’essai de mon collègue Mahamat Massoud, publié en 2010 avec le titre « la Banque des Etats de l’Afrique Centrale, une dérive prévisible », est rarissime.


Vous écrivez ce livre après avoir travaillé 35 années à la BEAC. Pourquoi avoir choisi la fin de votre carrière, voire votre retraite, pour le faire ?


Vaut mieux tard que jamais. En lien avec ce que j’ai dit auparavant, dans cette atmosphère de silence entretenu, il devenait urgent de susciter des discussions sur l’évolution de cette institution dont le bon fonctionnement favoriserait un développement économique plus élevé et plus harmonieux. Et puis, étant en activité, je devais y consacrer l’essentiel de mon temps officiel de travail et au-delà. Il importe d’ajouter que la plupart des mécanismes de concertation et d’échange entre les directions, centrales et nationales, ainsi qu’avec le personnel a été mise en veilleuse.
Pour illustrer ce dernier propos, les réunions entre les services centraux et les directions nationales sont arrêtées depuis 2018, la commission générale et les commissions mixtes, structures de communication entre les dirigeants et le personnel, ne sont pas fonctionnelles, avec des règles de désignation des représentants du personnel dérogeant gravement aux principes du droit du travail.


Vous présentez un visage déplorable de la BEAC. Pourtant cette banque centrale remplit les missions qui sont les siennes, à savoir conduire la politique monétaire, gérer les réserves de change, promouvoir et veiller au bon fonctionnement des systèmes de paiement et de règlement, entre autres. En outre, le résultat de la BEAC est de 114 milliards de F CFA en 2023 contre 49,8 milliards un an plus tôt. Comment expliquez-vous le contraste entre ces résultats et la description que vous faites de cette institution ?


Tout d’abord, la BEAC comme toutes les banques centrales, doit remplir ses objectifs assignés en respectant un certain nombre de principes. L’indépendance qui lui a été concédée doit s’exercer dans la transparence, avec une obligation de rendre compte et un respect de l’éthique prescrivant notamment l’équité et l’impartialité. De nos jours où la diversité et l’inclusion sociale sont des valeurs proclamées par nos dirigeants politiques, il convient d’instaurer un examen permanent du fonctionnement des institutions publiques.
S’agissant de ses missions, une fonction importante, consignée dans ses statuts, est aussi, sans compromettre l’objectif premier de stabilité des prix et des changes, de soutenir les politiques économiques dans ses pays membres. Cet appui, entre autres, sous forme de conseils et d’assistance technique, y compris en matière de finances publiques, ne semble pas être convenablement poursuivie, avec la qualité des dépenses publiques globalement insuffisantes. Au total les pays de la CEMAC sont parmi les derniers dans le monde en matière de performance économique et sociale ainsi que de gouvernance. Que pèse le niveau de bénéfice de la BEAC face au sous-emploi massif dans la population quand les efforts pour réduire le coût du crédit ne sont pas très visibles ?


Comment sortir de cette gouvernance que vous qualifiez défaillante ?


Le système de gouvernance actuel de la BEAC, présenté dans ses statuts, résulte des réformes institutionnelles entreprises entre 2006 et 2009, à la suite notamment du scandale du détournement des fonds constatés en 2009 à son bureau parisien. Les failles significatives notées depuis mai 2022 dans l’organisation et la publication des résultats du concours de recrutement des cadres supérieurs, montrent la nécessité d’une réforme profonde de ce système. Cette observation est à mettre en parallèle avec le constat établi par le Comité des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale, le 30 octobre 2023, à la suite d’un rapport d’audit sur le fonctionnement de la Commission de la CEMAC, sur l’extrême gravité et l’ampleur des dérives révélées. Cette instance de la CEMAC comprenant les ministres des finances et de l’économie, a recommandé « l’extension des audits à toutes les institutions de la CEMAC ».
La révision drastique de la gouvernance de la banque centrale devra être inspirée des meilleures pratiques internationales si nous voulons conserver sa crédibilité, dans la perspective surtout de son administration par ses seuls pays membres. Elle passe par une autonomie effective, vis-à-vis des Etats, des membres des instances de gestion, de supervision et de contrôle de l’institut d’émission, en l’occurrence le gouvernement de la Banque, le Conseil d’administration, le Comité d’audit et le Comité de politique monétaire. Ceci découlera principalement du mode de désignation de ces personnalités et de leur obligation réelle de rendre compte.
Il nous faut en effet abandonner l’attribution en gré en gré des postes dirigeants de la BEAC et des autres institutions de la CEMAC. Cette exigence est conforme aux principes de gouvernance globale dans nos pays où les marchés et les emplois à caractère publics doivent être alloués en suivant une procédure transparente imposant notamment l’appel à des candidatures. Plus spécifiquement, la liste de trois personnes présentées par chaque pays, selon des modalités inconnues du commun des citoyens de la sous-région, sans une intervention dans la sélection de ces candidats, d’un cabinet de recrutement indépendant, de réputation mondiale, ne peut pas assurée le choix d’un haut dirigeant à la compétence et à l’intégrité incontestables.
Dans votre livre sous suggérez la levée du verrou existant actuellement concernant la désignation comme premier responsable des ressortissants du pays des sièges des institutions de la CEMAC, par exemple un gouverneur camerounais à la BEAC …
En effet, si le système de gouvernance des institutions communautaires, après sa réforme préalable indispensable, assure leur bonne gestion et leur efficacité, dans la transparence, l’obligation de rendre compte, la probité et l’équité, cette ouverture permettrait de profiter de toutes les intelligences de la sous-région, sans exclusive, dans la conduite desdits institutions et organismes. Ainsi, par exemple, le Cameroun, qui compte pour près de la moitié de la population de la CEMAC, devrait aussi voir un de ses ressortissants diriger la banque centrale commune. Ceci est en ligne avec la revendication des pays africains obtenir la désignation de leurs citoyens à la tête des institutions de Bretton Woods.


Vous avez aussi évoqué la question du Franc CFA dans votre ouvrage. Vous avez semblé dire que le comportement des dirigeants de la BEAC rend difficile la sortie de la zone FCFA. Dans votre ouvrage. Vous avez semblé dire que le comportement des dirigeants de la Beac rend difficile la sortie de ladite zone. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?


La question du FCFA a été essentiellement abordée par moi que dans sa dimension d’émancipation de la zone franc. Le thème des conditions d’abandon du lien avec la France, du nouveau régime monétaire, de son organisation, du cadre institutionnel de gestion de la nouvelle monnaie étant très vaste, mérite d’être examiné par un Comité dont j’ai préconisé la création. Ce comité comprendrait notamment, à côté des représentants des Etats, des experts de réputation internationale, originaires de la sous-région et d’ailleurs.
Le peu d’empressement à avancer sur la voie d’une souveraineté monétaire véritable montre les limites de l’indépendance des dirigeants de la BEAC et leur manque de volonté propre sur ce sujet. Pourtant les travaux théoriques y relatifs existent et démontrent les capacités des économistes de nos pays et des autres experts à élaborer les schémas nécessaires à l’édification d’une monnaie propre à la sous-région avant d’aller éventuellement, progressivement vers une monnaie continentale. Avec Kako Nubukpo on peut constater que le confort apporté par les importations à faible coût procuré par l’appartenance à la zone franc dissuade les élites de cet ensemble des initiatives dont elles ne prennent pas le temps de mesurer tous les risques.

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