Christian Ebeke:  » La situation du Cameroun  est beaucoup plus structurelle que conjoncturelle « 

Le camerounais nouvellement nommé representant résidant du FMI au Nigéria,  livre son analyse sur le Cameroun. Il s’est exprimé  il y a quelques semaines dans un entretien sur STV Télévision.

Quelle lecture faites-vous de la situation macroéconomique actuelle du Cameroun ?

D’un point de vue personnel, qui n’est pas celui du FMI, la situation macroéconomique du  Cameroun est d’un optimisme prudent. Je suis optimiste quant au potentiel énorme que dispose le Cameroun, un potentiel humain, un potentiel au niveau des ressources naturelles,  et un potentiel en termes d’attractivité de certains secteurs comme le tourisme qui n’a pas encore véritablement décollé. Je vois un énorme potentiel dans ce pays, mais je dis aussi la prudence parce que la conjoncture internationale n’est pas très favorable. Nous sommes dans une période de resserrement des conditions financières dans certains pays. La plupart des banques centrales sinon toutes, ont augmenté leur taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Ensuite vous avez beaucoup d’autres problèmes comme l’endettement excessif dans plusieurs pays. La lutte contre l’inflation n’est toujours pas gagnée d’avance. Vous avez l’augmentation fulgurante de la population qui appelle  à des politiques sociales beaucoup plus rigoureuses. 

Au regard du budget de cette année par exemple et d’autres instruments financiers mobilisés par le Cameroun, avez-vous l’impression que de bons choix ont été faits compte tenu de cette conjoncture internationale ?

Je pense que le Cameroun est dans une situation qui est similaire à beaucoup d’autres pays émergents et en voie de développement. C’est une situation où les besoins sont présents. L’espace de politiques économiques est resserré par ce que vous avez la politique monétaire qui est très occupée à lutter contre l’inflation. Donc la possibilité pour la banque centrale de relancer l’économie est quasi nulle par ce que l’objectif prioritaire c’est de lutter contre l’inflation. Je pense que pour le Cameroun cette année, il y a des mesures difficiles qui ont été prises par le gouvernement. Dans d’autres pays c’est très compliqué par exemple de faire une réforme des subventions des prix des hydrocarbures. Le Cameroun a enclenché cette réforme. C’est un pas positif. Les réformes pourraient être  douloureuses. Il faudra accompagner cela des mesures qui ciblent les populations vulnérables par ce que certaines réformes auront des impacts distributifs assez importants. Je pense que le gouvernement en est tout à fait conscient. Il est engagé dans des discussions franches avec les partenaires techniques et financiers.

Selon vous qu’est ce qui a été fait à demie mesure ?

Nous avons créé une économie qui dépend extrêmement de l’extérieur. Nous avons des principaux produits d’exportation que nous exportons vers le reste du monde. Notre économie n’est pas suffisamment diversifiée. Donc la problématique aujourd’hui est  beaucoup plus fondamentale. C’est notamment comment nous arrivons à créer une résilience face aux différents chocs. J’ai mené une étude dans le cadre de mes travaux bave le FMI sur les conséquences d’une fragmentation de l’économie mondiale entre le bloc Est et le bloc Ouest pour les pays pauvres. Dans cette étude, nous montrons que les petites économies comme celle du Cameroun allaient subir de plein fouet les guerres entre les deux mastodontes qui arrivent. Donc les chocs viendront davantage. La capacité du Cameroun à résister à  ces chocs dépend essentiellement de notre capacité à diversifier notre économie. Elle aussi dépend d’un certain nombre de facteurs comme la bonne gouvernance, les infrastructures, le capital humain etc. Donc la situation du Cameroun aujourd’hui est beaucoup plus structurelle que conjoncturelle bien que la conjoncture soit défavorable. 

Il y a quelques jours, l’agence de  notation moodys a  procédé à une baisse de la note sur la note souveraine  à long terme du Cameroun de B2 à CAA1. Pouvez-vous expliquer à quoi cela renvoie ?

 Cette baisse de la note du Cameroun est le résultat  d’une série d’indicateurs selon moodys notamment les retards de paiement à fin 2022 et début 2023, du service de la dette sur certains contrats etc. Le problème avec ces notes c’est qu’elles ont aussi des caractères subjectifs. Il y a beaucoup d’éléments qui ne sont pas toujours mesurables.  Le risque politique est difficilement mesurable. La qualité par exemple de l’environnement des affaires, vous pouvez la mesurer mais ce n’est pas  précis. Les experts de moodys  vont regarder une batterie d’indicateurs, attribuer une note et ensuite la modifier avec ce qu’on appelle le jugment.  Ils vont juger un certain nombre d’éléments notamment de perception.  Il faut dire que la conséquence de la baisse d’une note est que les conditions de l’emprunt seront désormais un peu plus élevées. Lorsqu’on baisse votre note, cela envoie un signal au marché financier que votre signature a pris un coup. Le problème est que lorsque vous allez emprunter sur les marchés internationaux, vous devez être impeccables sur votre  capacité à gérer votre trésorerie.  Il est très facile pour des agences de baisser une note que de vous remettre où vous étiez. Ça prend un certain nombre de temps lorsque vous faites des réformes pour avoir un meilleur rating.

S’agissant du récent sommet Russie Afrique, pensez-vous comme certains que c’est une ouverture à une autre forme de colonisation ? Recevoir des fonds massivement et ouvrir légèrement nos ressources aux pays du bloc, sans forcément qu’on en ressente un véritable développement au plan local

L’enjeu pour les pays africains comme le Cameroun c’est véritablement de réussir à naviguer ces eaux troubles dans lesquelles l’économie mondiale se trouve actuellement. Le monde se divise de plus en plus en plus en blocs. Vous avez le bloc Est qui est composé d’américains européens, le bloc ouest constitué des pays comme la Chine et ensuite un bloc de pays stratégiques comme l’Inde qui veille que dans ce marasme les intérêts indiens soient respectés. Pour moi, les chefs d’Etats africains que j’ai vu a parais ou à Saint Petersburg se situent dans ce pragmatisme. Vous avez des pays qui estiment que nous n’allons pas nous mettre dans un bloc, les conflits géopolitiques ne nous concernent pas. Aujourd’hui dans le Sahel vous avez des pays qui ont fait le choix de faire uniquement recours au soutien sécuritaire offert par Moscou. Et quand vous faites un choix vous devez savoir quelles sont les conséquences qui vont avec.

Quelles peuvent en être les conséquences ?

Nous avons fait une étude sur le sujet et nous avons démontré que dans un contexte où le monde se divise en deux blocs et les pays non alignés sont forcés à choisir un bloc, alors cette configuration engendre une baisse de l’économie mondiale allant de l’ordre de 6 à7%.   Certains pays africains pourraient assurer à long terme à une baisse de leur PIB de l’ordre de 15% à 20% donc il est fondamental  que l’on arrive à jouer sur cette ligne fine  de diplomatie économique où nous ne prenons pas partie.  Sinon les conséquences des sanctions de l’un ou l’autre bloc peuvent être terribles pour nos économies par ce que nous sommes de petites économie,  et par ce que nous avons longtemps bénéficie des échanges internationaux. Une fragmentation de l’économie mondiale aura des effets désastreux pour nous. J’ai suivi le discours du chef de l’état à ce sommet. Il faisait la promotion du multilatéralisme. Pour moi c’est la seule solution.

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