Jean-Marie Biada* : « Camair-Co doit diversifier ses sources de revenus »

Le spécialiste des questions d’économies d’entreprise pense que la compagnie aérienne nationale ne devrait plus uniquement miser sur la vente des billets pour sa survie.

Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle de Camair-co ?

Camair-co est un très grand malade. C’est une entreprise qui a démarré alors qu’elle ne devait pas. Le chef de l’Etat a signé le 11 septembre 2006, le décret portant création de Camair-Co et le vol inaugural n’a eu lieu que le 28 mars 2011, presque cinq ans plus tard avec tout au plus trois avions dont un en propriété et deux autres en location. Mais Camair-Co aurait pu attendre d’avoir au moins six avions qui lui aurait permis d’avoir le seuil de rentabilité, c’est-à-dire que l’exploitation de ces six avions devait lui permettre de dégager un chiffre d’affaires satisfaisant et lui éviter d’enregistrer des pertes. C’est lorsque vous avez ce seuil de rentabilité que vous envisagez de réaliser des bénéfices sur le chiffre d’affaires supplémentaire que vous aurez fait. Malheureusement, cela n’a pas été le cas pour Camair-Co qui a commencé avec une formule unique en son genre. Une entreprise commerciale est créée pour gagner de l’argent. Mais le Cameroun a créé une entreprise commerciale qui lui faisait perdre de l’argent. La compagnie nationale fonctionnait sur les subventions d’équilibre soit 1,5 milliards de francs CFA par mois. Au bout d’un an, vous êtes à plus de 15 milliards de dépenser. Résultat des courses, Camair-co a été lancée alors que tout n’avait pas été réuni. La compagnie ne rapporte pas de l’argent, elle vit sur ce qu’on appelle subvention d’équilibre et en l’espace cinq ans, elle s’est retrouvée lourdement endettée. La base n’était pas bonne et c’est pour cette raison qu’en huit ans, nous avons eu six directeurs généraux. Nous nous sommes même retrouvés avec deux directeurs généraux en une année. Qu’est ce qui fait réellement problème ? C’est le business model. Il y a une cause qu’on ne considère pas toujours, nous appelons cela en système d’informations la loi faible du grand nombre. Ce qui veut dire qu’à mesure que vous associez du nombre dans le processus de prise de décisions, cela retarde le temps de la prise de décisions. Camair- Co se trouve avec une kyrielle d’instances de prise de décisions. Vous avez la Direction générale, le Conseil d’administration, l’Assemblée générale, la tutelle financière qui est le ministère des Finances, la tutelle technique qui est le ministère des Transports, la Primature, le Secrétariat général de la présidence de la République et le président de la République. Vous convenez avec moi que dans ce cadre, il est difficile de prendre des décisions spontanées. Mais c’est quoi une décision spontanée ? Vous savez que dans le domaine du transport aérien, vous devez être membre d’une sorte de chambre de compensation. Il faut donc payer des contributions. Par exemple, vous devez transporter les pèlerins pour le hadj dans une semaine et vous n’avez toujours pas payés vos cotisations. Au lieu de le faire rapidement, vous perdez le temps à passer de ministère en ministère jusqu’à la Primature et le délai de départ à la Mecque passe. Mais sachez qu’on ne peut pas repousser le délai parce que vous n’arrivez pas à payer vos cotisations à la chambre de compensation. Résultat, les fidèles vont aller chez le concurrent. Cela dégrade votre image de marque et vous n’êtes plus la compagnie qu’on peut référencer ou recommander. Pourquoi l’Etat ne s’attèle-il pas à réserver un marché captif à Camair- Co ? Le hadj est déjà à 2,7 millions par personne, l’Etat a subventionné à hauteur d’un milliard, ce qui ramenait les frais à 2,3 millions. Mais si je ne prends que le montant de 2 millions par personne. S’il y a 1000 personnes qui se rendent à la Mecque, cela fait 2 milliards de francs et 3000 personnes cela fait six milliards. Pourquoi ne pas réserver un marché comme celui là à Camair-co ? Vous convenez avec moi que dans ce centre de prise de décisions actuelle, vous pouvez faire venir le directeur général de British Airways cela ne va pas marcher.

Quel crédit accordez-vous au plan de relance de Camair-co ?

Ce plan de relance a été fait sur la base qu’il faut acquérir neuf avions. Vous savez le malheur qui vient de s’abattre sur le Cameroun. La Sonara a brulé et il faut des milliards pour restructurer cette entreprise. Il faut bien trouver cet argent pour que les populations de l’arrière pays qui n’ont pas d’électricité ne soient pas privées de pétrole. Voilà la priorité actuelle de l’Etat, au lieu d’acheter neuf avions pour venir transporter les officiels et les fonctionnaires qui occupent les premières classes sans rien reverser à la compagnie. Cela fait trois ou cinq ans qu’on parle de faux contrats à CamairCo et vous trouvez ça normal ? Ce qui voudrait dire que même le milliard que le ministre des Finances vient de débloquer pour la compagnie ne va servir à rien si on ne change pas de comportement. Même si on apporte le meilleur plan possible et qu’on continue de prendre des libertés sur la gestion des ressources publiques, on ne sortira pas de l’auberge. Le plan de relance oui, mais je n’y crois pas trop parce qu’actuellement l’Etat ne peut pas avoir les moyens de s’offrir neuf avions.

Que proposez-vous pour le relèvement de Camair-Co ?

Pour que la compagnie puisse se relever j’ai trois propositions à faire. Premièrement, augmenter ses parts, l’Etat ne fait pas la promotion de ses produits phares. Deuxièmement, le seul centre de profit ou de ressources de la Camair-Co c’est la vente des billets. Mais avant que Camair-Co ne vienne, la Camair avait déjà réussi l’exploit de mettre sur pied à côté du port de Douala, un centre technique où on dépannait les avions. Ils appellent ça «check C». Il démontait tout, le train d’atterrissage, le fuselage, les réacteurs…il le faisait déjà. Camair-Co pourrait reprendre ces activités d’entretien de ses avions et des avions des autres compagnies. Le ministre des Transports qui va à l’étranger dans une autre compagnie ne convainc pas les autres de prendre la destination Camair-Co. Mais s’il arrive qu’il descende à Roissy Charles de Gaulle à bord de Camair-Co, les autres concluront que, quoiqu’on en dise, Camair-Co n’est pas si mauvaise. Ce qui lui ferait un second centre profit. Camair a fait faillite et a disparu, mais Camair-Co n’a hérité ni de l’actif, ni du passif de la Camair. Troisièmement, une réforme institutionnelle. Que le gouvernement appuie rapidement la liquidation de la Camair au point que tous les articles résiduels utilisables soient affectés à la Camair-Co, c’est-à-dire que le siège de Bonanjo revienne à Camair-Co, tout comme le siège de Yaoundé, de Garoua, de Kinshasa, de Paris, etc. Ça va régler les charges parce que Camair-Co loue aux Aéroports du Cameroun (ADC). Au lieu d’aller mettre 54 millions francs CFA chaque mois à l’aéroport pour être en difficulté, Camair-Co économisera cet argent parce qu’elle aura déjà installée dans ses locaux à Bonanjo. Autre centre de revenu, l’immeuble de près de dix niveaux qui est en face des services du gouverneur à Douala. Il appartenait à Air-Afrique. Et comme le Cameroun est sorti pour créer la Camair, le Cameroun a racheté l’immeuble qui a été reversé dans le patrimoine de la Camair. La Camair-Co peut reprendre cet immeuble et le transformer en hôtel. C’est vrai que ça ne fait pas partir de son objet social, mais il vaut mieux avoir des sources de revenus supplémentaires. Pour développer Camair-Co, il faudrait d’abord un maximum de patriotisme partagé entre les dirigeants et les clients. Les fonctionnaires doivent faire montre de patriotisme. C’est-à-dire s’abstenir de détourner de l’argent et ne faire que des recrutements indispensables. Quand nous voulons aller en mission à Paris, nous mobilisons à l’avance les ressources nécessaires et nous allons payer les frais à Air France, pour être en Première Classe. Mais quand nous venons à Camair-Co, nous nous prenons une réquisition. Or, nos prix à Camair-Co sont souvent le tiers de ce que nous payons à Air France.

Réalisée par Ghislaine Ngancha
*Expert en mise à niveau des entreprises

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