Depuis au moins 4 ans, la ville de Yaoundé traverse une véritable crise d’insalubrité. Pour endiguer ce phénomène qui contribue à enlaidir le visage de la capitale qui souffre déjà de la détérioration de ses axes routiers, la mairie de la ville a envisagé bon nombre de solutions. Récemment, elle a décidé de briser le monopole du marché de la collecte des ordures que détenait l’entreprise Hygiène et salubrité du Cameroun (Hysacam), depuis plus de 30 ans, en recrutant une seconde société dénommée Thychlof Sarl. La communauté urbaine compte poursuivre sur cette lancée, en recrutant d’autres prestataires qui vont venir appuyer les efforts des entreprises déjà sous contrat avec l’Etat et ses démembrements. Du côté de Hysacam, on ne nourrit que très peu d’espoirs sur la réussite de ce procédé. Au lieu de multiplier les opérateurs, l’entreprise est convaincue qu’il est plus judicieux de mettre d’importants moyens financiers à la disposition des structures déjà présentes sur le marché, afin de leur permettre de mobiliser davantage de ressources matérielles avec lesquelles elles pourront optimiser la collecte des ordures. «Le problème n’est pas lié au nombre d’opérateurs qui interviennent. Si les questions de fonds ne sont pas adressées, qu’on ait Hysacam aujourd’hui et que demain on ait 3, 4,5 ou 6 entreprises, toutes ces entreprises feront face aux mêmes difficultés. Parce que je vois mal comment on peut collecter 1000 à 1500 tonnes de déchets si on n’a pas d’équipements appropriés. Ces équipements sont mécanisés, donc consomment de l’énergie, consomment du carburant, consomment des ressources humaines en termes de personnes à mobiliser qui attendent chaque fin du mois d’être payées.», indique une source au sein du top management de l’entreprise.
Moyens financiers
L’insuffisance des moyens financiers alloués au ramassage des ordures dans la ville de Yaoundé a toujours constitué l’un des principaux points d’achoppement entre Hysacam et l’Etat. Selon des chiffres dévoilés par Jean-Pierre Ymele, le directeur général de cette société, lors d’une réunion de concertation organisée le 11 juillet 2023, la ville de Yaoundé a besoin d’un minimum de 15 milliards de FCFA chaque année, pour assurer le ramassage des ordures. Cependant, pour ce service, le gouvernement ne débourse que 4 milliards par an, laissant le soin aux collectivités territoriales décentralisées de régler l’autre partie de la note. Toutefois, les retards accusés par l’Etat dans la mise à disposition de sa quote part, ainsi que les tensions de trésorerie au niveau de la communauté urbaine de Yaoundé paralysent régulièrement le secteur. «Tous les travaux, que ce soit les travaux routiers ou de gestion des ordures, sont fait par la mairie de la ville sur fonds propres. Leur financement dépend également du compte unique du Trésor, où vous pouvez avoir une provision, mais vous ne pouvez pas en bénéficier du fait des tensions de trésorerie. C’est ce qui fait que si vous ne payez pas ces entreprises, pour qu’elles aussi puissent payer leur personnel, il y a des moments de fatigue, et même des moments de débrayage, que vous avez trouvés» a récemment indiqué Luc Messi Atangana, le maire de la ville de Yaoundé.
Ce déficit de financement pourrait être comblé par les recettes issues du droit d’accises spécial destiné au financement de l’enlèvement et le traitement des ordures au bénéfice des Collectivités territoriales Décentralisées. L’opérationnalisation de cette taxe instaurée dans la loi de finances 2019 a été lancée l’année dernière par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, qui a également fixé les modalités de recouvrement, de centralisation, de répartition et de reversement de cet impôt qui représente 0,5% de la base imposable de toutes les marchandises importées, exception faite des importations en franchise prévues par l’article 276 du Code des douanes de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Ledit impôt sera collecté par la douane, qui retiendra 5% de l’enveloppe globale au titre de frais d’assiette et de recouvrement. Les 95% restants seront centralisés par le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunal (Feicom), la banque des CTD, qui se chargera ensuite de les redistribuer aux communautés urbaines, aux communes et communes d’arrondissements du pays.
Corollaires
S’il ne le dit pas clairement, le discours de notre interlocuteur évoqué supra, laisse penser que l’Etat et ses démembrements sont pour le moment, les principaux responsables de la situation critique dans laquelle la ville de Yaoundé se trouve. Il en veut pour preuve, le non-respect de leurs engagements financiers, ainsi que le choix d’un contrat qui selon lui, ne peut permettre à Hysacam de déployer le nombre de camions nécessaires pour collecter les 3000 tonnes de déchets (chiffre dévoilé par Hysacam, ndlr) produits dans la ville de Yaoundé chaque jour. «Nous travaillons dans le cadre d’un contrat. Beaucoup de gens ne le savent pas, mais ce contrat définit jusqu’au nombre de camions qui doit être déployé. Dans la ville de Yaoundé, il est prévu que l’on déploie une cinquantaine de camions. C’est le nombre contractuel défini. Nous estimons que pour faire de Yaoundé une ville propre, il faut déployer au moins 150 camions. A condition que des centres de transfert aient été aménagés. Sinon on peut même monter à 200 camions», révèle notre source qui précise par ailleursque «Quand vous avez dimensionné un marché avec 50 camions, il vous est difficile de mobiliser 100 ou 150, puisque la rémunération est assise sur le nombre de camions que vous avez mobilisés. Donc il faut revoir cette structure, et définir des objectifs de collecte qui vont entraîner des objectifs de moyens. Est-ce que Hysacam est capable de mobiliser 150 à 200 camions pour la ville de Yaoundé ? La réponse c’est oui. On l’a fait par le passé. Mobiliser les camions pour Hysacam n’est pas un problème. Le vrai problème c’est: Est-ce que les ressources budgétaires disponibles peuvent permettre, si ces camions ont été financés sur des crédits de les rembourser aisément ?», s’interroge-t-elle.
En attendant la régularisation de la situation financière et contractuelle, Hysacam propose, pour améliorer le système de collecte des ordures, de construire des centres de transfert qui vont permettre de stocker provisoirement dans des zones éloignées, d’importantes quantités de déchets en une seule fois. Tout en appelant les populations à plus de civisme, notamment en valorisant l’utilisation des poubelles, la structure milite tout aussi pour la création des zones de regroupement dans les quartiers, où les habitants pourraient venir déposer leurs déchets issus de la pré-collecte à domicile.