Depuis le 11 novembre, la capitale économique du Cameroun, Douala, accueille la première édition du Festival international du manioc « All Kassava ». Organisé par l’ONG Femme Action et Développement au Cameroun (Fadec), ce rendez-vous inédit s’articule autour du thème : « lutte contre l’insécurité alimentaire par la promotion du manioc, la valorisation de son potentiel économique et la préservation de sa richesse gastronomique ». Il rassemble, ainsi les acteurs de la filière manioc autour d’un objectif commun : faire de ce tubercule un levier de sécurité alimentaire et un moteur de développement économique pour le pays.
Selon Yvette Doume, présidente du Fadec et promotrice du festival, le but est de mettre en lumière les 30 façons de consommer le manioc et de dévoiler la diversité de ses produits dérivés. Cultivé et récolté abondamment toute l’année, le manioc se prête à une multitude de préparations au Cameroun. Que ce soit en couscous, en gari, en bâtons ou encore dans des plats à base de ses feuilles, ce tubercule s’adapte à la créativité des consommateurs et aux nombreuses opportunités du marché.
C’est le ministre de l’Agriculture et du Développement Rural (Minader), Gabriel Mbaïrobe, qui a inauguré cette manifestation dédiée à un produit essentiel de la culture camerounaise. Consommée dans les 10 régions, « le manioc est une culture importante, car elle contribue à la sécurité alimentaire et crée de l’emploi, notamment pour les femmes et les jeunes », a déclaré le Minader. Et de poursuivre : « nous avons une production aujourd’hui de l’ordre de six millions de tonnes de manioc par an. Cela correspond à 200 kilogrammes de manioc par an par habitant. C’est largement au-dessus de la norme exigée ».
Saluant cette initiative qui ambitionne de transformer le manioc en une ressource incontournable, capable de dynamiser l’économie nationale et de réduire les importations, le ministre a rappelé les ambitions du Cameroun d’atteindre une production de dix millions de tonnes de manioc par an d’ici 2030, dans l’optique de réduire les importations de farine de blé qui coûtent au pays près de 20 milliards de FCFA par an. Marie Dine Adzogo, 4e Adjoint du Maire de Douala, a exprimé l’espoir que ce festival apporte des résultats concrets : « Je souhaite que les ateliers de ce festival aient un impact réel sur le terrain, afin que la filière manioc, chère au gouvernement, émerge et gagne en efficacité », a-t-elle souligné, rappelant que cette démarche s’inscrit dans la Stratégie Nationale de Développement (SND30) et le Plan National d’Investissement Agricole (PNIA).
En 2020, la production de manioc au Cameroun atteignait environ 5,7 millions de tonnes, pour une contribution de 350 milliards de FCFA au PIB agricole. La stratégie gouvernementale vise un accroissement à 7,5 millions de tonnes d’ici 2025 et 10 millions de tonnes en 2030, avec des rendements portés à 20 tonnes par hectare.
UN APPEL AU SECTEUR PRIVÉ
Dans le cadre du Plan intégré d’importsubstitution agropastoral et halieutique (Piisah) 2024-2026, le Cameroun prévoit une production de 195 750 tonnes de farine de manioc d’ici 2025. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement entend installer 150 unités de production de farine dans les dix régions du pays avec le soutien de la Banque mondiale. Une première usine a déjà été inaugurée en janvier dans la région du Sud, marquant une étape décisive pour la transformation industrielle du manioc.
Le ministre Mbairobe a appelé le secteur privé à jouer un rôle plus actif dans le développement de la filière manioc, en investissant pour moderniser les infrastructures, améliorer les techniques de production, et ouvrir de nouveaux marchés pour les produits dérivés. « Le manioc offre une farine panifiable aux excellentes propriétés nutritionnelles et organoleptiques, pouvant se substituer au blé », a-t-il rappelé, insistant sur la nécessité d’une implication du secteur privé pour concrétiser cette vision d’autosuffisance alimentaire.
Au Cameroun, le manioc est consommé sous une vingtaine de formes différentes, avec 80 % de la population qui consomme au moins un produit dérivé de ce tubercule. Sur le plan nutritionnel, il représente selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la troisième source mondiale de glucides et une ressource accessible pour l’alimentation animale. Outre son utilisation en cuisine, le manioc sert de matière première pour l’industrie pharmaceutique, textile et brassicole. Ses dérivés incluent l’amidon, la farine et même le whisky, tandis que ses feuilles sont utilisées dans les cosmétiques.
YVETTE DOUME, présidente du Fadec et promotrice du festival international « All Kassava »
« L’intelligence artificielle peut être au service de la culture du manioc »
On aimerait que les professionnels nous disent pourquoi il n’y a pas assez de manioc, ce qu’il faut faire pour booster sa production, quelles sont les espèces de manioc, pourquoi on n’arrive pas à satisfaire la demande, même pour les produits transformés de base comme le bobolo, le miondo, le gari. L’offre est insuffisante alors que la demande est énorme, au niveau national, régional et même international, où nos produits se vendent très bien. Pendant le festival, il y a beaucoup de renforcement des capacités. Notamment deux journées d’ateliers de réflexion sur la production. On discutera de l’état des lieux de la production du manioc au Cameroun, des transformations et des problèmes de conservation. Nous avons beaucoup de problèmes de conservation du manioc.
Pourquoi est-ce que sous d’autres cieux on conserve le manioc pendant des mois, alors que nous n’y arrivons pas ici ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Y a-t-il des recherches ou des trouvailles dans ce domaine ? Ensuite, il y aura des discussions sur la bancarisation des projets agricoles. Les agriculteurs ne savent pas toujours vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, donc il est important que les banques vulgarisent leurs produits. L’assurance agricole doit également être vulgarisée. Pour accéder au marché international, nous avons des produits transformés, mais ils ne respectent pas toujours les normes. Il faut des labels, des standards mondiaux et internationaux. On discutera aussi de cela, notamment du packaging. Il y a un aspect novateur : on aimerait que les jeunes sachent que l’agriculture n’est pas une histoire de pauvres.
L’agriculture, c’est l’avenir. Parce qu’on leur dit tous les jours que l’agriculture, c’est l’avenir, mais il faut leur expliquer pourquoi et comment. Il faut qu’ils sachent aussi qu’on peut adapter l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies, comme la robotique, à l’agriculture pour être très performants. Il y a plusieurs types de transformations du manioc. En dehors des formes classiques comme le foufou et le watafoufou, on trouve maintenant des savons à base de manioc, du whisky de manioc, du yaourt de manioc, des saucisses de manioc, des insecticides à base de manioc et bien d’autres produits.»