Suspension de toute immatriculation des navires de pêche, mise en place d’un groupe de travail… Depuis la sanction infligée au Cameroun par l’Union Européenne en 2023, les autorités ont entrepris plusieurs démarches visant à corriger cette situation pour laquelle l’image du pays a pris un coup.
Aucune immatriculation de navire de pêche n’est actuellement autorisée au Cameroun. Les immatriculations ont été suspendues par les autorités jusqu’à nouvel ordre. C’est l’une des mesures prises par le gouvernement après le « carton rouge» attribué au Cameroun par la Commission européenne au mois de janvier 2023. Le pays avait été alors classé comme « non-coopérant » dans la lutte contre la pêche Illicite Non déclarée et Non Règlementée (INN). Il était reproché aux autorités camerounaises d’avoir « continué à enregistrer des navires de pêche opérant en dehors de ses eaux sans que leurs activités ne fassent l’objet d’un quelconque suivi », selon le commissaire européen à la Pêche, Virginijus Sinkervicius.
Le sous-directeur des pêches au Minepia avait expliqué cette sanction l’année dernière. Dr Joseph Yepka, rappelait qu’en effet, « il y a des bateaux qui ont notre pavillon et qui pratiquent la pêche en dehors de nos eaux dans les pays tiers et nous avons quelques difficultés à contrôler ces bateaux-là. Or, ils sont dans notre pavillon et donc nous répondons d’eux. Donc c’est cette faiblesse dans la capacité à contrôler ces bateaux en dehors de nos eaux qui est indexée. Donc ce n’est pas vraiment à proprement parler le fait que le Cameroun est un pays qui pratique la pêche INN ou qui prête le flanc. ».
De sources officielles, pour améliorer le processus d’immatriculation, un protocole de collaboration est envisagé entre le Ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries Animales( Minepia) et le Ministère des Transports. Le document apprend-on, a déjà été rédigé et est en attente de signature. Ce protocole permettra d’avoir un cadre de concertation des deux institutions avant toute attribution de pavillon à un navire. Car en réalité, l’immatriculation des bateaux est assurée par le ministère des Transports tandis que la Licence de pêche est délivrée par le Minepia. Or, on a souvent observé des bateaux immatriculés au Cameroun qui n’ont cependant pas d’autorisation.
L’autre résolution prise par le gouvernement est la mise sur pied d’un groupe de travail chargé de formuler des mesures correctives pour sortir le Cameroun du carton rouge. Des sources officielles renseignent aussi que la révision de la loi sur la pêche de 1994 a été accélérée et finalisée. Il ne manque plus que le projet de loi soit soumis au parlement.
Interview
Dr Elie BADAI, chef de la brigade de contrôle et de surveillance des activités de pêche, Minepia
« Nous avons 15 navires sanctionnés et 7 radiés en 2023 »

Il revient sur les faiblesses ayant conduit à l’attribution du carton rouge, les actions en cours pour renforcer la lutte contre la pêche INN au Cameroun et les voies pour lever le carton rouge.
Après un avertissement en 2021, le Cameroun a reçu en 2023 un carton rouge de l’Union européenne pour avoir attribué des pavillons de complaisance à certains navires de pêche. Comment comprendre cela ? C’est vrai en 2021, nous avons eu un carton jaune de l’Union européenne et suite à ce carton jaune nous avons collaboré avec l’union européenne pour voir quelles sont les orientations pour que le Cameroun puisse sortir du carton jaune. Ces orientations nous ont amenés à définir 10 actions à mettre en œuvre. Mais jusqu’à fin 2022, nous n’avons pas pu achever ces actions. Par exemple la révision de la loi sur la pêche. Du coup, en début 2023, nous avons reçus un autre carton de l’Union Européenne. Et ce n’est pas que le gouvernement n’avait pas travaillé. Nous avons travaillé mais ce n’était pas suffisant.
Y a t-il des actions à mener aujourd’hui pour lever cette sanction de l’Union européenne ?
L’union européenne a fixé des exigences en termes d’actions que le Cameroun doit mener sur le terrain sur le plan juridique, sur le plan des activités de la lutte contre la pêche INN que ce soit au niveau national et international. La question principale ici c’est la question relative à l’immatriculation des navires battant pavillon camerounais et qui ont pratiqué des activités INN. Malheureusement, certains bateaux ont été immatriculés pendant la période du carton jaune. Ce qui a accéléré le processus d’attribution du carton rouge. Nous avons avec le ministère des Transports mené un certain nombre de mesures pour radier certains de ces bateaux dont 7 navires radiés en 2023 du pavillon camerounais.
Quel bilan d’actions contre la pêche INN en 2023 ?
Nous avons renforcé le suivi des navires battant pavillon camerounais hors de nos eaux et avons reçu plusieurs notifications des pays comme des organisations qui nous ont permis d’interpeller 15 navires, de les notifier et de les sanctionner. 4 ont été sanctionnées et des orientations spécifiques par rapport à leurs activités ont été données notamment celle de prendre la licence au Cameroun, d’avoir des agréments au Cameroun et de respecter la réglementation en matière de pêche. Il y a d autres activités sur le plan local. Il y a eu des patrouilles au niveau des plans d’eau. Il y a également eu des patrouilles conjointes avec le ministère de la Défense. Les activités menées ont permis le contrôle de 29 chalutiers, des sanctions ont été infligées à 15 navires et la saisie d’environ 85 tonnes de poissons immatures.
L’Union européenne avait aussi décrié une défaillance du système de surveillance des eaux camerounaises. Qu’est ce qui pose problème?
Nous avons plusieurs difficultés. Premièrement sur le plan juridique, nos textes sont faibles. Les sanctions ne sont pas à la hauteur de ce qui se passe aujourd’hui. Deuxièmement, il y a des faiblesses en termes de moyens de déploiement notamment des vedettes de surveillance. Nos deux vedettes que nous avions au départ sont obsolètes. Nous sommes en cours de réhabilitation d’une vedette et en cours d’acquisition d’une nouvelle qui va permettre à ce que le déploiement sur la façade maritime soit plus concret. L’autre aspect, ce sont les équipements de surveillance satellitaires. Le Cameroun disposait d’un système de suivi contrôle et surveillance des activités via le VMS et l’AIS (Automatic Identification System ndlr). Mais ces équipements ont été piratés et nous nous retrouvons pratiquement à zéro. Cette année, grâce aux activités que nous avons menées, le ministre a bien voulu acquérir un nouveau système. Nous pensons l’avoir d’ici la fin d’année, et acquérir des balises dans le nouveau système que nous avons et réactualiser notre nouveau système VMS.
La surveillance nécessite beaucoup de moyens. Déplacer un bateau pour faire la surveillance nécessite par exemple beaucoup de carburant. Avec le patrouilleur de l’armée ce n’est pas moins de 30 000 litres avant de faire la patrouille. Nous avons nos petites vedettes mais qui sont coûteuses pour une administration comme la nôtre. S’il faut surveiller nos côtes de manière quotidienne c’est très difficile. C’est pour cela qu’il faut joindre à ce système de surveillance active , un système de surveillance passive qui fait qu’à partir des centres d’opération , de voir des navires et d’interpeller tous ceux qui font des activités suspects.