Depuis le sinistre de 2019 ayant mis à l’arrêt les infrastructures de la Société nationale de raffinage (Sonara), sa réhabilitation est devenue un enjeu central des discussions budgétaires au Parlement camerounais. À l’occasion de la session parlementaire de fin d’année, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, a, une fois encore, mis ce projet en lumière. Présentant le programme économique et financier pour 2025, le 1er décembre 2024, il a annoncé comme priorité, le lancement imminent des études technico-économiques et financières approfondies accompagnées d’études de base pour la réhabilitation de la Sonara.
« Pour l’année 2025, le gouvernement camerounais envisage plusieurs actions, dont deux mesures prioritaires dans le segment eau et énergie. En ce qui concerne les produits pétroliers et le gaz, il est particulièrement prévu le lancement des études technico-économiques et financières approfondies ainsi que des études de base pour la réhabilitation de la Sonara. »
Un projet au point mort faute de moyens
Toutefois, le chef du gouvernement n’a pas mentionné que certaines démarches sont déjà en cours. Un rapport publié par le Fonds monétaire international (FMI) en novembre 2024 précise qu’une « étude approfondie de faisabilité technico-économique et financière » est actuellement menée, intégrant la conception d’une raffinerie complexe avec une unité d’hydrocraquage, validée par le président de la République. Le FMI indique par ailleurs que le Comité interministériel pour la réhabilitation de la Sonara a finalisé et validé un plan de restructuration. Toutefois, l’institution précise que l’étude complète de faisabilité technico-économique n’a pas encore été soumise à ses services.
Au ministère de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba confirme cette situation et l’explique : « Conformément aux nouvelles instructions du président de la République, le projet est désormais conduit par le directeur général de la Sonara en tant que maître d’ouvrage ». Parmi les actions entreprises jusqu’ici, le ministre cite l’élaboration d’un plan d’action pour relancer la production, la transmission de ce plan au FMI, et la sélection en 2023 de deux cabinets d’ingénierie. Il s’agit notamment de Chemex Global LLC (États-Unis) et Performance Plus Innovation (France). Ces entreprises devaient réaliser des études de conception détaillées (FEED) et apporter une assistance technique.
Cependant, « faute de moyens financiers suffisants », ces études n’ont pu être menées à terme. Une nouvelle procédure d’urgence a donc été lancée le 1er août 2024 pour recruter au moins trois cabinets spécialisés de renommée internationale. Ces derniers auront pour mission d’évaluer la pertinence pour la Sonara de produire des carburants « conformes aux normes Afri 5/Afri 6 et un fuel-oil respectant les exigences Marpol, un cadre réglementaire visant à réduire les impacts environnementaux liés au transport maritime, notamment les émissions de soufre », indique Gaston Eloundou Essomba
Une dette écrasante et des importations massives
Parallèlement à ces initiatives, la Sonara continue de faire face à une situation financière critique. Devant les députés, le 4 décembre 2024, le ministre de l’Eau et de l’Énergie a fait le point sur la dette de l’entreprise, estimée à 1 000 milliards de FCFA lors de l’introduction, en 2020, de la taxe dédiée à son apurement. Cette taxe, fixée à 47,8 FCFA par litre de carburant vendu à la pompe, a permis de collecter environ 353 milliards de FCFA au 31 octobre 2024, contre 270 milliards en 2023 et 194,7 milliards en 2022.
Ces fonds sont versés sur un compte ouvert à la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), exclusivement dédié au remboursement de la dette. Grâce à ce mécanisme, la Sonara a pu honorer certains engagements, notamment envers le trader suisse Trafigura, à hauteur de 14 milliards de FCFA en septembre 2023.Prévu pour s’étendre sur dix ans, ce dispositif vise à mobiliser un total de 780 milliards de FCFA.
L’appel des partenaires sous-régionaux
Inaugurée en 1981, la Sonara, située dans la région du Sud-Ouest, représente un pilier de l’industrie pétrolière camerounaise. Mais ses infrastructures vétustes, combinées à l’incendie de 2019, ont exacerbé ses difficultés financières et opérationnelles. Pour maintenir l’approvisionnement national en produits pétroliers, le Cameroun a importé 1,6 million de tonnes métriques de produits pétroliers en 2024.
Cette dépendance aux importations souligne l’urgence de la réhabilitation de la raffinerie, qui devrait permettre de réduire la facture énergétique du pays tout en renforçant la souveraineté énergétique. Conscient de cet enjeu, le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, a exhorté les autorités camerounaises à accélérer la réhabilitation de la Sonara. « Aujourd’hui, tous les pays de la sous-région importent leurs produits pétroliers. Cela fragilise notre position extérieure », a-t-il alerté lors d’une conférence de presse en juin 2024.
Pour bien appréhender ce phénomène, il est essentiel de comprendre que les réserves de change représentent les avoirs en devises des États. En vertu des accords monétaires liant les pays de la Cemac à la France, 50 % de ces réserves sont rapatriés à la Beac, tandis que l’autre moitié est conservée dans un compte d’opérations tenu dans les livres du Trésor français.
Cette réserve commune aux États de la Cemac leur permet de financer collectivement leurs importations respectives. Ce principe de solidarité dans l’utilisation des fonds du compte d’opérations offre à un pays la possibilité de couvrir des factures d’importation dépassant largement ses propres réserves en devises. Dans cette situation, le pays importateur s’appuie sur les avoirs des autres membres, notamment ceux disposant de devises excédant leurs besoins d’importations.
D’après les prévisions de la Beac, les réserves de change devraient atteindre 7 285 milliards de FCFA d’ici fin 2024, soit l’équivalent de 4,79 mois d’importations. Depuis plusieurs années, le Cameroun, moteur économique de la zone Cemac, contribue à hauteur de 70 à 80 % à la constitution de ces avoirs en devises. Cependant, cette situation est fragilisée par les importations massives de produits pétroliers finis réalisées chaque année par le Cameroun.
Ces importations grèvent les réserves monétaires communes des pays membres de la Cemac. Dans ce contexte, le gouverneur de la Beac plaide pour une réhabilitation rapide de la Sonara afin de relancer les activités de raffinage de pétrole brut. Cette démarche permettrait de limiter, voire d’éliminer, les importations de produits pétroliers finis, contribuant ainsi à la préservation des réserves de change de la région.