Un homme couché sur le dos, les mains menottées dans le dos, les pieds passent à l’intérieur des pieds d’une chaise. Le bus d’un côté et les pieds de l’autre. Sur la chaise est assis un homme. Les pieds du « prisonnier » sont coincés au sol par deux individus qui lui sont montés dessus, afin de les immobiliser. Un autre tient une machette en mains et se charge de fouetter les plantes des pieds de l’homme couché chaise.
Le « prisonnier » de circonstance est identifié comme Simon Lonkana, plus connu sous son nom d’artiste, Longue Longue. Il crie à tue-tête, pleure et implore le pardon de ses bourreaux : « je ne vais plus le faire», « pardon commandant», « chouchou», « vous allez me tuer», « mes nerfs, c’est le nerf sciatique», « oh l’enfant de Dieu», « je m’excuse»,… entend-on dans sa voix qui change par moments d’intensité. Personne ne l’écoute, sauf quand il doit répondre à leurs questions : « qui t’a envoyé ?». Lorsque l’activiste répond « personne», le tortionnaire en chef rejette «on sait qui t’a envoyé ». Malgré la montée en intensité de la torture, l’homme qui souffre atrocement, maintient « personne». Et surtout que « je chantais déjà». On lui rétorque : «la dernière vidéo ? ». Il répond encore « personne !»
Supplications
Ses tortionnaires le lâchent un peu, le sortent du dispositif et lui intiment de sauter. « Ouais je ne peux pas, j’ai le nerf sciatique (Sic)», répond l’homme à qui on n’a laissé que des sous-vêtements ; avant de s’exécuter face à la furie de ses bourreaux. « Il faut dire la personne qui vous a envoyé», relance la voix principale, visiblement celui qui administrait le fouet à la machette. « Il faut dire la personne qui t’a envoyé», relance-t-il. A peine a-t-il répondu «je vous jure », que son interrogateur a déjà repris avec insistance, doublée de menace : « Si tu ne dis pas la personne qui t’a envoyé…» la suite se noie dans le brouhaha. Longue Longue a l’occasion de placer que « quand je chantais ‘’ne privatisez pas’’», il est étouffé mais l’artiste qui se montre généralement engagé leur rappelle que « ce sont mes thématiques». On le retrouve déjà subitement assis. « C’est mon populisme», essaie-t-il d’indiquer à ceux qui lui demandent si « c’est un mot français». A l’autre de répondre : «oui c’est un mot français ». La meute se précipite sur l’homme esseulé qui réussit à ajouter « quand je fais mes vidéos, les gens apprécient». Il est rapidement remis dans la machine de départ : « Logue Longue, croise les pieds», lui intime une voix, en le forçant à s’exécuter. L’homme dans un dernier effort de survie, se lâche et tente de s’en éloigner par les fesses. Mais ils sont plus nombreux et le ramènent sous la chaise. L’exercice initial est relancé. « wooo : je vais mourir», s’écrie-t-il. « Commandant, je te promets ; je dis pardon au président de la République. Pardon papa Paul Biya, j’ai toujours chanté pour vous». Rien n’y fait. La machine est relancée. Un autre revient redresser son buste qu’il a réussi à relever. « Commandant, je peux mourir». Le commandant en question poursuit la bastonnade : « Commandant, qui a 20/20 dans sa vie ? Commandant, vous avez 20/20 ? » De quoi irriter son bourreau en chef. « Tu me poses les questions ?», s’énerve le commandant. «C’est une erreur commandant », se retracte Longue Longue : « j’ai toujours chanté pour le couple présidentiel. Contrairement à d’autres. Je suis le seul. J’ai chanté ‘’Chantal Biya ne connaît pas les marabouts ; il faut demander à Dieu». Durant tout cela, les pleurs ont cédé la place à la parlote, rythmée par une bastonnade sans arrêt. On a permuté de rôles. La vidéo s’est arrêtée là, alors que l’épreuve n’est pas terminée.
Maurice Kamto et la « victoire volée«
C’est une vidéo que les lanceurs d’alerte ont rendue publique depuis hier nuit. L’artiste qui vient de la recevoir dans son téléphone, rappelle que c’est ce qu’il a subi en 2019 quand il a été arrêté manu militari à l’hôtel Sawa par des éléments de la Sécurité militaire (Semil) et conduit dans leurs locaux, dans le cadre de la crise post-électorale de 2018. Alors qu’il avait ouvertement soutenu la candidature de Maurice Kamto à cette élection présidentielle, l’artiste s‘était lancé dans une campagne de dénonciation de la « victoire volée » du leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), à travers les réseaux sociaux. Invitant d’ailleurs Paul Biya et Maurice Kamto à refaire l’élection, et que son candidat battrait le président sortant à plate couture. Pour subir le même sort que les militants et sympathisants de l’opposant. « Allô la famille, je vous ai toujours dit qu’on a failli me tuer en 2019», réaffirme l’homme. «Il était question qu’on me tue comme on a tué Martinez Zogo ; mais quand vous êtes enfant de Dieu, Dieu fait toujours le miracle. Dieu est venu m’enlever dans les bras de ces bourreaux», est-il convaincu. Et d’agrémenter : «Cinq ans après, on m’envoie la vidéo de ma torture. Qui l’eût cru ! Dix militaires musclés !». Informant que c’est « le patron, assis en chemise et cravate,» qui filmait son supplice.
Plainte
Si à sa libération, Longue Longue dont le passeport a été confisqué (et qui le demeure selon lui), avait « demandé pardon» au couple présidentiel, en indiquant la célèbre formule « je veux voir mes enfants grandir», se révolte en redécouvrant la vidéo de sa torture aujourd’hui, et reprend de plus belle le « combat » qu’il avait déjà repris à travers une nouvelle chanson dans laquelle il dénonce la malgouvernance au Cameroun. « J’appelle les avocats qui sont pour les droits de l’homme, les hommes politiques, les hommes d’affaires, tous ceux qui veulent le changement, parce que s’attaquer à tous ces criminels, à ces ‘’sans cœur’’, il faut être protégé», lance-t-il. Mais déjà, « j’ai décidé de porter plainte au Cameroun, porter plainte en France».
Entre temps, des lanceurs d’alerte ont déjà trouvé les identités de quelques membres de la meute qui s’est livré à cette torture. Des noms et photos ont été rendus publics. La toile s’est enflammée et les condamnations s’en suivent.