Au 31 octobre 2023, l’administration centrale camerounaise disposait de 148 comptes dans 16 banques commerciales pour un solde global de 711,9 milliards de FCFA, selon le ministère des Finances. Paradoxalement, malgré cette trésorerie conséquente, l’État a dû payer, d’après des données gouvernementales consultées au 31 octobre 2024, 38,75 milliards de FCFA d’intérêts sur des émissions obligataires d’un montant global de 890,54 milliards de FCFA. L’optimisation du Compte unique du Trésor (CUT), dont l’un des objectifs est de rapatrier les fonds publics logés dans les établissements de crédit dans une caisse centrale, apparaît donc comme une solution évidente pour réduire ces coûts. Cependant, cette réforme ambitieuse se heurte à des obstacles majeurs.
Pierre Mba, chef de la Cellule de législation et de la codification à la direction générale du Trésor et de la Coopération financière et monétaire, a rappelé, lors des Cafés thématiques sur les réformes de la gestion des finances publiques du 26 novembre 2024, que la modernisation nécessaire pour opérationnaliser pleinement le CUT n’est pas encore achevée. «Le Compte unique du Trésor nouvelle version n’est pas totalement livré », a-t-il indiqué, soulignant que des défis d’organisation et de qualité de service doivent être résolus avant tout transfert massif de fonds.
UN DIALOGUE CONSTANT AVEC LE SECTEUR BANCAIRE
Le rapatriement des fonds publics des banques commerciales vers le CUT soulève des craintes quant à la stabilité du système financier. Au 31 décembre 2022, plus de 1 300 milliards de FCFA de dépôts publics étaient logés dans les banques, soit près de 18 % de leurs encours totaux, estimés à 7 000 milliards de FCFA. Retirer ces ressources sans préparation «pourrait sérieusement affecter la liquidité bancaire, compromettant leur capacité à financer l’économie», rappelle Pierre Mba. Conscient de ce risque, le Trésor public a initié des concertations avec l’Association Professionnelle des Établissements de Crédit du Cameroun (Apeccam) et l’Association Nationale des Établissements de Microfinance (Anemcam).
Selon Pierre Mba, ce dialogue a permis d’instaurer un calendrier de transfert progressif des fonds, accepté par les banques pour limiter les perturbations. Moh Sylvester Tangongho, directeur général du Trésor, dans une interview accordée à Défis Actuels magazine souligne que « le principe est de procéder à un transfert progressif des fonds sans entamer l’équilibre des banques». Ainsi, des calendriers de rapatriement sont élaborés en accord avec chaque institution. Pour l’année 2023, 165,6 milliards de FCFA devraient être rapatriés d’ici au 31 décembre, conformément aux prévisions.
DES ENJEUX FINANCIERS MAJEURS
Le principal objectif de cette réforme est de rationaliser la gestion des finances publiques. «En concentrant les fonds publics au CUT, l’État espère réduire ses besoins de financement à court terme. Par ailleurs, une trésorerie centralisée renforcerait la transparence et l’efficacité dans l’utilisation des fonds publics», souligne le gouvernement. Cependant, cette transition nécessite une réorganisation interne du Trésor public. «Il faut que la trésorerie s’organise, se modernise et soit capable de remplir les fonctions bancaires du Trésor public », insiste Pierre Mba. Cela implique de fournir des services équivalents à ceux des banques commerciales pour répondre aux besoins des collectivités territoriales, des hôpitaux et des autres entités publiques.
Selon ce haut responsable, la réforme nécessite un saut qualitatif, tant sur le plan technique qu’organisationnel, afin de garantir que le CUT puisse répondre aux attentes des entités publiques. «Si on retire tout cet argent, il faut donner la réponse que la banque donnait aux entités publiques. C’est-à-dire aux CTD, aux hôpitaux, aux Pharmacies qui ont leur argent logé dans les banques. S’ils ont besoin de leur argent, il ne faudrait pas qu’on se mette à tergiverser. Donc il faut que la Trésorerie s’organise, se modernise, se mette en ordre de bataille pour pouvoir remplir la fonction bancaire du Trésor Public. Le saut qualitatif et mental doit être réalisé, de manière à ce que lorsqu’on rapatrie les fonds, que le Compte unique du Trésor puisse donner la même satisfaction que les banques», a-t-il déclaré.