En 2014, Aristide Takoukam Kamla, jeune chercheur camerounais, est fatigué de…chercher en vain des lamantins autour du lac Ossa pour son mémoire à l’université. Il se confie à un brave pêcheur de la localité, qui lui ouvre des astuces ancestrales pour retrouver ces mammifères marins. En quelques semaines, il boucle ses études. L’idée germe alors en lui de valoriser ces connaissances, avec une application que les populations elles-mêmes pourraient utiliser facilement pour collecter les données et les envoyer dans une base à distance. Ainsi naît SIREN, baptisée ainsi en référence au mythe de la fée des mers qui est une sirène.
Son champ d’expérimentation est large : espèces malades ou en détresse sur les plages (lamantins, requins, dauphins, raies, baleines, crabes, crevettes, tortues), filets aux normes irrégulières dressés dans la mer, bateaux en situation de pêche illégale (essentiellement des embarcations étrangères, qui agissent de nuit avec des phares éteints et des signaux satellites désactivés).
L’organisation AMMCO, qui s’occupe des mammifères marins africains, gère le déploiement de cet outil. Dès réception d’une alerte de terrain, l’information est envoyée directement à l’autorité la plus proche, comme le Sous-préfet, le Maire, le responsable du Minepia, le chef de village, le commandant de la gendarmerie ou de la police. Si elle vient d’un parc marin ou toute autre zone protégée, l’information est transmise au conservateur, qui sait comment mobiliser les autres acteurs et moyens d’intervention. Cédrick Fogwan, en charge du suivi du projet à Ammco, précise que «les alertes sont par la suite compilées et envoyées à tous les ministères concernés (pêches, environnement, défense, etc.), pour qu’ils apprécient la contribution des acteurs de la pêche et des populations locales dans la préservation des ressources marines».
DÉPLOIEMENT INTERNATIONAL
Plus de 80 pêcheurs volontaires utilisent au quotidien « Siren » sur leurs smartphones dans des villages et campements de pêche du Sud-ouest, du Littoral et du Sud. Les informations transmises sont des textes, des audios, des photos ou des vidéos, dans une base de données et de gestion établie aux États-Unis. En plus des permanents, des volontaires temporaires se prêtent à l’exercice : touristes, étudiants, chercheurs. La mobilisation des observateurs bénéficie de l’accompagnement de Wild Life Fund for Nature. Rien que pour l’année 2024, déjà plus six mille observations enregistrées. En plus des cours d’eau et des plages, les observateurs sillonnent les marchés pour relever les espèces fréquentes, et signaler si elles sont protégées ou bien si elles ont été capturées à la régulière. Une future étape consistera à mettre en place un marché des produits de la mer comme les crevettes, afin de connecter les consommateurs directement aux vendeurs, ce qui permettra de retirer du maillon les «démarcheurs » qui contribuent à la forte hausse des prix de vente finale.
La notoriété de cet outil « Siren » a traversé les frontières du Cameroun. En Afrique, plusieurs institutions l’ont adopté dans une dizaine de pays. Au-delà du continent, une agence gouvernementale la déploie aux Émirats Arabes Unis pour documenter la ponte et la vie des tortues marines. D’autres expérimentations sont en cours aux Bermudes et en Amérique latine. Disponible en accès libre, la gratuité de l’application « Siren » est assurée par le soutien de National Geographic (USA).
Par André Naoussi