Comme un film d’horreur. Du feu sur la chaussée, des plantations de canne à sucre en feu. Ici des policiers et gendarmes encagoulés, tirant du gaz lacrymogène pour disperser des manifestants déchainés et leur lançant des cailloux… Telles sont des scènes vécues ce 04 février 2025 à Mbandjock et Nkoteng, deux villes du département de la Haute-Sanaga abritant les plantations et le siège de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam). A la clé, au moins un mort le nommé Djora, un ouvrier saisonnier de la Sosucam, travaillant à Nkoteng. Le corps gît dans la cour extérieure de la Sosucam à Nkoteng. Une femme présentée comme son épouse, porte le deuil non loin du corps, au mépris des forces de l’ordre venues à l’appel des dirigeants de l’entreprise, pour mater la grève des ouvriers.
Depuis une semaine, les ouvriers saisonniers de la Sosucam observent une grève pacifique. Mais tout est allé à un rythme accéléré au cours de la journée de mardi. « Aux environs de 9h ce matin (hier, Ndlr), les Forces de maintien de l’ordre (FMO) déployées à Nkoteng ont décidé de disperser les foules. Pourtant les travailleurs depuis une semaine se mettent en groupe tous les matins pour mieux organiser leur grève initialement non violente. Les FMO par la suite, ont tiré environ 20 coups de bombes lacrymogènes pour disperser les foules. Ensuite, c’est le camion-citerne anti-émeutes qui leur a déversé le ‘’mamy wayter’’. Les travailleurs entremêlés aux populations, ont riposté et lancé des caillasses aux FMO », raconte Adonis Fébé, organisateur syndical, proche de la Sosucam. Une situation qui a eu pour effet de radicaliser les manifestants. Lesquels ont opposé une résistance. Selon des sources concordantes, la gendarmerie est rentrée en scène : « la gendarmerie a tiré alors à balles réelles et a abattu Djora à bout portant. Un coup de kalachnikov du côté de la poitrine. Djora est décédé sur place», précise Adonis Febe.
Policiers et gendarmes blessés
La mort de cet ouvrier saisonnier, natif du département du Mayo-Danay dans la région de l’Extrême-Nord, a jeté de l’huile sur du feu. « Tous les Massa et même les autres Nordistes sont sortis pour venger leur frère. Ils ont commencé à tout casser et brûler à Nkoteng et à Mbandjock», rapporte un témoin. Des policiers et gendarmes blessés, parmi eux, le commissaire de sécurité publique de Mbandjock. D’autres sources parlent de décès parmi les éléments des FMO, mais une source officielle qui a requis l’anonymat, dément cette information. Les renforts venus de Yaoundé, notamment les éléments du Groupement mobile d’intervention (GMI), ont vite été dépassés.

La situation survient dans un contexte d’installation du nouveau directeur général, en la personne du Français Jean Louis Liscio, il y a quelques jours seulement. Mais le Français a trouvé sur sa table un passif lourd, fait de frustrations qu’un léger retard de salaire a vite enflammé.«Les saisonniers sont rémunérés en deux tranches : la première tranche est appelée acompte, mais ça représente la quinzaine. Entre 1998 et novembre 2023, ils percevaient la quinzaine le 20 de chaque mois, et le reste de la mensualité le 5 de chaque mois, jusqu’à l’arrivée de Jean Pierre Champeaux. A son arrivée, il a modifié complètement le mode de paie. On est quitté du 20 au 25, et du 5 au 10 pour certains travailleurs et au 15 pour d’autres. C’est ça la cause immédiate du déclenchement de la crise au sein de l’entreprise », renseigne Adonis Febe. « Pour le mois qui vient de s’écouler, les gars ont attendu jusqu’au 26, ils n’ont pas reçu d’acompte, le lendemain, les manœuvres agricoles ont refusé d’aller travailler. C’est en soirée qu’ils ont pu avoir les acomptes », poursuit-il. « La colère était déjà exprimée. Partis de la revendication du retard des acomptes, ils sont allés exhumer les cadavres, notamment le fait qu’ils ont vu leurs échelons diminuer à la Sosucam en 2023-2024, sans aucune consultation », confie ce leader de la société civile très introduit à la Sosucam. « Quelqu’un pouvait partir de 3ème A pour se retrouver en 2ème A (catégories, Ndlr), sans aucune explication au préalable », souligne-t-il. Déjà que le travail des saisonniers à la Sosucam s’arrête aux périodes de grandes activités, notamment entre novembre et mai, avec possible extension mi-juin, apprend-on. Ces changements engagés par Jean-Pierre Champeaux ont donc été mal vus par les travailleurs qui ruminaient leur colère et n’attendaient que le déclic pour exploser.
De sources crédibles, des arrestations ont eu lieu, et les manifestants calmés par la force. Le temps d’y voir clair, le préfet de la Haute-Sanaga a pris des mesures conservatoires, notamment la fermeture des débits de boisson traditionnels dans son territoire de commandement, jusqu’à nouvel avis. Il est de notoriété que ces débits de boisson traditionnels sont tenus par les ressortissants du Grand-Nord.
Toutes les tentatives de la rédaction de joindre la Sosucam sont restées vaines. André Avom le directeur de la communication est resté sourds aux appels et messages à lui adressés.