“Il y a cette petite poignée de personnes qui peuvent investir leur argent dans des biens, dans des actifs, et qui génèrent un taux de rendement supérieur au taux de croissance de l’économie sous-jacente. Vous voyez ? Et donc, ce groupuscule de personnes et d’entités, de personnes morales, concentre avec le temps une part beaucoup plus importante de la richesse nationale.
Il existe deux mécanismes pour pallier cette situation, si l’on ne veut pas d’une société totalement inégalitaire. Le premier, que je ne préconise pas, consiste à fiscaliser, voire pénaliser ceux qui concentrent la richesse. C’est souvent la méthode adoptée, car ces personnes sont identifiées, connues, donc fiscalisées.
L’autre moyen d’y remédier — et c’est le sujet du jour —, c’est de faire en sorte que ceux dont les revenus dépendent du taux de croissance de l’économie participent davantage au marché des capitaux. Comment s’assurer que dans l’ensemble de nos pays, nous soyons de plus en plus nombreux à avoir un patrimoine qui croît à un rythme supérieur à celui de la croissance économique ? Car au Gabon, cette croissance est de 2,8 %, en zone CEMAC, autour de 3 %, un taux proche de notre inflation. Il faut que la richesse croisse au-delà de ces chiffres pour qu’elle profite réellement à nos populations.
Parlons maintenant de la structure même du marché de capitaux. En réalité, on parle ici d’offre et de demande. La demande, c’est celle de nos besoins d’investissements : routes, énergie, infrastructures portuaires, télécommunications, écoles, hôpitaux… Tous ces actifs nécessitent des financements.
Mais en face, il y a l’offre : l’épargne. Où se trouve cette épargne ? Qui en sont les détenteurs ? Et surtout, comment établir une meilleure intermédiation entre l’épargne disponible et les besoins d’investissement ? C’est toute la mission de la COSUMAF. Depuis plusieurs années, elle œuvre pour rapprocher cette épargne des besoins d’investissement.
C’est une mission noble. Car sans une meilleure transformation de l’épargne en investissement structurant, nous ne développerons pas nos économies à la hauteur des attentes. Et ce n’est pas qu’un sujet technique ou réservé aux experts. Le vrai enjeu, c’est de descendre dans les quartiers, d’aller voir Monsieur et Madame Moussavou, et de leur expliquer pourquoi il est utile de placer leur épargne dans un actif qui les rémunérera.
Il faut les rassurer. Leur expliquer qu’ils ne perdront pas le fruit de leur travail. Et ça, c’est un défi de pédagogie, de confiance, de simplification. On entend souvent que 5 000 milliards de FCFA dorment dans l’informel. C’est énorme. Mais ces montants sont entre les mains de personnes qui ne savent pas ce qu’est un fonds commun de placement. Ils gèrent leur épargne dans des systèmes de tontine ou de trésorerie quotidienne, et ils en tirent déjà un rendement.
La question n’est donc pas : est-ce que le marché formel est plus rémunérateur que l’informel ? Mais : quels avantages supplémentaires peut offrir le marché formel ? La sécurité, la croissance patrimoniale, l’accès à des produits nouveaux ? C’est là qu’il faut convaincre. Car on le sait, faire migrer l’informel vers le formel a des conséquences macroéconomiques positives : plus de dépôts pour les banques, plus de crédits pour les États, les entreprises et les ménages.
Mais M. Moussavou, lui, ne pense pas à ça. Lui, ce qu’il veut, c’est une rémunération de sa trésorerie, rapidement et sûrement.
Un dernier point pour le Gabon : notre taux d’épargne brute nationale est élevé, autour de 35 % du PIB, soit 4 000 milliards de FCFA pour un PIB de 12 000 milliards. Cela signifie que notre économie a une capacité d’autofinancement significative. Pourtant, dans notre loi de finances, les dotations à l’investissement tournent autour de 450 à 480 milliards. Il y a donc un écart, un potentiel non mobilisé.
Et il est urgent de le mobiliser. Car le monde change. Le soutien extérieur diminue. Pas plus tard qu’hier, les États-Unis ont annoncé la réduction de leur appui à la Banque africaine de développement, ce qui représente un manque à gagner de 500 millions de dollars pour 2025-2027. D’autres pays suivront.
Alors oui, ce sujet de l’épargne est aussi un sujet de souveraineté, de géopolitique, de responsabilité collective. Il s’agit de prendre notre destin en main. Vous avez un rôle essentiel à jouer, entre vous, mais surtout auprès des populations.
Je vous remercie”.