La bourse des modèles de démocratie, le Cameroun est l’un des pires élèves. Dans le dernier classement des Etats du monde par indice de démocratie, The Economist Intelligence Unit, classe le pays de Paul Biya 132e sur 167 pays. Le fait est que depuis la dernière élection présidentielle, un vent autoritaire souffle dans le pays. En une année seulement, la marche vers la démocratie semble avoir changé de cap. Interdiction systématique des manifestations de l’opposition, arrestations arbitraires, répression sont entre autres dérives qui caractérisent désormais les autorités camerounaises.
Les partis politiques pris pour cibles
Pas de manifestation autorisée autre que celle du parti au pouvoir. C’est en tout cas l’ordre tacite qui semble avoir été donné aux autorités administratives. En un mois depuis la sortie de prison de Maurice Kamto et certains de ses alliés, le MRC a vu près de 10 demandes de manifestations rejetées par les autorités administratives. Pas plus tard que vendredi dernier, le meeting du MRC qui devait se tenir samedi au stade de Bonamoussadi a été annulé par le sous-préfet, qui évoque les risques de troubles à l’ordre public. Une délégation du directoire du MRC s’est rendue chez le préfet du Wouri pour tenter d’obtenir la levée de cette interdiction, mais le préfet s’est opposé et le MRC a saisi la justice qui a confirmé l’interdiction de la manifestation. La même semaine, une conférence de presse organisée par Christian Penda Ekoka, président du Mouvement AGIR a été interdite à Yaoundé pour « objet non précisé ». Avant cela, les autorités ont refusé que se tienne un meeting que le Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale de Cabral Libii entendait organiser à Ngambe, sous le prétexte que le dossier de demande introduit dans le cabinet du sous-prefet ne contenait pas une pièce attestant que Cabral Libii est le président de cette formation politique.
Une série d’interdictions qui inquiète les partis de l’opposition. « C’est comme si le pouvoir est entrain de regretter d’avoir consenti des espaces de libertés, l’une des preuves c’est cette loi du 23 décembre 2014, où, sous prétexte de combattre le terrorisme, on arrache aux populations ce qui est contenu dans la Constitution et dans les lois de 1990 comme libertés fondamentales », regrette Adamou Mongwat, militant de l’UDC. Pourtant le 06 novembre dernier, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais a fêté, sur toute l’étendue du territoire, le 37e anniversaire de l’accession de Paul Biya au pouvoir.
Répression et arrestations
En moins d’un an, plus de 400 personnes soupçonnées d’être des militants du MRC ont été arrêtés, plusieurs ont été libérés à l’immédiat et près de 250 ont été jetés en prison. 164 ont été libérés entre le 15 juillet et le 18 octobre et plus d’une cinquantaine se trouvent encore derrière les barreaux. La plupart des personnes ont été arrêtés lors des manifestations organisées par le MRC, mais d’autres ont été interpellées de façon arbitraire et dans des conditions n’ayant aucun lien avec les manifestations. C’est le cas de Wilfried Siewe arrêté le 18 février alors qu’il prenait des photos dans le centre-ville de Yaoundé, ou encore du pasteur Tsafack, interpellé le 8 juin alors qu’il rentrait de son travail et embastillé pendant 47 jours sans mandat de dépôt. En plus des arrestations, plusieurs personnes ont été brutalisées ou blessées lors des manifestations. Au cours de la marche du 26 janvier, Célestin Djamen et Michelle Ndocki ont été atteints par balles.
Le gouvernement n’est pas prêt à lâcher du lest
Sauf quelque dérogation, toutes les manifestations et réunions de l’opposition ont été interdites. Et au regard de l’actualité, les autorités administratives ne semblent pas disposées à lâcher prise. Leur commandant en chef, Paul Atanga Nji ministre de l’Administration Territoriale l’a d’ailleurs dit il y’a quelques mois : « Les activités des partis politiques légalisés au Cameroun sont encadrées par des textes en vigueur, qui seront désormais scrupuleusement respectés. Ceux qui ont l’habitude de défier l’autorité de l’Etat vont désormais se heurter à la rigueur de la loi. Et la loi dans le cas d’espèce sera appliquée avec toute sa rigueur». Si les autorités s’appuient sur la loi pour interdire les manifestations, certains experts estiment qu’il s’agit tout simplement d’une violation flagrante des libertés fondamentales. Pour ces experts, selon la loi de 1990 sur le régime des réunions et des manifestations publiques, il n’existe pas d’autorisation de manifestation publique au Cameroun.
Par Joseph Essama