« Dans le domaine de la lutte anti-blanchiment, l’Agence nationale d’Investigation Financière (Anif) a reçu 965 déclarations de soupçon contre 869 en 2022, soit une hausse de 11,05%en valeur relative », a révélé Rev. Dieudonné Massi Gams, président de la Commission nationale anti-corruption jeudi dernier lors de la présentation de l’état de lutte contre la corruption au Cameroun. A l’observation des données révélées au public jeudi dernier, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes a pris une tournure préoccupante au Cameroun en 2023. Selon le rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun, l’Anif a transmis 447 rapports aux autorités compétentes, couvrant des flux financiers d’un montant total de 1 665 milliards de FCFA. Représentant une hausse impressionnante de 180,01 % par rapport à l’année précédente. Les fraudes, qui représentent 50,56 % des dossiers, sont au cœur des suspicions avec une augmentation notable des montants concernés.
La Conac révèle que les flux financiers repérés en 2023, indiquent que 65,52 % des dossiers ont été transmis aux services d’enquête et aux autorités administratives, principalement en raison de la situation sécuritaire. Les tribunaux civils ont été saisis d’affaires concernant le blanchiment d’argent, divers trafics et le détournement de fonds publics. Pendant ce temps, les tribunaux militaires ont pris en charge les cas liés au financement des activités terroristes et sécessionnistes, dont le montant total dépasse 2,2 milliards de FCFA. Les mécanismes de financement détectés incluent des escroqueries sur internet, l’utilisation de fausses identités pour recevoir des fonds de l’étranger, ainsi que des transferts via Mobile Money et les sociétés de transfert de fonds.
Hausse des déclarations de soupçon dans le secteur bancaire
Selon la Conac, les banques sont les premières pourvoyeuses de déclarations de soupçon avec un taux en hausse qui se fixe à 68,70% enregistrant une progression de 1,22% par rapport à l’année précédente. Les prestataires de Mobile money (4,25%), les établissements de microfinances (1,35%), la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (0,93) et les institutions financières spécialisées (0,93%) viennent respectivement après les sociétés de transfert de fonds en termes de déclaration. Les autres types de délits incluent, l’escroquerie sur internet (en légère hausse), les trafics divers (en baisse de 55 %), et le détournement de fonds publics (en hausse de 140 %). Le document de la Conac met en lumière une hausse significative des cas liés au financement du terrorisme, en particulier les activités des groupes sécessionnistes. Le nombre de dossiers dans ce domaine a bondi de 38,24 % par rapport à 2022, passant de 102 à 141 cas. Ces affaires représentent désormais 31,54 % des rapports transmis par l’Anif, classant ce type de délit en deuxième position parmi les dossiers traités l’année dernière.
Cette augmentation s’explique, justifie la Conac en grande partie par la situation sécuritaire fragile dans le pays. La présence persistante de Boko Haram dans la région de l’Extrême-nord et les mouvements sécessionnistes actifs dans les régions du Nord-Ouest et du SudOuest continuent d’alimenter ces financements illicites. Le rapport souligne également que cette hausse reflète l’engagement accru de l’Anif dans la lutte contre le financement des activités terroristes et sécessionnistes. Les dossiers relatifs à ces activités terroristes sont systématiquement transmis aux juridictions militaires et aux services spécialisés tels que « la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), la Délégation Générale à la Sûreté Nationale (DGSN), et le Ministère de la Défense (MINDEF), avec lesquels l’ANIF maintient une collaboration étroite », précise la commission.
En parallèle, d’autres formes de fraudes ont été identifiées. Les cas d’escroquerie sur internet (scamming) ont légèrement augmenté, passant de 18 à 22 entre 2022 et 2023. Les affaires liées aux faux documents, en revanche, ont connu une baisse de 20,51 %, avec 31 dossiers transmis, représentant 4,68 % de l’ensemble des cas. Ces infractions concernent principalement la falsification de documents financiers, l’usurpation d’identité, et l’achat de cartes bancaires avec de fausses identités. Cependant, le rapport signale également une baisse significative des trafics divers, en particulier ceux liés aux armes, à la drogue et aux produits miniers, avec une diminution de 55 % par rapport à 2022. Ces cas représentent désormais 2,01 % des dossiers transmis. En revanche, les détournements de deniers publics ont enregistré une hausse préoccupante de 140 %, passant de 5 à 12 cas en un an. Ces détournements représentent 2,68 % des dossiers de 2023. L’escroquerie en général est aussi en recrudescence, avec 10 cas recensés, tandis que les suspicions de corruption ont triplé, passant de 2 à 6 dossiers entre 2022 et 2023, soit une augmentation de 200 %.
Accentuer la lutte contre le blanchiment de capitaux
Par un décret signé le 30 octobre 2023, le président de la République, Paul Biya, renforce la lutte contre le blanchiment des capitaux au Cameroun. Ce texte prévoit notamment la création d’une instance dédiée à « l’organisation et au fonctionnement du comité de coordination des politiques nationales de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive ». Placé sous l’autorité du ministre des Finances, ce comité a pour mission d’élaborer et de coordonner les stratégies et actions nationales visant à combattre ces menaces. Le 23 juin 2023, l’organisme international chargé de surveiller la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a décidé d’ajouter le Cameroun, ainsi que la Croatie et le Vietnam, à sa liste « grise » des pays sous surveillance renforcée. Ces pays sont considérés comme ayant des « lacunes stratégiques » dans leurs systèmes de lutte contre ces pratiques, mais se sont engagés à collaborer avec le Groupe d’action financière (GAFI) pour y remédier, dans le but d’éviter une inscription sur la liste noire internationale.