Couverture santé universelle : comment mobiliser 90 milliards au Cameroun

Pour la première phase, l’Etat devra contribuer à hauteur de 46% du montant et pourrait faire recours aux taxes parafiscales sur certains produits comme le tabac,  l’alcool mais aussi la téléphonie mobile.

Après plusieurs années d’attente, la Couverture Santé Universelle (CSU) commence à prendre corps au Cameroun.  La première phase a été lancée par le ministre de la Santé Publique le 12 avril dernier dans la localité de  Mandjou à l’Est du pays.  Les bénéficiaires de cette première phase sont les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes et nouveaux nés jusqu’à 42 jours et les personnes atteintes de certaines pathologies comme l’insuffisance rénale, l’onchocercose, la tuberculose. Les soins couverts portent sur la vaccination, la nutrition et la santé communautaire. Pour en bénéficier, les usagers devront apporter une contribution allant de 6000 à 15000 FCFA tandis que certains soins sont gratuits.  « Ce panier des soins  est expérimental et devrait au fil du temps s’élargir tout autant que la population cible. Cela se fera en fonction de l’évolution de la mise en œuvre du projet  et de la levée de certaines contraintes d’ordre juridique,  financier et social », souligne Manaouda Malachie.

Pour cette première phase qui semble être un pilote, les besoins en financement sont estimés à 90 milliards de FCFA, selon des sources au ministère de la Santé. Les partenaires techniques et financiers devront apporter une contribution de 54% et 46% par l’Etat du Cameroun, soit environ 42 milliards de FCFA.  Au lancement, les autorités ont peu communiqué sur les mécanismes de financement.  Mais, l’on se souvient que le Groupe Technique National (GTN), placé sous la coordination du Premier Ministre et co-presidé par le Ministre de la Santé  et le Ministre du Travail et de la Sécurité sociale, qui avait  mené les réflexions sur la mise en œuvre de la CSU avait évalué à 1300 milliards de FCFA le financement global. L’estimation du coût du système de Couverture Santé Universelle  d’après le rapport de ce groupe de travail présenté en 2018, prenait en compte le coût technique (l’estimation du coût des interventions du panier de soins de base) et les coûts de gestion de l’architecture. Le coût technique porte  notamment sur le Logiciel « One health »  tandis que les Coûts de gestion  concernent  les investissements (système d’information, infrastructures et équipements, système d’immatriculation…), les salaires du personnel, les autres dépenses de fonctionnement courantes, la communication, les frais de formation. Cette catégorie représente environ 15% du coût total, selon les règles de prévoyance sociale.

Seulement 6.46 % de la population couverte par l’assurance maladie

En 2012, la dépense totale de santé au Cameroun est estimée à 728.1 milliards FCFA. La dépense totale de santé / habitant est de 3 400 FCFA  avec le paiement direct des ménages  jugé très élevé  (70%).  Cette situation est motivée par le fait que seulement 6.46 % de la population camerounaise  est couverte par un mécanisme de protection sociale en santé. La majorité ne fait partie d’aucun dispositif de protection du risque financier et continue de supporter les dépenses directes de santé. Or, la part du budget de l’Etat allouée à la santé reste très faible, se situant entre 5.5 et 7% depuis 2011 alors que la déclaration d’Abuja préconise 15%. La CSU se présente ainsi comme une option pour réduire les risques financiers des personnes vis-à-vis de la santé.  Si pour cette première phase, la couverture de l’Etat n’est pas à 100%,  elle va quand même réduire les coûts des soins de certaines maladies. Pour les patients atteints d’insuffisance rénale, le coût  de trois séances de dialyse passe de  720 000 FCFA à 15 000 francs.   

Globalement, la CSU selon le groupe de travail devrait avoir trois sources de financement : l’Etat, les ménages  et les partenaires.   En plus du budget, le groupe de travail indique que l’Etat pourra notamment mobiliser les ressources tirées des taxes parafiscales sur certains produits (Ressources naturelles, téléphonie mobile, transactions financières, Tabac, alcool…).   Ceci ajoutée à la contribution des partenaires au développement projetée à hauteur de 50%. 

Cette  phase pilote a été lancée en attendant la loi sur la Couverture Santé Universelle. Elle vise 6 millions de personnes dans les régions de l’Extrême-nord, le nord l’Adamaoua, l’Est et le Sud. L’enrôlement se fait dans les 5000 formations sanitaires identifiées ainsi que des mairies, chefferies.

La Couverture Santé Universelle a été défini dans l’agenda des Objectifs de Développement Durable en 2015.  L’ODD 3, stipule  en ces termes : « Faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance-santé, comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable ». Un engagement pris par les Etats.

Interview

Bin Joachem Meh, économiste

« L’implication de la communauté est un impératif pour le financement de ce projet »

Le chercheur du Nkafu Policy Institute analyse le cadre de la Couverture Santé Universelle au Cameroun ainsi que le modèle de financement possible.

La phase 1 de la Couverture santé universelle au Cameroun (CSU) vient d’être lancée dans la région  de l’Est et vise 6 millions de personnes dont les femmes enceintes, les enfants de 0 à 5 ans et les personnes atteintes de certaines maladies. Comment appréciez-vous ce projet gouvernemental qui est implémenté avec le soutien de l’OMS?

L’objectif de l’OMS à l’horizon 2030 c’est de ne laisser personne de coté à travers une santé pour tous. La CSU qui s’inscrit dans cet ordre d’idées est un projet louable et souhaitable par tous. Toutefois, pour apprécier l’implémentation de la CSU récemment lancée au Cameroun, il convient d’abord de comprendre les implications. La définition de la CSU fait intervenir 4 éléments principaux :

-L’équité : C’est à dire que tous ceux qui ont besoin des soins de santé doivent y avoir accès sans différence-

Le type de services offerts : c’est à dire que l’on doit se concentrer sur les besoins les plus urgents

-La qualité : les soins offerts doivent être suffisamment bons pour améliorer la santé de ceux qui la reçoivent

– l’accessibilité financière : C’est à dire que les usagers doivent avoir accès aux soins de santé sans que cela ne génère des dépenses catastrophiques. A partir de ces éléments, nous pouvons nous demander à quel point le projet est réalisable au Cameroun et ce qu’il y a à faire pour le réaliser. A-t-on un personnel de santé suffisant, disponible et reparti sur le territoire national ? Peut-on avoir des soins surs et efficaces ? Les populations sont-elles informées sur le projet ? Comment la CSU sera-t-elle financée ?  La réponse à ces questions représente un prérequis à la bonne mise en œuvre d’un projet de telle envergure.

 La CSU entend réduire le risque financier des usagers de la santé avec des paniers qui vont de 6000 à 15 mille francs CFA l’an pour les usagers. Les besoins en financement sont  estimés à 90 milliards de FCFA dont 42 milliards de contribution de l’Etat. En tant qu’économiste,  comment l’état procède pour financer un tel projet de prise en charge au-delà de 80% des frais des personnes cibles ?

Le financement d’un projet de telle envergure peut se faire progressivement mais s’appuyant sur plusieurs canaux. Le budget de l’Etat alloué à la santé est encore insuffisant donc un financement exclusif par l’Etat ne serait pas judicieux. Cependant, l’implication de la communauté est un impératif pour le financement de ce projet. Ainsi, à l’exemple du Rwanda qui est aujourd’hui à plus de 90% de couverture ou encore du Kenya, le pays a besoin d’un système d’assurance bien pensé et implémenté sur lequel il va s’appuyer afin de faire participer les ménages sans que cela ne constitue une dépense catastrophique ; cela nécessite une réelle volonté politique des dirigeants et une sanction véritable de tout acte de corruption qui pourrait entraver le processus. Si ces mesures sont prises, il est possible d’atteindre une couverture de plus de 80% d’ici 2030.

La CSU se situe dans le cadre de la stratégie sectorielle de la santé 2020 2030. Étant à la première phase en 2023 pensez-vous qu’on pourrait atteindre l’objectif d’un accès équitable aux services de santé à l’échéance fixée ?

Le programme de CSU au Cameroun a subi plusieurs revers entraînant un retard important dans sa mise en œuvre. Cependant avec le lancement de la Phase 1 par le Ministère de la Santé Publique, on peut espérer un accès équitable à des soins de santé de qualité au Cameroun. Mais pour que cela devienne une réalité dans les délais impartis, certaines conditions préalables essentielles doivent être remplies : Le premier et le plus important est une forte volonté politique et un bon leadership qui déterminent le niveau d’investissement public dans la santé ainsi que le nombre et la qualité des infrastructures de santé. De plus, ce programme de santé a besoin d’un système de gestion plus efficace et responsable pour être efficace dans notre pays.

Que peut le Cameroun aujourd’hui pour améliorer son système de Santé ou pour améliorer l’efficacité de ce projet ?

Le système de santé camerounais a un besoin crucial d’être amélioré pour répondre aux normes et aux besoins de la population. Si nous voulons parvenir à la CSU, des services de santé de qualité doivent être accessibles et abordables pour tous les Camerounais. Cela implique – Un nombre suffisant d’établissements de soins de santé et de personnel de santé correctement équipés dans tout le pays, même dans les zones reculées.- Une augmentation de l’allocation budgétaire du gouvernement aux soins de santé.- Éducation et sensibilisation de la population aux actions de santé publique. – Implication des membres de la communauté dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques.- Capitaliser notre potentiel (santé numérique, médecine traditionnelle, sources et systèmes de financement locaux…) pour construire une synergie d’action vers la CSU.

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