Ce 30 novembre 2024 marquait le 35ème anniversaire de la mort d’Ahmadou Ahidjo. En évoquant le souvenir du premier président camerounais mort en exil, il est loisible de revisiter le chemin parcouru depuis le décès de ce fils de Garoua dans la région du Nord. Ce qu’est devenu l’Ahidjoïsme, vu comme le système politique implémenté par celui qui aura passé 23 ans au pouvoir, avant de céder le fauteuil présidentiel à Paul Biya par démission. En commençant par l’axe imaginaire « Nord-Sud » présenté autrefois comme celui de la dévolution et de la gestion du pouvoir politique au Cameroun. 35 ans après la mort du « Père de la nation », nombre d’observateurs et d’analystes s’accordent à dire que « l’Ahidjoïsme n’est pas mort». En ce sens que, « ce sont les mêmes modes de gouvernance basées sur la cooptation au sein des mêmes familles, les mêmes méthodes de fonctionnement avec des ‘’appels ou motions de soutien’’, un règne dans la peur », selon Vincent Sosthène Fouda, politologue. Aussi, Maïdadi Saïdou Yaya, membre du Bureau politique de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp), affirme que « les clivages politiques d’aujourd’hui ne sont que la continuité de ce qui se faisait avant les indépendances » même. Expliquant qu’«en dehors de l’UPC qui avait ses positions tranchées sur l’avenir du Cameroun, les autres avaient presque la même vision, avec quelques divergences de vue légères. Puis sous la bannière de l’UNC, parti unique, tous les autres étaient soumis à la même vision ; et vous voyez que dès le multipartisme, tous ceux qui n’étaient pas fondamentalement d’accord avec Ahidjo, se sont aussitôt détachés pour créer le SDF, l’UDC, ainsi de suite. Et maintenant, un parti comme l’Undp est un allié historique du Rdpc, parce qu’ils ont le même substrat politique, et vous verrez que tous les partis issus de l’éclatement de l’Undp comme l’Andp, le Fsnc, évoluent dans la même tendance ». Mieux que les autres, les politiques du Grand-Nord sont restés attachés à la figure d’Ahidjo, selon le Dr Aristide Mono. Le politologue est formel en ce que « l’Ahidjoïsme reste assez ancré dans l’esprit dans tous les politiciens, mais disons, de la plupart des politiciens du Grand-Nord, y compris ceux qui font aujourd’hui allégeance au Renouveau ».
Handicap dans la course pour la succession
Sauf que, aujourd’hui, alors que l’on approche la présidentielle de 2025, des lignes de fracture peuvent se dessiner. La succession de Paul Biya charrie beaucoup de passion. Agé de 91 ans dont 42 passés à la tête du pays, Paul Biya est l’objet de toutes les attentions. Appelé à se représenter, l’homme n’a pas encore répondu, mais reste le « candidat naturel » de son parti à l’élection présidentielle, soutenu en cela par les partis de la majorité présidentielle. Tant en interne qu’à l’extérieur de son parti le Rdpc, le successeur d’Ahmadou Ahidjo est le déclic qui pourrait mobiliser une lutte acharnée pour le palais d’Etoudi. Une course qui, en 2025 ou plus tard, aura lieu. Si Biya clame que le dauphinat relève de la monarchie, et avance que « les Camerounais sont mâtures ; le moment venu, ils choisiront librement » son successeur. Eclipsant ainsi l’éventualité d’une succession au gré-à-gré, ou comme la sienne. Et donc que la démocratie sera la voie à emprunter.
Et c’est dans cette perspective que semble s’effriter l’Ahidjoïsme. Le Grand-Nord semble avoir moins de chances de concourir efficacement pour la conquête du palais présidentiel. Et pourtant, il reste le principal vivier électoral. « Quand on pense à l’après-Biya, on réalise que les fils du Grand-Nord ne figurent pas parmi les têtes présentées par la presse et les analystes politiques, même si on reste dans le gré à gré », croit Aristide Mono. « L’opération Epervier s’est affirmée comme un rouleau compresseur dont l’objectif principal visait en quelque sorte la rupture de cet axe Nord-Sud», accuse-t-il. Relevant la vacuité des dossiers qui ont conduit ente autres Marafa Hamidou Yaya et Amadou Vamoulke derrière les barreaux, comme des crocs-en-jambe sur la ligne de départ de la course pour la succession de Biya. A ce sujet, même s’il ne s’oppose pas à un retour aux affaires d’un natif du Grand-Nord après Biya, Maïdadi Saïdou Yaya soutient l’idée que « le Grand-Nord n’est pas une entité homogène ni sur le plan politique, ni sur le plan religieux, ni même sur le plan sociologique. En l’état actuel, je ne vois aucun fils du Grand-Nord, fédérer toutes les énergies ; pas même Bello Bouba le plus populaire de par les résultats électoraux».
Enclavement et sous-développement
Et pourtant, Guibaï Gatama, journaliste et défenseur patenté de la cause du Grand-Nord, est convaincu que « seul un natif du Grand-Nord peut mieux comprendre sa situation et y trouver des solutions. En l’assimilant, il peut plus facilement inscrire les problèmes du Grand-Nord dans une politique nationale, de sorte à savoir que pendant qu’on résout tel problème dans telle région, on peut également le faire dans le Grand-Nord ».
C’est que la partie septentrionale du pays est à la traîne du développement. « Le Grand-Nord est la seule partie du pays qui est coupée des pays voisins, alors qu’il est frontalier avec le Nigéria, le Tchad, la RCA. Le premier partenaire économique sous-régional est le Nigéria, mais aucune route bitumée ne relie les deux pays, sur toute une ligne depuis l’Adamaoua jusqu’au lac Tchad. Tous les indicateurs de l’INS et autres institutions montrent que le Grand-Nord est dernier en matière d’électrification, d’accès à l’eau potable,…», fait observer Guibaï Gatama. Alors que des fils du Grand-Nord trônent à des postes « privilégiés » au sommet de l’Etat, Aristide Mono soutient que « le Septentrion n’a pas grand-chose à apprécier dans sa relation avec Biya». Et de relever que « sans polémique, si on prend le cas de l’Adamaoua, l’allocation des postes gouvernants n’est pas proportionnelle à la hauteur géographique et démographique et au niveau de son allégeance politique, comparativement à certaines contrées qui ont été bien nanties».
« Elite politique apprivoisée»
Du coup, Aristide Mono qui relativise la portion accordée au Grand-Nord dans le fichier électoral, en raison conclut que « la fraude électorale a toujours été le ciment des logiques électorales au Cameroun », et donc qu’« il faut donc prendre avec des pincettes ces résultats qui font du Grand-Nord un bastion incontesté et imprenable du Rdpc», le politologue est convaincu que « le Grand-Nord a tous les arguments pour tourner le dos au régime de Yaoundé». Sans être partisan de cet axe Nord-Sud, l’universitaire estime que « jusqu’à l’arrivée de Biya, cet axe a toujours été la dorsale principale de gestion politique des composantes sociales et ethno-régionales du pays. Cet axe a brisé, rompu l’équilibre par de mauvaises pratiques managériales qui au lieu d’un axe horizontal, a opté pour l’assimilation, la corruption et le bâillonnement du Grand-Nord ». Faisant remarquer que « les élites politiques ont été apprivoisés, y compris les élites qui présentaient les tendances oppositionnelles accentuées, ceux qui donnaient l’impression d’être âprement opposés à l’ordre du Renouveau. Elles ont été rapidement domestiquées par les offres clientélistes de Yaoundé. Vous avez vu des apparatchiks des partis d’opposition du Grand Nord qui ont rapidement rejoint la majorité présidentielle et constituent d’ailleurs les effectifs les plus nombreux de la majorité présidentielle », fait-il constater. Citant notamment Ahmadou Moustapha, Bello Bouba Maigari, Issa Tchiroma Bakary, Garga Haman Adji, Daïkolé Daïssala. A cela, Aristide Mono ajoute qu’« il y a également l’assimilation des élites traditionnelles. Les chefs traditionnels, les imams, les sultans, les lawanes, les blamas, sont pratiquement des tacherons du Rdpc. Et, ils profitent de leur emprise sur les communautés pour continuer à récolter les voix pour le compte du Rdpc ». Et « récolter également les soumissions au Rdpc ça veut dire tout simplement que les allégeances que les populations font aux autorités traditionnelles sont immédiatement recyclées par ces dernières en bétails électoraux pour le compte du Rdpc», enfonce-t-il. Pour autant, « il serait naïf de penser que les allégeances des élites politiques, religieuses, traditionnelles et économiques au Renouveau, ont substantiellement annihilé l’Ahidjoïsme dans les veines politiques des uns et des autres. Il y a un certain opportunisme qui est assez remarquable, mais il y a que l’hypocrisie politique des Ahidjoïstes restent un déterminant à considérer chez les élites et hommes politiques du Grand Nord».
En relativisant la place attribuée au Grand-Nord par le système politico-électoral : « Déjà il est important d’interroger la crédibilité des chiffres électoraux du Rdpc dans la région du Grand Nord. Lorsqu’on sait que les élections au Cameroun n’ont jamais été transparentes, que la fraude électorale a toujours été le ciment des logiques électorales au Cameroun, il faut donc prendre ces résultats qui font du Grand-Nord un bastion incontesté et imprenable du Rdpc. Il faut interroger la crédibilité des acteurs en charge de l’organisation et de l’arbitrage du jeu électoral, pour voir si effectivement les données électorales qui sont offertes à la communauté nationale et internationale concordent avec la réalité du terrain », questionne-t-il. De toutes les façons, «…au-delà de la fraude électorale, il y a la logique de l’assimilation des élites du Grand Nord», insiste-t-il.