samedi, mars 15, 2025
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Lisette Claudia Tame Soumedjong : « Nous sommes la seule industrie locale du cacao offrant des produits intermédiaires et finis »

Promotrice d'Africa Processing Company, une entreprise spécialisée dans la transformation du cacao, elle prévoit de construire une usine capable de broyer 24 000 tonnes de cacao d'ici 2029.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et de l’origine de votre rêve de faire dans la transformation du cacao et celui d’implanter une usine au Cameroun ?

Merci pour l’honneur que vous me faites de m’interviewer. Pour bien situer le contexte, je suis la fille d’un industriel. Mon père, Henri Tame Soumedjong, était l’un des premiers agro-industriels au Cameroun dans le secteur laitier (directeur général de Saplait SA., ndlr.). J’ai donc grandi parmi les machines et j’ai découvert en moi la même passion et la même vocation que mes parents. Après mon parcours académique, mes premières expériences professionnelles m’ont conduite dans le secteur de la chocolaterie à l’étranger, où j’ai été formée spécifiquement au métier de la transformation du cacao. J’avais déjà le rêve de suivre le chemin de mes parents, et cette opportunité dans l’industrie m’a permis de définir ma propre trajectoire. Après mon séjour à l’étranger, où j’ai vu de belles réalisations, j’ai souhaité faire de même chez moi, au Cameroun. Je suis donc revenue pour démarrer mon projet industriel. Je n’ai pas commencé tout de suite dans l’industrie, car il fallait des fonds que je n’avais pas. Ce projet (Africa Processing Company SA, ndlr ) n’est pas un héritage familial ni une entreprise familiale. Nous sommes partis de zéro. J’ai commencé par importer des produits de chocolat de toutes sortes de l’étranger pendant 4-5 ans. Cette activité m’a permis de bien connaître le marché. Ensuite, j’ai collaboré avec des structures qui installaient des chocolateries ici, et je les ai accompagnées dans leur implantation. À l’issue de cette expérience, j’ai lancé ce projet industriel pour mon propre compte.

 Quels ont été les principaux défis rencontrés lors du lancement d’Africa Processing Company SA. et comment les avez-vous surmontés ?

Je tiens à préciser que cette usine a été lancée depuis fin 2020. L’entreprise a été formalisée en janvier 2021, mais nous avions déjà commencé avant cette date. En janvier 2021, nous existions donc déjà depuis exactement quatre ans. Cette usine est simplement le fruit de notre propre réalisation. Avant, nous occupions des locaux que nous louions. Aujourd’hui, nous avons construit notre propre usine. Nous sommes installés ici depuis mai 2024. Ce n’est donc pas tout récent. Nous avons simplement procédé à l’inauguration il y a quelques semaines. Votre question portait sur les difficultés qu’il a fallu surmonter pour arriver ici. Naturellement, nous sommes partis sans aucun appui financier quelconque. Il a fallu réunir les ressources matérielles et financières nécessaires pour réaliser ce projet. Nous nous sommes appuyés sur notre activité. Le fait d’avoir travaillé longtemps à l’étranger nous avait offert plusieurs opportunités d’affaires et des clients qui ont cru en nous alors que nous étions encore tout petits, ce qui nous a permis d’engranger un certain nombre de moyens pour mettre ce projet en œuvre. Nous avons rencontré des difficultés financières et matérielles, bien entendu. Il y a aussi des difficultés liées à la ressource humaine, au capital humain. Voyez-vous, les métiers de l’industrie ne sont pas courants. Il n’y a pas d’école qui forme à ce que nous faisons. Donc, quelque part, il nous faut nous-mêmes former le personnel et lui apprendre le métier de la transformation de cacao. Ensuite, il y a la gestion de prestations de services, ce qui a nécessité de trouver des compétences pour réaliser cet ouvrage. Ce n’était pas la chose la plus aisée. Voilà en gros quelques difficultés que nous avons dû braver pour réaliser ce projet.

 Pourquoi avez-vous choisi Mbankomo pour implanter vos installations, et en quoi cet emplacement stratégique contribue-t-il à vos activités ?

Mbankomo est un véritable carrefour. Nous sommes implantés dans la région du Centre, qui est le premier bassin cacaoyé du Cameroun, représentant pratiquement 51-54% de la production nationale. Dans ce bassin, nous sommes idéalement situés, à un point stratégique qui nous permet de rallier facilement Douala et Yaoundé, les deux grandes villes du pays, ainsi que les deux principaux ports, Douala et Kribi. La route de Ngoumou, qui est censée atteindre Kribi, ou la nationale numéro 3 facilitent également les connexions. Ce positionnement est stratégique à deux niveaux : d’une part, il nous place au cœur du principal bassin de production cacaoyère, et d’autre part, il nous offre une situation géographique avantageuse pour les échanges économiques, nous permettant de rejoindre facilement les ports et les grandes villes.

Quels mécanismes avez-vous mis en place pour assurer un approvisionnement régulier en fèves de cacao de qualité ?

Les capacités que nous transformons sont relativement faibles par rapport à la production nationale. En tant que transformateurs, nous avons des marges de manœuvre bien plus confortables que les exportateurs ou les acheteurs, communément appelés coxeurs. Pour une différence de prix de 100 FCFA, nous pouvons surpasser un exportateur qui traite de gros volumes. Nous bénéficions donc de cette facilité sur les marchés où nous achetons, que ce soit en coopérative, auprès de producteurs ou encore auprès de sociétés spécialisées dans la revente des fèves.

Nous avons tissé un certain nombre de relations et signé des contrats de fournisseurs au début de chaque campagne, qui nous approvisionnent. Nous permettons aussi aux particuliers de nous vendre leur cacao directement à l’usine, ce qui marche bien et fait plaisir aux producteurs de la région. Grâce à cette approche, il est assez aisé de mobiliser les quantités que nous transformons. Pouvez-vous nous présenter en détail la gamme de produits que vous avez conçue, fruit d’une étude approfondie des besoins des professionnels de la chocolaterie et de la confiserie ? Nous sommes la seule entreprise camerounaise qui propose à la fois des produits de première transformation, c’est-à-dire des produits dédiés à l’industrie et des produits semi-finis, ainsi que des produits finis destinés à la consommation finale.

En ce qui concerne les produits semi-finis de cacao, il y a principalement trois types : la poudre de cacao, la masse de cacao et le beurre de cacao, avec des subtilités que seuls les professionnels connaissent. Globalement, ces trois produits se déclinent en plusieurs formats et nous les commercialisons principalement à l’étranger. En effet, 90 à 95 % de notre production est exportée vers l’Asie, l’Europe, le Maghreb et bientôt le MoyenOrient. Pour la deuxième transformation, nous développons une gamme de produits assez innovante. Habituellement, le cacao est transformé en pâte à tartiner ou en barres de chocolat, ce qui est courant sur notre marché. Cependant, nous créons de nouveaux produits pour toutes les générations de consommateurs : enfants, jeunes et adultes. Nous proposons aujourd’hui environ 15 produits différents, tant en première qu’en deuxième transformation.

 Quels sont les critères qui ont guidé le développement de votre gamme de produits innovants ?

Alors, déjà nous sommes partis de ce constat que je viens d’évoquer, que l’offre en termes de produits dérivés du cacao était faible. Quand on regarde à l’étranger ceux qui consomment principalement notre cacao, nous avons une panoplie tellement large. Et nous on se dit, mais pourquoi nous, qui sommes propriétaires de cette richesse, devons-nous nous restreindre à n’avoir qu’un ou deux produits de cacao qui sont connus et aimés du grand public. Donc, sur cette base-là, nous avons regardé les habitudes de consommation qui sont les nôtres, et identifié des besoins que nous pourrions susciter en rapport avec les habitudes de consommation de nos populations. Et il y va donc de notre ingéniosité, nous avons créé des produits assez innovants, comme je l’ai déjà dit, pour les enfants, pour les jeunes et les adultes, des produits innovants pour enrichir la consommation courante de cacao du Cameroun.

Parce qu’il faut noter que bien que nous soyons cinquième producteur mondial, nous ne consommons même pas 5% de notre production. Donc pour pouvoir susciter cette consommation-là, il fallait pouvoir proposer des produits nouveaux qui font envie et qui existent pour certains ailleurs, et d’autres non. Il y a des produits que nous avons quand même qui n’existent nulle part. Mais l’idée simplement au fond, c’est de pouvoir susciter cette nouvelle culture de consommation du cacao pour nos marchés intérieurs, à savoir le Cameroun, mais aussi l’Afrique.

Ces produits répondent-ils à la demande du marché ?

Ben écoutez, le peu que nous faisons aujourd’hui est largement demandé. Que ce soit en première ou en deuxième transformation, nous sommes en deçà de la demande de notre marché. Pour dire clairement, oui, tous nos produits ont trouvé un écho. Mais il faut dire que rien n’est fortuit dans ce que nous faisons. Comme je vous l’ai dit, nous avons étudié le marché pendant 4 à 5 ans avec des produits d’importation. Donc nous avons une idée des attentes du marché et nous essayons d’y répondre. C’est pour cela que nous rencontrons un certain succès avec nos produits.

Comment Africa Processing Company SA se positionne-t-elle face à des acteurs majeurs du secteur. Votre entreprise propose plus de 15 produits dérivés du cacao. Quelle est votre stratégie pour garantir la qualité et vous démarquer sur le marché local et mondial ?

Notre stratégie est basique : si vous voulez vous inscrire dans la durée et dans la qualité, la première chose à faire est d’avoir une bonne hygiène de production. C’est la base. Notre principe ici est de produire des choses que nous serions prêts à donner à manger à nos enfants. Nous garantissons donc une certaine qualité.

Nous disposons également d’outils pour nous aider. Nous avons installé un laboratoire pour suivre la qualité à travers différentes sortes d’analyses et de tests. Ces éléments nous permettent de garantir une certaine sécurité. Ensuite, il y a des organismes extérieurs comme le Centre Pasteur. Nous sommes certifiés Anor aujourd’hui. Nous avons aussi un médecin du travail qui accompagne le personnel pour veiller aux questions d’hygiène. En termes de qualité, nous avons sélectionné la matière première adéquate pour maintenir cette qualité.

Quelles mesures de soutien ou incitations gouvernementales avez-vous reçues et comment contribuent-elles au développement de votre entreprise ?

Bon, nous avons effectivement essayé de prendre connaissance de toutes les incitations qui existaient et nous les avons sollicitées. Nous avons demandé une subvention que nous n’avons pas obtenue, et un agrément pour pouvoir importer notre matériel que nous n’avons pas non plus reçu pour diverses raisons, ce n’est pas grave. La seule chose que nous avons demandée et que nous avons obtenue, c’est la concession de ce terrain. C’est ce dont nous avons bénéficié de la part de l’État.

Maintenant, nous avons également bénéficié du soutien de notre ministère de tutelle en matière de filière cacao, ce qui n’est pas négligeable. Nous avons également reçu le soutien des structures de cette filière, telles que l’ONCC et le CICC, qui se sont toujours montrés à notre écoute, nous ont conseillés et nous ont recommandés. À ce niveau-là, oui, nous avons eu ce genre de soutien. Mais en termes d’accompagnement et de facilitation de l’État, il n’y a eu que cette concession de terrain qui nous a été accordée.

Quels sont vos projets pour les années à venir, et comment envisagez-vous l’expansion d’Africa Processing Company SA à travers le Cameroun et au-delà ?

Aujourd’hui, le marché nous impose le projet de grandir. Comme je l’ai dit tantôt, notre production est totalement en deçà de la demande. Notre capacité installée est de 4 000 tonnes de broyage de fèves de cacao et de 4 000 tonnes de produits finis en ajoutant les autres intrants. Je tiens à le préciser parce que les gens font la confusion, ils disent qu’on broie 8 000 tonnes. Ce n’est pas vrai. Nous sommes capables de broyer 4 000 tonnes par an. Et lorsque nous ajoutons d’autres ingrédients pour les produits de consommation, on arrive aussi à 4 000 tonnes.

Donc un total de 8 000 tonnes de produits. Cette capacité est insuffisante et nous sommes obligés de renforcer rapidement notre matériel de production. C’est ce sur quoi nous travaillons à court et moyen terme. Peut-être d’élargir aussi notre zone de stockage. Mais notre véritable projet est d’arriver à construire notre usine d’ici 2028- 2029 sur le reste de notre site puisque nous n’occupons qu’un tiers du terrain, avec une usine d’une capacité de broyage de 24 000 tonnes de cacao.

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