Inflation : les causes de la soudaine hausse des prix en Afrique

Les pays d’Afrique subsaharienne ont connu d’importantes dépréciations de leur taux de change en 2022, ce qui a exacerbé la crise de financement en alourdissant le fardeau du service de leur dette extérieure. Les dépréciations des monnaies nationales ont contribué à une hausse de l’inflation et de la dette publique, tout en détériorant les balances commerciales à court terme. Elles ont également conduit à l’épuisement des avoirs de réserve de change (environ un quart des pays avaient des réserves inférieures à trois mois d’importations fin 2022), car les entrées de devises ont ralenti et que les banques centrales ont puisé dans leurs réserves pour financer leurs importations.

L’inflation reste élevée et sujette à d’importantes fluctuations.

 Le taux d’inflation médian dans la région se montait à environ 10 % en février 2023, soit plus du double du taux observé au début de la pandémie. Près de la moitié des pays de la région affichent une inflation globale supérieure à 10%, et environ 80 % d’entre eux connaissaient également une inflation alimentaire supérieure à 10% en février 2023. Cependant, les pressions sur les prix des carburants s’atténuent depuis peu : la baisse de 30% enregistrée par les cours internationaux entre leur sommet de la mi-2022 et la fin 2022 donne un certain répit pour les pays de la région. À peu près la moitié des pays ont signalé ces derniers mois une décélération de l’inflation, qui est tout de même repartie à la hausse dans certains cas ; étant donné que les subventions aux carburants et aux denrées alimentaires seront progressivement éliminées cette année (Cameroun, République centrafricaine, Éthiopie, Sénégal), l’inflation restera sans doute volatile tout au long de 2023. Dans certains pays (Cameroun, Mali, Rwanda, Gambie), les salariés de la fonction publique ont revendiqué des hausses de rémunération au second semestre de 2022, en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants.

Des mesures en 2022 pour réduire les pressions de change

L’adoption de politiques monétaires plus restrictives a contribué à soutenir la valeur des monnaies de certains pays. En 2022, de nombreux pays ont également mis en œuvre des mesures administratives visant à maîtriser les mouvements de devises, telles que des pratiques de taux de change multiples (Nigéria), un contrôle des prix par la persuasion et l’interdiction faite aux entreprises nationales d’effectuer des transactions en devises. Par ailleurs, certains pays ont eu recours à des mesures inhabituelles comme l’achat de pétrole avec de l’or (Ghana) et le rationnement des changes s’est encore accentué en 2022 (Éthiopie, Nigéria). Pour autant, un certain ajustement de la valeur des monnaies semble inévitable dans de nombreux cas. Les pays d’Afrique subsaharienne ont certes de bonnes raisons de tenter de résister aux pressions qui s’exercent sur leurs taux de change, notamment parce qu’une part considérable de leur dette est libellée en devises et que leurs anticipations d’inflation sont mal ancrées. Cependant, ils doivent s’adapter à la hausse des taux d’intérêt et au durcissement des conditions financières, car ces nouveaux paramètres fondamentaux de l’économie mondiale vont continuer de prévaloir pendant un certain temps. Dans la plupart des pays, le faible niveau des réserves limite aussi la marge de manœuvre des autorités. Les pouvoirs publics peuvent prendre diverses mesures pour se prémunir contre les coûts économiques que le nécessaire ajustement de la valeur des monnaies est susceptible d’entraîner. Dans les pays où la dépréciation du taux de change alimente l’inflation, une orientation plus restrictive de la politique monétaire pourrait jouer un rôle bénéfique en modérant les anticipations d’inflation et en limitant les sorties de capitaux, tout en favorisant les entrées de capitaux. Lorsque les pressions qui s’exercent sur les taux de change sont très liées à des déséquilibres budgétaires, le rééquilibrage des finances publiques peut permettre de limiter les déséquilibres extérieurs et de juguler l’accroissement de la dette lié à la dépréciation de la monnaie. Dans certains cas, lorsque les pays disposent de réserves suffisantes, le recours à des interventions sur le marché des changes peut réduire la volatilité du taux de change. En revanche, les réserves de devises peuvent s’épuiser très rapidement si les pressions sur les taux de change persistent du fait de l’évolution des paramètres fondamentaux de l’économie mondiale.

La plupart des devises ont perdu de la valeur par rapport au dollar en 2022.

 L’affaiblissement de leur monnaie par rapport au dollar a aggravé la situation des pays africains déjà aux prises avec une forte inflation, car la région est fortement dépendante des importations, dont une part non négligeable est facturée en dollars. Les dépréciations des monnaies locales ont également contribué à alourdir l’endettement des administrations publiques, dans la mesure où 40% de la dette de l’Afrique subsaharienne était de nature extérieure en 2021. Les pressions sur les taux de change sont certes retombées depuis novembre 2022, mais la pression du Dollar persiste, même  après une dépréciation récemment. Tout d’abord, notre couverture d’importation devrait passer de 4 mois à 1 an: les réserves de change au sein de la Cemac ont augmenté de 43% et s’établissent à 6, 771,3 milliards de francs CFA en 31 Janvier 2023, contre 4,690 francs CFA (+43%). La couverture des importations est estimée à 3,9 mois de couverture des importations de biens et services et un taux de couverture de la monnaie de 73,1% contre 64,0% en 2022. Les réserves ont augmenté en raison des prix élevés du brut, des efforts ciblés pour rapatrier les revenus et d’une forte augmentation des prêts en devises par les banques primaires pour le compte des clients du secteur extractif. Entre-temps, les fonds rapatriés par les entreprises du secteur extractif ont été placés sur près de 500 comptes séquestres approuvés par la BEAC dans le cadre des mesures d’allègement accordées par l’autorité monétaire à cette catégorie d’entreprises en vertu de la nouvelle réglementation. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant; la banque centrale devrait progressivement essayer d’augmenter la part du dollar dans les réserves de change tout en diversifiant nos devises pour inclure d’autres monnaies comme le Franc suisse, le Yen Japonais et l’Euro. Si nous détenons plus de devises dans nos réserves de change, cela atténuera l’impact d’un dollar plus fort et encouragera les commerçants locaux à payer et à se faire payer dans des devises autres que le dollar Américain. Les pays africains devraient prendre des mesures pour réduire l’impact de la monnaie sur l’inflation locale.

Un fonds souverain pourrait atténuer l’impact de l’inflation

 Au moins 117 fonds souverains africains sont opérationnels ou en cours de création dans le monde, gérant 9,100 milliards de dollars, soit 10% du PIB mondial. Les fonds souverains peuvent générer des revenus étrangers, prévenir une baisse prononcée des investissements et fournir des fonds supplémentaires pour financer les déficits ou les investissements des gouvernements. Le Cameroun a créé plusieurs fonds nationaux pour l’agriculture, où sont réinvestis les produits des taxes dans ces secteurs. Un fonds souverain permettra au Cameroun de générer des flux de devises cohérents, qui serviront de tampon pendant les périodes inflationnistes. Les entreprises ont besoin d’un soutien accru pour produire et commercialiser leurs produits localement: Il existe un logo « Made in Cameroon » utilisé par plus de 250 entreprises au Cameroun, et le gouvernement organise des foires en collaboration avec des associations et des gouvernements locaux. Toutefois, ces marques sont peu connues et ne sont pas toujours faciles à trouver dans les supermarchés. L’accès à des produits locaux peut soutenir la consommation intérieure et atténuer l’impact de la baisse des prix sur les prix des biens et services.

Conclusion

L’inflation est élevée dans toute l’Afrique, mais aussi au Cameroun. Pour réduire l’inflation, il faut penser à des solutions à long terme qui ont fait leurs preuves ailleurs. L’expérience africain peut informer celle du Cameroun, car les problèmes auxquels font face l’Afrique sont diversifiés mais similaires.

Henri Kouam,  Président Cameroon Institute for Economic Policy (CIEPs)

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