Avec près de 15000 migrants camerounais partis au Canada entre 2019 et 2023, les entreprises camerounaises se vident progressivement de leurs cerveaux et paient le lourd tribut des ardoises laissées par ces derniers. Une situation pour laquelle les pouvoirs publics et le secteur privé envisagent des mesures pour limiter la saignée des entreprises.
Des grandes entreprises camerounaises, plus touchées par le phénomène d’immigration canadienne, envisagent des verrous pour renforcer les conditions de départ de leurs employés. Car, si le nombre croissant des camerounais est notamment dû au chômage et au sous-emploi qui touche 73,1% des jeunes de 15-34 ans, bon nombre laissent leurs emplois pour le Canada. C’est cette catégorie d’immigrants qui va bientôt faire l’objet de restrictions et plus d’exigences en cas d’intention de départ.
Le constat tient de ce que, en plus du vide qui se creuse de plus en plus au sein des entreprises camerounaises, de milliers travailleurs démissionnent dans des conditions troubles. « Ces départs massifs effectués en majorité à l’insu des employeurs (…) obligent ces entreprises, dans plusieurs cas, à supporter les dettes contractées en interne par les travailleurs démissionnaires. Par ailleurs, lorsque lesdits travailleurs avaient des emprunts en cours auprès des institutions financières, la récurrence du phénomène compromet l’accès au crédit d’autres employés de la même entreprise », note Célestin Tawamba, président du Groupement des Entreprises du Cameroun (Gecam).
Des sources fiables indiquent que certaines entreprises ont ces derniers mois limité l’accès au crédit bancaire pour leurs employés. D’autres ont défini de nouvelles clauses dans leurs rapports avec leurs salariés, en vue d’obtenir un engagement de ces derniers à travailler pendant un certain nombre d’années avant de quitter leurs postes. Au niveau plus macro, le patronat camerounais dit avoir saisi le ministère des Relations Extérieures pour une concertation entre le gouvernement et le secteur privé à ce sujet. Cette assise, permettra de « discuter mes mesures potentielles pour atténuer ses effets », renseigne le Gecam. Surtout que, l’impact de ce phénomène sur les entreprises est multiforme. D’ailleurs, même le secteur public est concerné. Certains fonctionnaires continuent de percevoir leurs salaires même étant partis au Canada. Parfois, ce sont des cadres expérimentés qui s’en vont. Des employés dont les entreprises ont parfois financé leur formation. Ce qui occasionne une fuite de compétences.
Parmi les possibles mesures qui pourront être prises, apprend-on, serait qu’il soit demandé de fournir une preuve de non redevabilité et de bonne transparence vis-à-vis de son employeur avant l’obtention d’un visa. L’ambassade pourrait aussi mener des enquêtes auprès des entreprises au sujet d’un employé candidat à l’immigration.
Comme d’autres pays africains, le Cameroun répond à l’appel du Canada qui sollicite la main d’œuvre étrangère pour se développer. Ce pays d’Amérique du Nord prévoit dans son plan d’immigration 2023-2025, d’accueillir entre 430 000 et 542 500 nouveaux résidents permanents en 2024 et 442 500 à 550 000 en 2025. Des « niveaux record » croissants, selon le gouvernement Canadien. Selon Gecam, près de 6 000 Camerounais ont immigré au Canada de janvier à avril 2024.
Interview
Bin Joachem MEH, économiste
« Le gouvernement doit s’attaquer au sous-emploi et au chômage élevé »
L’expert analyse le phénomène d’immigration massive des travailleurs qualifiés pour le Canada, en dressant son impact sur les entreprises. Il formule aussi des recommandations qui peuvent permettre aux entreprises d’atténuer la saignée.
Selon les statistiques québécoises, près de 15 000 Camerounais se sont installés au Canada entre 2019 et 2023. Quel sera l’impact de cette forte immigration sur l’économie camerounaise ?
Le chiffre de près de 15 000 Camerounais s’installant au Canada entre 2019 et 2023 est significatif, mais il est important de considérer le contexte de la situation. Si ce chiffre est le résultat d’une tendance plus large de Camerounais à la recherche de meilleures opportunités économiques et d’un niveau de vie plus élevé, il pourrait avoir un impact positif à la fois sur le marché du travail local au Canada et sur l’économie camerounaise. L’afflux de travailleurs qualifiés pourrait aider à combler les pénuries de main-d’œuvre et contribuer à la croissance économique au Canada, tandis que les fonds envoyés au Cameroun pourraient donner un coup de pouce à l’économie locale. Toutefois, il est également important de prendre en compte les effets négatifs potentiels, tels que la fuite des cerveaux au Cameroun et la perte de travailleurs qualifiés.
Le Groupement des Entreprises du Cameroun dénonce les départs massifs d’employés. Des employés pour lesquels l’entreprise a parfois investi dans la formation. Il y a aussi ceux qui laissent des dettes qui affectent la trésorerie de l’entreprise et limitent l’accès au crédit bancaire pour les autres salariés. Que pensez-vous qu’il soit possible de faire pour limiter la saignée des entreprises camerounaises ?
Les entreprises peuvent prendre plusieurs mesures pour limiter l’impact de l’immigration sur leurs activités et se protéger des conséquences négatives potentielles du départ des employés et des dettes qu’ils laissent derrière eux.
Premièrement, les entreprises peuvent créer un environnement de travail positif en offrant à leurs employés des salaires et des avantages compétitifs, ainsi que des possibilités d’évolution de carrière et de développement. Les entreprises peuvent proposer des programmes de formation et de développement pour aider les employés à acquérir de nouvelles compétences et à se tenir au courant des dernières tendances du secteur. Cela peut contribuer à accroître la satisfaction des employés et à réduire la probabilité qu’ils partent pour de meilleures opportunités.
Deuxièmement, les entreprises peuvent utiliser un processus d’intégration solide qui soutient les nouveaux employés. Des attentes claires, une formation et un mentorat les aideront à s’intégrer dans la culture de l’entreprise et à se sentir valorisés.
Enfin, les entreprises peuvent mettre en œuvre des politiques visant à empêcher les employés de laisser des dettes derrière eux, en exigeant par exemple des employeurs qu’ils remboursent toutes les dettes en cours avant de quitter l’entreprise.
Comment le gouvernement doit-il faire face à ce phénomène dans un contexte de sous-emploi et de chômage élevé ?
Le gouvernement devrait adopter une approche à multiples facettes pour faire face à ce phénomène. Il pourrait notamment investir dans des programmes d’éducation et de formation afin de préparer la main-d’œuvre aux emplois de demain, créer davantage d’opportunités d’emploi par le biais d’initiatives de développement économique et mettre en œuvre des politiques visant à attirer les investissements étrangers et à stimuler la croissance économique. En outre, le gouvernement pourrait s’attaquer aux causes profondes du sous-emploi et du chômage élevé, notamment en améliorant l’accès au crédit et en soutenant les petites et moyennes entreprises. Le gouvernement pourrait mettre en œuvre des politiques visant à améliorer l’environnement des entreprises et à les inciter à rester et à investir dans le pays. Cela pourrait inclure la réduction des barrières bureaucratiques, l’amélioration des infrastructures et la mise en place d’incitations pour que les entreprises se développent.