L’expert financier et directeur associé du cabinet G &M Finance analyse les instruments financiers de l’Etat du Cameroun et déroule les avantages des financements structurés.
Comment appréciez-vous les techniques de financement actuelles déployées par l’État du Cameroun?
Les techniques de financement actuellement déployées par le Cameroun sont classiques et correspondent à notre éco système marqué par une absence de liquidités pour financer les investissements longs. L’État fait systématiquement recours au marché financier sous régional des OAT et des BAT en dehors de ses ressources propres essentiellement constituées des recettes fiscales et douanières. L’État a prévu plusieurs techniques de financement pour l’exercice 2025 et notamment: emprunts 1775 milliards de FCFA pour financer les dépenses publiques ; avals et garanties de la dette extérieure dont le plafond est fixé à 120 milliards de FCFA. Des recettes fiscales et non fiscales pour un budget 2025 qui s’équilibre en recettes et dépenses à la somme de 7 317,7 milliards de FCFA ; partenariats public-privé pour financer des projets d’infrastructure et de développement. Ces techniques de financement devraient permettre à l’État du Cameroun de financer ses dépenses publiques. Mais ça reste insuffisant comme le rappelle à chaque fois le ministre des Finances. Nous pouvons et devons mieux faire.
Cette année, le gouvernement a par exemple mis un accent sur la mobilisation de l’épargne nationale pour financer son budget en élargissant l’accès au marché financier aux EMF et plate-formes de mobile money. Comment analysez-vous cette décision et quelles peuvent en être les limites?
Plusieurs pays lancent des appels à l’épargne nationale. C’est le cas lors du dernier entretien télévisé du Président Macron en France. Le Japon qui est le pays le plus endetté au monde, soit en 2025 263% de son PIB (résultat des déficits cumulés des budgets des différentes administrations et, principalement, de l’administration centrale) a une spécificité. C’est que, sa dette est détenue à 90% par des investisseurs japonais dont 44% par la banque du Japon. C’est la 3e puissance économique mondiale, ce qui démontre que l’épargne nationale est un levier indispensable du financement du développement. Que le Cameroun ait recours à l’épargne nationale est une bonne nouvelle, mais il faudra peut-être voter une loi d’amnistie pour sortir l’argent des plafonds et maquis. La digitalisation permettra également aux petits épargnants de participer au financement de l’économie de notre pays. Les avantages de faire appel à l’épargne nationale sont multiples: mobilisation de l’épargne pour financer les projets de développement; diversification des sources de financement grâce à une alternative aux sources de financement traditionnelles; réduction de la dépendance à l’égard des bailleurs de fonds internationaux et plus de contrôle sur ses projets de développement; soutien à l’économie nationale. Les inconvénients pour les épargnants sont le risque de non-remboursement à temps par l’État, ce qui pourrait entraîner des conséquences négatives pour l’économie nationale; et pour l’Etat, la dépendance à l’égard des investisseurs nationaux, ce qui pourrait limiter sa capacité à prendre des décisions stratégiques vis-à-vis de certains groupes de pression.
La réalisation des grands projets d’infrastructures au Cameroun, que ce soit dans le secteur des transports ou l’énergie par exemple, reste caractérisée par une rallonge des délais et une consommation financière importante. Qu’est-ce qui fait selon vous pose problème ?
La mauvaise gouvernance économique et financière, la non maturation efficiente des projets, les études de faisabilité qui ne sont pas bien faites par des spécialistes, la lenteur dans la passation des marchés et des financements non adaptés peuvent justifier ce que vous décriez. Si l’on ajoute à cela des comportements criminels et égoïstes tels que la corruption excessive ou les détournements de deniers publics, l’on a le package des raisons pour lesquelles nos grands projets sont l’objet de scandales systématiquement. Nos routes sont par exemple parmi les plus chères au monde, cela plombe le développement et la croissance économique de notre pays.
Vous recommandez l’utilisation des financements structurés pour la réalisation des projets de long terme…En quoi serait-il bénéfique pour un pays comme le Cameroun?
Les financements structurés notamment la maîtrise des PPP, la titrisation qui fonctionne bien en zone UEMOA, les produits dérivés et les financements à la carte offrent une panoplie de possibilités à l’État en ce sens qu’ils lui ouvrent le marché des investisseurs internationaux en dehors des banques traditionnelles et leurs produits non moins traditionnels. L’État peut donc lever des fonds très importants en mettant en place des SPV (Special Purpose Véhicule) qui pourront structurer et obtenir des financements. Il existe de nombreux financements innovants que l’État peut capter, mais pour cela il faut s’entourer de compétences et d’expertises avérées dans le domaine de l’ingénierie financière. Tous les jours, on se plaint que le marché domestique n’est pas assez profond pour lever la dette, cela est vrai et l’exposition des banques sur les emprunts obligataires de l’État (80% du stock) est élevée, créant un effet d’éviction pour les autres emprunteurs. Ce qui pourrait ralentir l’économie. Les financements structurés sont une solution indiquée de diversification et d’effet de levier important.
Les financements structurés d’une certaine manière sont déjà utilisés par le Cameroun qui a l’usage des PPP notamment. En quoi votre formule sera-t-elle différente?
Il n’y a pas une formule différente, la finance est la même partout si elle est appliquée dans les règles de l’art. Lors des récentes journées économiques du Cameroun, plusieurs chefs d’entreprises se sont plaints de la mauvaise application des PPP dans notre pays pour plusieurs raisons qu’il faut adresser alors que c’est un outil efficace pour financer et réaliser des projets d’infrastructure et de développement: le cadre juridique et réglementaire est insuffisant, ce qui entraîne des risques pour les investisseurs privés; la préparation et le suivi des projets n’est pas efficace; il manque souvent de la transparence dans les processus de passation des marchés et de gestion des PPP. Certains projets de PPP sont complexes et coûteux, ce qui rend difficile leur financement et leur réalisation s’il n’y a pas une bonne structuration financière couplée à un manque d’expérience et des compétences nécessaires pour gérer les PPP. Un problème de technique financière se pose également, à savoir les risques de change et de taux d’intérêt qui peuvent affecter la viabilité financière des PPP si des produits de couverture ne sont pas mis en place.
Vous avez récemment organisé un séminaire à Douala sur les financements structurés. Quel bilan?
Le bilan du séminaire récemment organisé pour la 1ere fois dans notre pays est bon en ce sens qu’il a connu la participation du personnel de la direction générale du Trésor. Et particulièrement de la direction de la trésorerie qui gère au quotidien les problèmes de trésorerie de l’État et doit trouver des solutions de liquidité, mais aussi les administrations sectorielles concernées par des besoins de financement (Ministère des travaux publics, MINEPAT, Caisse autonome d’amortissement) et d’autres organisations importantes : Caisse des dépôts et consignations qui est un financeur long, COSUMAF qui veille sur le marché financier de la sous région et protège l’épargne investie en valeurs mobilières et autres actifs financiers, la NFC Bank…. Ces participants ont bénéficié de l’expertise de notre cabinet G&M Finance et ses divers experts dont certains sont venus de France et de Côte d’Ivoire. Les besoins en formation exprimés par les participants nous permettent aujourd’hui de mieux calibrer l’accompagnement que nous pouvons apporter aux Etats de la CEMAC pour trouver des financements indispensables pour leurs infrastructures en vue de leur développement économique et de la lutte contre la pauvreté. En cela, je remercie le diligent ministre des finances du Cameroun qui a parrainé ce séminaire international.