Par Louis-Marie Kakdeu
Dans son message à la jeunesse ce 10 février 2023, le Chef de l’État camerounais a exhorté son gouvernement à accélérer la mise sur pied du fonds de garantie aux jeunes entrepreneurs. De quoi s’agit-il ? Est-ce pertinent et efficace pour soutenir l’entrepreneuriat jeune ?
Un organisme inefficace !
Il s’agit d’un fonds de garantie aux prêts des jeunes entrepreneurs dont la mission est de cautionner l’emprunt d’un jeune porteur de projet devant un établissement bancaire. L’idée derrière ce fonds serait de combler l’exigence de garantie opposée aux jeunes dans les banques commerciales.
En l’état, les jeunes entrepreneurs ne sont pas encore en position de présenter une garantie acceptable aux banques pour bénéficier d’un crédit. Par conséquent, ils manquent de capitaux pour faire la création ou la reprise d’une entreprise. Dans le milieu des socialistes, l’idée a été d’utiliser l’État pour cautionner l’emprunt des couches vulnérables. Il s’agirait donc d’un fonds de garantie spécial. « Spécial » parce qu’il vise une catégorie spécifique de la population. Pourquoi discriminer et se limiter aux jeunes ?
Au Cameroun, selon la BAD, seules 9% des femmes ayant sollicité le crédit ont été effectivement financées par nos banques. Cela veut dire que pour rester dans l’idée des socialistes, il faut simplement créer un fonds de garantie (en direction des plus vulnérables comme les jeunes, femmes, handicapés, paysans, etc.). Pourquoi ? Parce que l’économie rurale ou sociale et solidaire repose sur ces couches vulnérables qui méritent le soutien de l’État. Mais, sous quelle forme ? Avançons !
Comment ça fonctionne ?
Un fonds de garantie suppose qu’un organisme s’engage auprès de la banque à assumer les engagements de l’emprunteur au cas où ce dernier venait à être défaillant. Il ne s’agit donc pas de la couverture du crédit à 100%. Le système suppose simplement que si l’emprunteur saute de payer une ou plusieurs mensualités, alors la banque se retourne vers le fonds de garantie pour se faire payer.
Le fonds de garantie paie la banque et se charge de poursuivre l’emprunteur. Dans son fonctionnement, il ne s’agit donc pas d’un argent donné cadeau. C’est pour cela qu’il faut définir au préalable la nature du fonds de garantie en question. Nous pouvons en avoir deux types : un fonds à vocation sociale et solidaire, et un fonds à vocation économique.
Dans le premier cas à vocation sociale et solidaire, le fonds permet de couvrir l’emprunt sans commission. Dans le second cas à vocation économique, le fonds prélève ou facture une commission au jeune emprunteur.
Récapitulons : Le fonds de garantie dont on parle au Cameroun sera un organisme public créé par l’État (ailleurs, il peut s’agir d’un organisme privé). Cet organisme a ses charges de fonctionnement qu’il faut couvrir. Il existe deux façons de les couvrir : si l’État opte pour un fonds à vocation sociale et solidaire, alors il devra lui verser un budget de fonctionnement chaque année et éventuellement, il devra recapitaliser régulièrement (si les premiers emprunteurs ne remboursent pas ou si nos amis fonctionnaires bouffent tout).
Si l’État opte pour un fonds à vocation économique, alors cet organisme devra s’autofinancer. Par conséquent, c’est le jeune emprunteur qui devra verser une commission au fonds pour soutenir son fonctionnement. Dans un cas comme dans l’autre le fonds de garantie coûte cher soit à l’État ou à l’emprunteur, et ce mécanisme est lourd.
J’explique : au lieu de devoir payer les charges de fonctionnement d’un organisme budgétivore chaque année, l’État peut directement subventionner le jeune entrepreneur. C’est plus simple, facile et pratique. Dans le cas où le fonds a une vocation économique, la signification pour le jeune emprunteur est qu’il paie un taux d’intérêt à la banque (entre 11 et 15%) et une commission au fonds de garantie (disons 10%). Au final, le crédit revient très cher (au-delà de 21% au minimum), ce qui n’est pas viable.
Une expérience négative des organismes publics de financement
Cela nous fait penser à notre fameuse banque des PME au Cameroun. L’État y avait mis FCFA 10 milliards, ce qui n’a suffi que pour payer le fonctionnement de cette banque. Pire, combien de personnes pouvaient être financées avec FCFA 10 milliards ? Les entrepreneurs ou les artisans ? Quelle leçon ? La leçon est que les fonctionnaires n’ont pas été formés pour faire la finance.
Et l’État n’a pas pour vocation de créer des entreprises et des banques. L’État est un régulateur. Et le maillon faible du système actuel au Cameroun est l’absence de cette régulation. Par exemple, pourquoi l’État laisse-t-il les banques commerciales vendre le crédit jusqu’à 15% alors qu’elles récoltent les épargnes gratuitement d’une part, et la banque centrale leur laisse quelque fois l’argent à 3,5% d’autre part ? Où est la régulation ? Aussi, la vocation des banques commerciales est de prendre le risque. C’est le métier de la finance. Mais au Cameroun, les banques commerciales ne prennent aucun risque sous les yeux fatigués de l’État gérontocrate. Le produit qui marche dans les banques c’est l’épargne. Jamais le crédit. Et donc, chaque homme d’affaires crée sa banque pour collecter l’épargne des pauvres (thésaurisation à proscrire dans une économie normale) et constituer son capital. L’État ne dit rien. Les dirigeants sont fatigués. Ils dorment. Ils fêtent seulement leurs 90 ans au village. Et ils embêtent les gens avec des idées économiques que l’on a expérimenté sans succès il y a un siècle. Come on !
Les banques camerounaises sont en surliquidité. L’argent existe. Il y a même trop d’argent. Le fonds de garantie est inefficace parce que ce n’est pas en étant défaillant à la banque que l’on deviendra du coup solvable devant l’État. Pardon, ne créez pas un chapitre 94 bis pour distribuer d’autres dizaines de milliards sans plus-value économique. On demande au gouvernement d’améliorer le climat des affaires. C’est tout ! Par exemple, il faut faciliter l’accès à la propriété foncière pour intégrer le paysan dans le système financier du jour au lendemain. Aussi, il faut voter le code de la famille et de la femme pour donner un statut aux enfants et aux femmes et les délivrer du joug culturel qui les éloigne de l’héritage et de la propriété objet de garantie.
Deux choses : code foncier et code de la famille, c’est ce qu’on demande au gouvernement depuis 42 ans pour résoudre socialement et économiquement ce problème de garantie.
Louis-Marie Kakdeu
Membre du Shadow cabinet du SDF
Economie, Finances et Commerce.