Le rapport de la Commission nationale anti-corruption sur l’Etat de la Corruption au Cameroun en 2023 met la lumière sur un phénomène qui prend une ampleur inquiétante. Il s’agit du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. Selon des données qui figurent dans le document susmentionné, l’Agence nationale d’Investigation Financière (Anif) a reçu 965 déclarations de soupçon en 2023 contre 869 en 2022, soit une hausse de 11,05% en valeur relative.Selon la Conac, les banques sont les premières pourvoyeuses de déclarations de soupçon avec un taux en hausse qui se fixe à 68,70% enregistrant une progression de 1,22% par rapport à l’année précédente.
Elles sont suivies par les prestataires de Mobile money (4,25%) et les établissements de microfinances (1,35%). Pour répondre à cette crise grandissante, le gouvernement camerounais, à travers la Direction générale du Trésor, de la coopération financière et monétaire, a décidé de réagir en lançant une série de séminaires de formation à l’échelle nationale. Ces rencontres, qui se dérouleront dans plusieurs grandes villes du pays, comme Yaoundé, Douala, Limbé, Bafoussam et Garoua, visent à renforcer les compétences des dirigeants des établissements de microfinance dans la détection et la prévention des flux financiers suspects. Lors de la première session, qui s’est tenue le 1er octobre dernier à Yaoundé, Hayatou Sanda, chef de division des établissements de microfinance au ministère des Finances, a souligné l’importance de « doter ces dirigeants des outils nécessaires pour mieux identifier et signaler les transactions frauduleuses ».
UNE CRIMINALITÉ EN MUTATION FACILITÉE PAR LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Cette offensive du gouvernement est perçue par plusieurs observateurs comme une réponse certes tardive, mais nécessaire, face à une criminalité financière en mutation. Le recours accru aux nouvelles technologies de paiement, notamment Mobile Money et les cryptomonnaies, rend les transactions plus difficiles à tracer et facilite l’anonymat des criminels. Cette sophistication croissante des techniques de blanchiment met à rude épreuve les systèmes de contrôle en place, souvent jugés fragiles. Selon l’Anif, les flux financiers illicites ayant fait l’objet de rapports transmis aux autorités compétentes en 2023 s’élèvent à 1 665 milliards de FCFA, soit une augmentation spectaculaire de 180 % par rapport à l’année précédente. Plus de la moitié des dossiers soumis concernent des fraudes, un chiffre qui témoigne de l’ampleur du phénomène. Pour certains experts, cette recrudescence est en partie liée à l’instabilité sécuritaire du pays, qui profite à des réseaux criminels transnationaux.
UNE RIPOSTE ADAPTÉE MAIS UN DÉFI DE TAILLE
La série de séminaires prévue en octobre n’est qu’un élément de la riposte globale mise en place par le gouvernement Camerounais, qui, il y a quelques mois, a officiellement procédé à l’installation des membres du Comité de coordination des politiques nationales de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’objectif affiché est clair : protéger le système financier national et couper les vivres aux réseaux criminels. Toutefois, il reste à voir si ces efforts suffiront à endiguer un phénomène en constante mutation, alimenté par des enjeux sécuritaires et économiques majeurs. « Face à la montée du blanchiment d’argent, il est crucial que le Cameroun continue à renforcer ses capacités de contrôle tout en mettant à jour ses outils de surveillance pour suivre l’évolution des menaces. L’implication directe des établissements de microfinance dans cette lutte représente un pas en avant, mais l’efficacité de cette stratégie dépendra de la capacité des autorités à anticiper et à s’adapter aux nouvelles formes de criminalité financière qui ne cessent d’émerger », indique un expert.