Dans son ambition de devenir pays émergent à l’horizon 2035, le Cameroun a mis sur pied en 2009 sa stratégie de développement de long terme, baptisée vision 2035, dont les objectifs étaient de : réduire la pauvreté à un niveau socialement acceptable, atteindre le stade de pays à revenus intermédiaires, devenir un Nouveau Pays industrialisé, consolider le processus démocratique et renforcer l’unité nationale. Etendue sur trois phases successives, la première phase de la mise en œuvre de la vision 2035 s’est déclinée de 2010 à 2020 à travers le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (Dsce). Ce document visait précisément à: porter la croissance à 5,5 % en moyenne annuelle ; ramener le sous-emploi de 75,8 % à moins de 50 % ainsi que le taux de pauvreté monétaire de 39,9 % en 2007 à 28,7 % en 2020. Afin d’y parvenir, le Dsce a axé sa stratégie de croissance sur les projets structurants, la création de richesses inclusives et durables, qui devaient contribuer à l’amélioration structurelle de l’économie et relever le niveau de vie des populations. Malgré un bilan mitigé, le document de planification compte plusieurs réalisations à son actif.
Une croissance économique supérieure à celle des pays de la CEMAC
D’après le gouvernement, la mise en œuvre du Dsce a permis un relèvement notable du taux de croissance passant de 3 % à 4,5 % sous la période 2010- 2019. Bien qu’en dessous de 1 point par rapport aux prévisions de 5,5 %, le Cameroun a une croissance nettement au-dessus de celle du reste des pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac). Ce qui témoigne de la résilience de l’économie camerounaise face aux différents chocs économiques et sécuritaires dont elle a fait face à partir de 2015. Et pourtant, le pays était parti sur de bons résultats avec une croissance réelle qui est passée de 1,9 % à 5,9% entre 2009 et 2014.
Infrastructures : des réalisations considérables
Plusieurs projets structurants ont été réalisés dans divers secteurs sous l’ère du Dsce. Lesquels ont renforcé substantiellement le parc infrastructurel du pays aux plans portuaire, énergétique et routier… Dans le secteur des transports, on note la mise en service du port en eau profonde de Kribi, qui possède selon le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’aménagement du territoire (Minepat) l’un des meilleurs tirants d’eau du golfe de guinée et le deuxième pont sur le Wouri. A cela s’ajoute le bitumage de plus de 2000 km de routes (nationales, départementales et urbaines). En ce qui concerne le secteur de l’énergie, le Dsce a permis la construction de plusieurs barrages notamment le barrage de Lom Pangar, le barrage Hydroélectrique de Memve’ele et le barrage de Mekin. De grands projets qui ont boosté la production locale d’énergie électrique de près de 750 Mégawatts (MW). Et ce n’est pas tout, l’on enregistre aussi la construction de l’usine à gaz de Kribi dotée d’une capacité additionnelle de 216 MW.
Finances publiques : les recettes pétrolières en hausse
Malgré les perspectives à la baisse de la production pétrolière et l’entrée en vigueur des accords de Partenariat Economique (APE), le Dsce prévoyait que les recettes pétrolières totales se maintiennent au-dessus de 15 % du Produit intérieur Brut (PiB) à l’horizon 2020. Mais cet objectif a été dépassé de 1.1 point pour atteindre 16,1 %. De même, les recettes non pétrolières (13,5%) étaient en hausse de 0,4 point par rapport aux prévisions fixées à 13,1% du PiB. Par contre, une baisse moyenne de 8,2 points de la part des recettes pétrolières dans les recettes propres de l’Etat a été enregistrée sur la période 2010-2017, comparativement à la période de mise en œuvre du Document de Stratégie pour la réduction de la Pauvreté (Dsrp). En effet, précise le Minepat, cette part a baissé de 30,8 % à 22,6 % entre les deux périodes.
Gouvernance : des avancées considérables
Selon les experts, l’évolution de la situation de la gouvernance économique a été peu satisfaisante. En effet, plombée par la corruption, la complexité des procédures douanières, fiscales et les lenteurs administratives, le climat des affaires au Cameroun a évolué durant le Dsce en dent de scie. Mais, même si le niveau actuel de la gouvernance économique est encore en dessous de la cible visée, plusieurs progrès notables ont par contre été réalisés dans le secteur de la gouvernance institutionnelle depuis 2010 avec la mise sur pied du Sénat et de la Conseil Constitutionnel, le Code général des Collectivités territoriales Décentralisées. D’ailleurs les premières compétences ont été transférées aux communes par l’état central en 2010 et conformément au principe de progressivité, en 2018, 63 compétences ont été transférées par 21 ministères. En ce qui concerne les atteintes à la fortune publique, le dispositif a été renforcé avec la création et l’opérationnalisation du Tribunal criminel spécial (TCS) depuis 2012.
Emploi : sous-emploi fait peau dure
Le gouvernement comptait réduire la portion du secteur informel dans l’activité économique nationale et créer des dizaines de milliers d’emplois chaque année dans le secteur formel, avec la stratégie d’emploi contenue dans le Dsce. il s’était à cet effet fixé pour objectif de ramener le sous-emploi de 75,8 % à moins de 50 % à l’horizon 2020 en accroissant l’offre d’emplois décents et en améliorant l’adéquation de la demande d’emplois ainsi que l’efficacité du marche du travail. Sauf que, neuf ans plus tard, le sous-emploi touche encore 70,6 % d’actifs, soit 6,3 millions. au niveau national, 74 % de femmes occupées touchent une rémunération inferieure à 36 720 francs CFa tandis que 80,7 % des femmes en milieu rural sont dans la même situation.
La pauvreté s’est accrue
D’après le Minepat, durant la première phase de la mise en œuvre de la vision 2035, la pauvreté monétaire a légèrement diminué (de 2,4 points) entre 2001 et 2014, en passant de 39,9 % à 37,5 %. Toutefois, cette performance est en deçà des attentes du Dsce qui envisageait un taux de pauvreté de 28,7 % en 2020. Les inégalités se sont par contre accrues dans la mesure où l’indice de mesure des inégalités (gini) est passe de 41 en 2001 à 44 en 2014. La consommation des 20 % ménages les plus pauvres a reculé sur la période au profit de celle des 20 % ménages les plus riches. En conclusion, le Cameroun a fait reculer la pauvreté de 3 % là où l’on attendait 10 %.
Contraintes et perspectives
En somme, le Dsce n’a malheureusement pas permis au Cameroun d’atteindre ses objectifs de croissance du fait du double choc économique et sécuritaire intervenue à partir de 2015. En effet, le pays a été secoué la chute des cours des matières premières (pétrole) et l’insécurité dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ainsi que les exactions de la secte terroriste Boko-Haram dans l’Extrême-Nord. Cette crise économique a obligé le Cameroun d’adopter un Programme Economique et Financier avec le Fonds Monétaire international (FMi) au titre de la Facilité Elargie de Crédit (FEC). S’il est vrai que la paix est une condition préalable et indispensable aux aspirations d’émergence, la persistance de la crise dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, et l’Extrême-Nord pourrait une fois de plus plomber les ambitions de développement du pays à l’horizon 2030. La pandémie du coronavirus pourrait également constituer un frein à la bonne exécution de la Stratégie Nationale de Développement.
Par Ghislaine Ngancha