Thierry Bineli Betsi : « la part de l’état Camerounais auraient pu être plus grande »

Spécialiste de géologie minière et enseignant des universités, il analyse les contours du contrat minier de Lobe et propose une stratégie pour attirer les grandes compagnies minières.

Le Cameroun vient de signer une convention minière d’exploitation de fer de Lobe avec une entreprise chinoise, à la lecture de cette convention, quels commentaires pouvez-vous faire?

La convention minière signée entre l’état du Cameroun (représenté par le Ministère des Mines) et l’entreprise SINOSTEEL CAM S.A. et relative à l’exploitation du gisement de fer de Lobe présente bien des aspects positifs pour le Cameroun et ses citoyens. Pour les aspects positifs: la part belle faite aux camerounais par rapport aux différents postes à pouvoir et ou à compétence égale, la priorité sera donnée aux camerounais ; Il y a ensuite  le programme de développement social des populations autour du projet minier et la construction d’infrastructures socio culturelle, médicale, scolaire et sportive qui bénéficieront aux populations locales ;la formation professionnelle de Camerounais et le transfert des technologies ; la collection des différentes taxes prévues par le code minier 2016 et ce dès la première année d’exploitation. A ce sujet il faut noter que les grands pays miniers comme le Canada accordent aux compagnies minières des allocations appelées « taxes hollidays  ou holliday allowances» qui permettent aux compagnies d’exploiter les nouvelles mines pendant 1-3 ans sans payer de taxes. Cela permet aux compagnies de d’abord payer les intérêts contractés pour assurer la stabilité de la compagnie qui, par la suite aura plus d’aisance à payer les taxes. Mais il faut dire que c’est aussi une attitude risquée parce que le projet peut s’effondrer avant les 1- 3 ans, privant ainsi le pays hôte d’une source de revenue. Donc le fait que le gouvernement camerounais soit en mesure de prélever des taxes des la mise en marche du projet est aussi un aspect positif.

Quand on regarde ce qui se passe ailleurs en termes de contrat minier, peut-on dire que ce contrat a été bien négocié ?

Lorsqu’on compare avec ce qui se fait de mieux actuellement en Afrique et au Botswana notamment, la part de l’état Camerounais auraient pu être plus grande. Debswana qui exploite la plupart des gisements de Diamant au Botswana est un partenariat entre le gouvernement du Botswana et les géants De Beers-Anglo America ou la participation du gouvernement du Botswana est t de 50% et celle des multi nationales de 50%. Il faut noter que les 10% de part de l’État du Cameroun ont été acquis gratuitement et toute la question de savoir si l’État du Cameroun était en mesure de négocier une plus grosse part gratuitement ou alors d’acquérir à titre onéreux des actions supplémentaires.

De même, la réservation de 15% du concentré de fer produit à la transformation locale me parait utopique. La transformation du concentre de minerai de fer qui consiste à raffiner le fer à travers des processus de « roasting » et de « refining » requiert des investissements colossaux dont le retour sur investissement ne pourrait se faire avec le petit gisement de Lobe. La construction des usines cités plus haut ne peut être rentables que si les concentrés de Mbalam (lorsqu’il sera mis en production), du Congo et autre production régionales y sont acheminés.

Et comme j’ai des doutes réels quant à la mise sur pied d’un marché local de transformation du concentré de fer, il est clair que ces 15% seront reversés à SINOSTEEL comme le prévoit la convention.

Le projet mise en l’état original sur la réhabilitation du site minier ne me semble pas suffisamment bien élaboré et les montants y afférant ne sont pas clairs. De nos jours, tout projet de faisabilité d’un projet minier (incluant celui présenté par SINOSTEEL et dont je n’ai pas connaissance) comporte les couts de réhabilitation des sites miniers. Dans un souci de préservation de l’environnement, il est souvent exigé aux compagnies de verser une bonne part du montant alloué à la réhabilitation du site minier avant même de commencer le projet, car un projet minier est extrêmement risqué et une mine peut fermer à tout moment de suite de la variation du prix du métal d’intérêt économique. Et si la mine ferme après un an, il ne restera plus qu’une fosse béante qui ne sera plus jamais restaurée parce que les fonds y relatifs n’ont pas été prélevés bien à temps.

Au sein de l’opinion, plusieurs voix pensent qu’il s’agit d’un contrat de dupe, quel est votre point de vue et pourquoi ?

Il n’y aucune entreprise humaine qui soit parfaite et qui puisse faire l’unanimité. Il est aussi clair que l’opinion que se font les Camerounais de cette convention a été grandement influencée par les sorties des acteurs politiques nationaux qui ont publiés des montants astronomiques que toucherait la partie chinoise au détriment de l’État du Cameroun qui percevrait des miettes. Les calculs faits par l’honorable Cabral Libii par exemple sont faux car ne prennent pas en compte beaucoup de paramètres. Et tels que présentés, ces montants ne pouvaient que logiquement choquer les Camerounais.

Il faut savoir qu’être en possession d’un million de tonnes de minerais de fer par exemple, ne veut pas dire qu’on a un million de tonnes de Fer. Le minerai de fer contient des minéraux d’intérêt économique qui contiennent le fer et beaucoup de minéraux de gangue sans valeur qu’on met à la poubelle. Donc sur un million de tonne de minerai a 33% de fer, il y’ a seulement 330 milles tonnes de fer. Et en plus, il faut tenir compte du taux de récupération qui, dans le meilleur des cas en ce qui concerne les gisements de fer peut se retrouver aux alentours de 60%. Des lors, il ne ressortira du million de tonne de minerai de fer que seulement 198 milles tonnes de Fer.

De même, lorsqu’on a 4 millions de tonnes de concentré de fer, cela ne veut pas dire qu’on est en possession de 4 millions de tonnes de fer. Comme je l’ai dit plus haut, il faut transformer le concentré de Fer qui est soit de l’hématite ou de la magnétite ou autre minéral, en retirant les éléments sans intérêts économiques (comme l’oxygène majoritairement et d’autres éléments traces et pénalisant comme l’Aluminium et le Phosphore). En fin de compte, les quatre millions de tonnes de concentré titrant 64% de fer ne donneront que 2.5 millions de tonnes de fer.

Aussi, dans les calculs qui font état de ce toucherait la partie chinoise, les couts de production du minerais, d’enrichissement du minerais et de purification/raffinerie du concentré ne sont jamais pris en compte. Ces couts sont pourtant énormes. Par exemple, purifier le concentré en cassant les liaisons Fer-Oxygène qui sont très solides et demandent beaucoup d’énergie.

Enfin, les taxes tels que prévus par le code minier de 2016 n’ont pas été prises en compte. Et les taxes, faut- il le souligner ne s’appliquent que sur le profit (revenues-couts). Donc au regard de tous les paramètres décrits tout haut, il est clair que le profit de la partie chinoise est très loin de montants qu’on a entendu çà et là ces dernier jours et qui ont contribué à assoir l’opinion défavorable qu’ont les Camerounais de cette convention.

Donc en clair il ne s’agit point de contrat de dupe et comme je lai dit sur la section relative aux commentaires de la convention ; les intérêts du Cameroun et des Camerounais me semblent préservés. Mais c’est indéniable qu’une bien meilleure copie aurait pu être délivrée.

Malgré le potentiel minier supposé du Cameroun, on constate que les grandes compagnies ne sont pas attirées, à quel niveau se trouve le problème selon vous?

Sans aucun doute le Cameroun regorge d’un potentiel minier qui se traduit par des ressources en diverses commodités. Mais ces ressources doivent entre converties en Réserves qui sont la part économiquement rentable des ressources indiquées et mesurées. Et la conversion des ressources en réserves demande beaucoup d’investissement et le passage de la ressource à la réserve ne se fait pas du jour au lendemain et il faut garder en esprit que les notions de ressources et de réserves sont grandement dynamiques.

La plupart des projets miniers sont à divers stades d’exploration et à ces stades sont réputés être entretenus par les prospecteurs (individuels ou en association) ou par les compagnies « junior ».  Les juniors généralement vendent leur projet aux « senior » lorsque le projet est à un stade d’exploration suffisamment avancé et que les ressources et réserves du projet ont été bien définies. Donc c’est normal que « senior » ne soient pas très présents pour le moment. Par contre, ce qui est anormal c’est que des « junior » sans moyens financiers et sans expérience avérée en matière d’exploitation aient pu acquérir des licence d’exploitation. C’est le cas par exemple de Sundance et Geovic qui, on ne sait trop par quelle alchimie se sont accaparés des projets miniers de Fer de Mbalan et de Ni-Co de Nkamouna, respectivement. Il est clair qu’à ce niveau il y’a eu un disfonctionnement criard et peut-être des prises d’intérêt et autres malversations de Camerounais proches des sphères de prises de décision pour attribuer un permis d’exploitation à la junior Australienne Sundances Resources. D’ailleurs le retrait du permis d’exploitation de Sundance par la Présidence de République Illustre à suffisance le contexte obscur et de « mapartisme » pour emprunter a Hubert Mono Ndzana, dans lequel a été attribué la licence d’exploitation a Sundances Resources et à d’autre Juniors dont les camerounais d’influence ont tôt fait de s’accaparer des postes de direction. Donc il est clair que si de telles pratiques perduraient les grandes compagnies ne viendraient pas faire nid chez nous.

Par ailleurs, la taille (tonnage) de nos projets miniers peut aussi expliquer l’absence des compagnies seniors qui, pour certaines ne s’intéressent qu’aux « éléphants » Si d’aventure un gisement de la taille du Projet Simandou en Guinée Conakry était découvert au Cameroun, il est clair que des « major » comme Rio Tinto s’intéresserait au projet. De même la découverte d’un projet susceptible de contenir 10 millions d’onces d’or, attirerait les grands tels que Newmont, Barrick ou Goldfiels.

Que doit faire le Cameroun pour  se montrer plus attrayant auprès des grandes compagnies ?

Pour ce qui est d’attirer les compagnies, le Cameroun doit investir davantage sur les plans de la connaissance géologique et des infrastructures et avoir un système de taxation qui non seulement attire les investisseurs mais aussi ne sacrifie pas les intérêts du Cameroun. Sur le plan géologique, le Cameroun à travers ses organismes compétents tels que l’Institut de Recherche Géologique et Minière et le Ministère chargé des Mines, doit contribuer davantage et de manière significative à la collection des informations géologique, géochimique et géophysique, à leur divulgation et surtout à leur mise à la disposition des compagnies d’exploration et minières. Une bonne connaissance de la géologie du Cameroun attirerait davantage des investisseurs.

Sur le plan des infrastructures, il faut noter que l’industrie minière est très gourmande en en énergie électrique. Les processus de concentration, et de « refining/smelting/roasting » nécessitent que le potentiel électrique camerounais soit densifié et amélioré. Il en est de même des réseaux ferroviaires et routiers. Il est vrai que lorsque le projet est important et que la construction des routes et chemins de fer peut se faire par les compagnies minières sans compromettre la profitabilité du projet, les compagnies le prendront à leur compte. Mais en retour l’absence de route, chemins de fer peuvent largement compromettre la viabilité d’un projet minier.

Le système de taxation doit être attrayant. Comme Je l’ai dit plus haut, certains pays accordent des crédits ou facilités fiscales aux compagnies en leur permettant de ne pas payer les taxes pendant les premières années d’opération. Bien que j’ai salué le fait que le Cameroun fait payer a SINOSTEEL les taxes prévues par le code minier de 2016 dès la première année de production, ceci peut aussi se retourner contre le Cameroun en faisant fuir les potentiels investisseurs.

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