Une guéguerre opposant certains dignitaires traditionnels à certaines autorités administratives de la région de l’Ouest a obligé le Minat à faire une sortie musclée. Quel est le fond de l’affaire ?
C’est hélas un constat plus que troublant, préoccupant et même regrettable. J’aurais préféré mille fois que cette scène ne se produise point, compte tenu de la personnalité du Roi, de l’auréole qui l’entoure et du symbole, je dirai même des symboles qu’il incarne. Peut-être devrais-je déjà, vous rappeler que les Rois sont des Rois parce qu’ils sont reconnus, adulés, respectés et protégés par leur peuple. Pourtant ils sont aussi Rois aujourd’hui ou dorénavant, parce qu’ils sont autorisés et légalisés par le pouvoir d’Etat. Je tiens donc, avant de vous apporter une réponse claire, par rappeler que la chefferie n’implique pas seulement l’ouest quand on l’évoque, il en existe dans toutes les régions du Cameroun, dans toutes les cultures, dans toutes les civilisations, avec un même train de dignité, de révérence et de rapports multiformes avec des tiers institutionnels publics et privés.Je pense au Roi Bell, je pense au Roi René Désiré Effa, je pense au Sultan Mbombo Njoya, je pense au Fon Ngwafor, je pense au Rey Bouba.
Alors, s’agissant de ce que vous qualifiez de guéguerre, le Roi Sokoudjou est connu pour ses élans d’indépendance, de liberté de pensée et de liberté un peu trop avancée voire excessive par moments. Depuis un temps, il prend la parole de façon inattendue, exprimant des positions qui s’apparentent de mieux en mieux à la démarche d’un chef de l’opposition politique. C’est un trait de caractère constant, mais dans le contexte actuel, cela pose problème, surtout que le sentiment ou l’impression c’est qu’il y a là une volonté ouverte d’attaque frontale contre le Chef de l’Etat, contre les institutions, contre le gouvernement. Je crois qu’en tant que fils, et je vous l’affirme, fils proche et très proche même, puisque j’ai avec lui des contacts et des rapports très courants, je me suis senti embarrassé, effrayé il faut le dire, et au point d’avoir à le faire savoir publiquement. Ma considération et ma révérence à son égard n’en restent pas moins intacts, car consacrées, soutenues et scellées par des coutumes sacrées pour le respect desquels je demeure tenu voire très radicalement obligé.
Pour le représentant de l’Etat, placé dans la position de garant de l’ordre public, de la sécurité des personnes et des biens dans un aire de commandement précis dans lequel se situe également la chefferie, la démarche du Roi est apparue inacceptable, considérée comme une transgression de ses prérogatives, privilèges, statuts et responsabilités de dignitaire traditionnel. C’est dans ce contexte que le Préfet a estimé nécessaire, certainement sur la recommandation ou les instructions de ses supérieurs hiérarchiques, de lui adresser une correspondance dans les termes dont je m’interdis tout jugement brutal.
En tant que membre fondateur de Laakam, quelle est la place des autorités traditionnelles vis-à-vis des autorités administratives ?
Parlons en général de la place, du rôle et du statut de la chefferie traditionnelle dans notre système de gouvernance et dans notre existentiel politico-administratif. Il y a certainement un problème résultant de la coexistence de deux socles de valeurs et de références. L’intégration voire l’implication active de la chefferie traditionnelle dans le processus de gouvernance politique, a banalisé, subordonné, amenuisé et relativisé gravement le pouvoir, le prestige et le commandement traditionnel. Je pense que ceux qui s’expriment sur cette affaire, n’ont pas tous perçu le problème dans sa substance absolue. Nous sommes en présence d’un rappel fort, de ce que le commandement traditionnel est une pure tolérance, par certains aspects, et qu’il n’existe ou ne continue d’exister, que pour autant qu’il est conforme aux exigences ou aux conditionnalités du pouvoir d’Etat. La chefferie traditionnelle est devenue un auxiliaire, un obligé et un serviteur explicite ou implicite de l’Etat dont il ne peut, ne saurait et ne devrait pas contester, défier, opposer, dénoncer ou renier l’autorité sans courir le risque d’une annihilation pure et simple, ou à défaut d’une réclusion au silence. Voilà l’analyse froide, différente des élans émotionnels et passionnels inutiles qui enchantent les esprits simples.
Ne perdez pas de vue que l’enjeu c’est au fond, l’expression ou non de la plénitude de compétence de l’Etat classique sur son territoire, ce qui en somme induit l’absence de toute autorité concurrente de quelle que nature que ce soit.
Nous avons-nous-mêmes, bradé l’autorité morale des dignitaires traditionnels au fur et à mesure, que nous avons embrassé des valeurs abjectes résultant d’une éducation et d’une formation totalement extraverties.
Quelle est la position de Laakam dans cette affaire et pourquoi votre association n’a pas fait de sortie ?
Si votre interrogation peut être légitime, je ne la trouve pas justifiée au regard de l’historique de notre pratique, de notre philosophie d’action et du rôle que cette association s’est assignée dès sa création le 23 mars 1991 à Bamougoum. Je rappelle que LAAKAM est une association régulièrement constituée selon la loi du 19 décembre 1990 qui régit les associations, avec un cahier de charges, des obligations, des devoirs et des recommandations strictement encadrés. Laakam n’est ni un parti politique, ni un instrument de politique, ni une organisation secrète, ni un outil de construction des fractures sociales et encore moins une machine de défiance du pouvoir d’Etat ou de contestation des institutions. Nous avons des valeurs, nous tenons à bâtir des liens de solidarité, à cultiver des sentiments de fraternité et d’affection entre toutes les diversités de notre pays.
Souvenez-vous, qu’à la veille de l’élection présidentielle de 2018, des faussaires et provocateurs, des incendiaires diaboliques qui souhaitent installer la haine dans notre pays, avaient construit un faux document au nom de Laakjam. Nous avions dénoncé cette supercherie. Il semble que l’histoire se répète, puisqu’à la suite de l’affaire qui nous préoccupe, des individus jouant aux mêmes jeux sataniques, ont pondu un tract injurieux et provocateur, sous le couvert de prendre la défense du Roi Sokoudjou. Le Roi n’a pas besoin de tout cela, et les Bamilékés n’ont pas besoin d’incendiaires, de provocateurs et de poseurs de bombes sociales et ethniques. Vous avez constaté que le document en question, ne correspond pas aux emblèmes, aux signes et insignes de l’Association LAAKAM, et par ailleurs qu’il n’est pas signé et ne porte pas le cachet de référence. Les auteurs se sont bien gardés de s’afficher, procédant par la lâcheté et la peur. Il faut pardonner à ces gamins dont la vie, les jouissances et les réjouissances se limitent à des épreuves de masturbation dans les réseaux sociaux.
Tant que nous avons opté pour la vérité, la justice et la paix, Laakam a toujours interpellé les pouvoirs publics franchement, ouvertement et dans les formes de respect, de protocole et de coopération acceptables, avisées et recommandées. Enfin, il s’agit d’une association dont les emblèmes, sceaux, pratiques, couleurs et signatures sont connus, protégés et préservés. Aucune autre association ne saurait porter ce nom, en tant qu’association crée selon la même loi camerounaise. Par ailleurs, il faut savoir que ce n’est ni l’association d’un groupe d’individus, ni d’un petit clan, ni d’un village. Ce sont tous les Bamilékés et toute la communauté, en leurs diverses réunions, par celles-ci et avec celles-ci qui s’y retrouvent. La seule condition c’est de se référer strictement aux principes, à la philosophie et aux objectifs qui se basent sur la paix, la vérité, la justice et des valeurs qui rassemblent et non qui divisent notre pays. Ceux qui font la promotion d’un discours et des méthodes autres, ne sont pas dans cette logique et se marginalisent automatiquement.
C’est le lieu de vous dire que Laakam a traversé d’immenses difficultés dans ce sens, et c’est d’ailleurs ce qui s’exprime encore à travers ce tract. Ils sont très nombreux à avoir voulu faire de Laakam leur instrument de guerre, mais toujours en se cachant, en recourant à des actes et à des discours par procuration. Nous avons un bilan clair, propre et admirable dans le maintien de la paix au Cameroun. Nous avons énormément travaillé durant les années de braise pour éviter le pire. De nombreux hauts responsables du pays encore en fonction peuvent témoigner aisément. Un livre de plus huit cent pages en deux tomes est en cours de préparation pour rendre compte. Le livre est préparé à la mémoire de Robert NKamgang, son premier Président.
Concrètement, il n’y a pas de Laakam si les chefs n’existent pas, c’est-à-dire si la révérence, le respect, la force et le rôle qui est leur, qui leur est attaché et qui fondent leur statut dans les traditions Bamilékés sont bafoués, par eux-mêmes ou par leurs sujets.
Mais en tant qu’Association, il faut bien savoir qu’il ne rentre pas dans l’ordre des choses et des actions, de réagir de façon intempestive face aux situations qui se présentent. En tant qu’individu, membre de la communauté, chacun peut émettre ses opinions, mais de là à entraîner l’association, c’est proscrit. Le Roi s’est exprimé à sa manière, il a posé un acte, des actes, il a développé des positions et réaffirmé ses orientations connues ou soupçonnées. C’est sa responsabilité, et il est suffisamment avisé, pour évaluer les conséquences, les implications, les effets directs et collatéraux de cette démarche. Pour son statut, personne ne le connaît mieux que lui-même, tant à l’égard de son peuple, qu’à l’égard de l’Etat et de ses représentants.
Le Préfet, c’est l’Etat incarné, réincarné et assuré, avec un certain nombre de privilèges et de pouvoirs qui s’imposent et ne souffrent d’aucune contestation ni concurrence dans son aire de commandement. Il a non seulement usé de ceux-ci, mais a surtout mis en évidence à l’endroit du Roi, la prééminence de son commandement. A chacun d’en tirer toute conséquence et de faire toute lecture utile.
Dans notre esprit, dans la lettre, dans l’entendement fondamental, le souhait c’est la distanciation du pouvoir traditionnel vis-à-vis du pouvoir politique, mais l’expérience nous a largement prouvé l’impossibilité dorénavant, à cause du mode colonial et néocolonial de construction des rapports entre le citoyen et l’Etat dans une société précarisée. La suite dans l’actualité et pour l’avenir, c’est ce que nous avons déjà annoncé tantôt, la descente aux enfers de la dignité traditionnelle. Libre et non partisan, le Roi est Roi, mais partisan et engagé avec des missions de représentation d’un parti politique, le Roi est nu. La thèse, l’hypothèse et l’antithèse s’entendent explicitement et implicitement. En somme dès lors que le Roi se sera comporté de manière à donner ouvertement l’impression d’épouser une ligne politique, son manteau se terni automatiquement et il tombe de son piédestal. Laakam n’a pas le pouvoir ni le devoir de refaire la République, d’enseigner de la sagesse et de l’intelligence aux Rois.
Enfin, je rappelle, pour tous ceux qui prennent des libertés en parlant de l’Association Laakam, surtout aux jeunes qui n’ont aucune idée du contexte, des circonstances douloureuses, délicates et ultra sensibles dans lesquels est née cette association, que jamais elle ne servira des intérêts de la haine et de la politique par procuration. LAAKAM, sous peine de violer la loi, de se saborder et de disparaître, n’est pas et ne sera jamais un jouet aux mains d’opportunistes qui retrouvent des réflexes identitaires seulement quand ils sont dans le besoin,en mauvaise posture ou dans l’état de nécessité.
Laakam a été fondée dans, par et avec la sincérité pour aider à briser les barrières ethniques et créer plus d’espaces de compréhensions, tant entre les communautés à la base, qu’avec les pouvoirs publics en haut. Hélas comme je vous l’ai révélé, certains y voyaient, espéraient ou attendaient autre chose. Des cadres et intellectuels qui avaient été mis dans le bureau, ou qui étaient sollicités ponctuellement se débinaient, mais revenaient nous voir pour poser leurs problèmes de discrimination ou de marginalisation et demander que Laakam intervienne. Voilà, quand vous entendez des gens pondre des tracts aujourd’hui, faites attention, ils veulent noyer la communauté Bamiléké, la pousser encore dans des positions de particularisme pour en faire un bouc émissaire. Sinon comment concevez-vous que des fantômes de cette nature, déversent des menaces inutiles ? Nous conduirons nos propres enquêtes pour les identifier, mais le gouvernement devrait également s’en charger. L’hypocrisie est la pire des attitudes dans une société qui aspire à promouvoir le vivre ensemble, et ces adeptes de variation de couleur de jour et de nuit, sont d’une dangerosité extrême. Je ne pense pas que le Roi Sokoudjou soutienne ce genre d’opportunisme./.
Interview réalisée par Joseph Essama