Un chiffre, 1952 FCFA. C’est ce qu’il faudrait, chaque jour, pour se nourrir sainement au Cameroun, selon un rapport publié en 2024 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). À l’échelle continentale, ce coût reste légèrement inférieur à la moyenne africaine, établie à 2125 FCFA (3,74 dollars). Pourtant, derrière ce montant en apparence modeste se cache une réalité bien plus complexe : pour une large frange de la population camerounaise, manger sainement reste un luxe inaccessible.
Basé sur les apports nutritionnels et caloriques essentiels (2 330 kcal par jour), le Coût d’une Alimentation Saine (CoHD) est un indicateur qui prend en compte six groupes d’aliments : féculents, légumineuses, fruits, légumes, produits d’origine animale, huiles et graines. Il est ajusté selon la parité de pouvoir d’achat, ce qui permet une comparaison entre pays. Mais en pratique, même ce seuil minimal est au-dessus des moyennes quotidiennes de millions de Camerounais. Dans les zones rurales et périphériques, où les revenus stagnent souvent en dessous de 1150 FCFA (2 dollars) par jour, cette alimentation « saine » devient un idéal hors de portée. « Ce n’est pas tant l’absence de denrées qui est en cause, mais plutôt leur accessibilité économique », explique un analyste du secteur agricole.
En effet, même dans les régions où les marchés sont bien approvisionnés, les produits nécessaires à une alimentation équilibrée, légumes frais, protéines animales et fruits restent souvent inabordables pour les foyers les plus modestes. Comme le Cameroun, plusieurs pays de la sous-région Afrique centrale sont confrontés aux mêmes obstacles. Au Tchad, il faut débourser en moyenne 1 900 FCFA (soit 3,3 dollars) par jour pour accéder à une alimentation saine, contre 2 010 FCFA (3,5 dollars) en République centrafricaine, et près de 3 070 FCFA (3,6 dollars) au Congo. Des écarts de prix relativement modestes, mais qui masquent des défis structurels similaires : faibles revenus, accès limité aux marchés, et forte vulnérabilité des ménages ruraux.
Au Gabon et en Guinée équatoriale, la barre symbolique des 2 300 FCFA (4 dollars) est franchie, faisant de l’alimentation équilibrée un objectif encore plus lointain pour les populations les plus précaires. Malgré des terres fertiles, l’accès à une alimentation variée reste un défi majeur au Cameroun, entravé par trois obstacles majeurs. D’abord, le coût des produits frais demeure inabordable pour une population dont 38,6 % vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 813 FCFA par jour, ce qui représente environ 10 millions de personnes selon la 5e Enquête camerounaise auprès des ménages (ECam5), dont l’institut national de la statistique (INS) a publié les résultats en avril 2024.
Rendant les 1950 FCFA quotidiens nécessaires pour une alimentation saine hors de portée. Ensuite, la fracture géographique complique l’approvisionnement. Si l’oignon de Maga, dans la région de l’Extrême-nord est trois fois moins cher qu’à Yaoundé, dans le Centre, son acheminement exige dix heures de route, entraînant des pertes importantes. Enfin, la culture alimentaire. Dans de nombreuses familles, la consommation repose encore majoritairement sur des féculents bon marché (manioc, riz, plantain), faute d’éducation nutritionnelle ou par simple souci économique. Or, la diversité alimentaire, essentielle à une bonne santé, est souvent perçue comme un caprice ou un luxe.
Le rapport de la FAO sonne comme un avertissement et une feuille de route. Pour l’organisation onusienne, il ne suffit pas de produire plus, encore faut-il mieux structurer les circuits d’approvisionnement, réduire les inégalités territoriales et renforcer la sensibilisation. Pour le Cameroun, cela implique de stimuler la production locale diversifiée, d’investir dans des infrastructures de marché et de faciliter la circulation des produits agricoles vers les zones de grande consommation, notamment les centres urbains. À l’heure où le pays poursuit sa politique d’import-substitution, ces données rappellent un enjeu fondamental de la sécurité alimentaire qui ne se résume pas à remplir les assiettes, mais à garantir un accès équitable à une alimentation saine. Un défi stratégique pour les autorités, dans un contexte de croissance démographique et d’urbanisation rapide.