Ralph Ossa, économiste en chef de l’OMC : « le commerce mondial se réoriente progressivement selon des lignes géopolitiques ».

Lors du lancement du rapport 2023 sur le commerce mondial ce 12 septembre au siège de l'Organisation Mondiale du Commerce à Genève, l'économiste en chef de cet organisme à livré les grands enseignements de ce rapport à Défis Actuels.

Ralph Ossa en compagnie d'Ismaïla Dieng (à gauche) ce 12 septembre 2023 au siège de l'OMC
Ralph Ossa en compagnie d'Ismaïla Dieng (à gauche) ce 12 septembre 2023 au siège de l'OMC

Le Rapport sur le commerce mondial 2023 pose une grande question : quel est le rôle du commerce international dans la construction d’un monde plus sûr, inclusif et durable ? Cette question est au cœur d’un débat controversé sur l’avenir de la mondialisation, qui pourrait avoir des conséquences considérables sur l’avenir de l’OMC.  S’il est largement reconnu que le commerce international génère des gains d’efficacité substantiels, il est de plus en plus avancé que certains de ces gains doivent être sacrifiés au profit d’objectifs politiques plus importants, notamment le maintien de la paix et de la sécurité, la réduction de la pauvreté et des inégalités et la réalisation d’un développement durable.

Ce nouveau discours a pris de l’ampleur au milieu d’une série de crises et de changements dans l’équilibre des pouvoirs économiques.  L’intensification des tensions géopolitiques a suscité des inquiétudes quant à la militarisation de la politique commerciale.  La pandémie de COVID-19 a mis en évidence l’importance de chaînes d’approvisionnement résilientes.  La montée en puissance de la Chine a exercé une pression sur les travailleurs de certains pays industrialisés et a ralenti la croissance des exportations dans certaines économies émergentes.  Et la crise climatique a alimenté les doutes quant à la compatibilité du commerce international avec la nécessité de décarboner l’économie.

Les tensions commerciales s’accentuent

Le rapport commence par montrer que ce changement de récit est important.  Alors que le commerce continue de prospérer à bien des égards, les tensions commerciales s’accentuent et les premiers signes de fragmentation apparaissent.

La conclusion la plus frappante de cette partie du rapport est peut-être que le commerce se réoriente progressivement selon des lignes géopolitiques.  Nous avons examiné le commerce au sein et entre des « blocs » géopolitiques hypothétiques, sur la base des modèles de vote à l’Assemblée générale des Nations Unies.  Il s’avère que les flux commerciaux de marchandises entre ces « blocs » hypothétiques ont augmenté de 4 à 6 % plus lentement qu’à l’intérieur de ces « blocs » hypothétiques depuis le début de la guerre en Ukraine, ce qui indique une évolution vers le délocalisation entre amis.

Cependant, les discussions sur la démondialisation sont encore loin d’être étayées par les données.  Le commerce bilatéral entre la Chine et les États-Unis a atteint un niveau record en 2022. Le commerce a été remarquablement résilient pendant la pandémie de Covid-19, rebondissant aux niveaux d’avant la pandémie moins d’un an après la première vague de confinement.  Et le commerce des services numériques est resté solide, avec une croissance annuelle moyenne de 8,1 pour cent entre 2005 et 2022, dépassant les biens (5,6 pour cent) et les autres services (4,2 pour cent).

 Le rapport aborde ensuite sa question principale, en examinant les données probantes sur le rôle du commerce dans la construction d’un monde plus sûr, plus inclusif et plus durable.  La principale conclusion est que nous devons adopter le commerce au lieu de le rejeter si nous voulons relever les défis les plus urgents de notre époque.  En particulier, le rapport plaide en faveur d’une extension de l’intégration commerciale à un plus grand nombre d’économies, à un plus grand nombre de personnes et à davantage de problématiques – un processus que nous appelons « re-mondialisation ».

Vers une remondialisation 

Cette partie commence par une analyse de la relation entre commerce et sécurité – entendue au sens large comme incluant les aspects économiques, tels que l’accès aux biens essentiels et la résilience aux chocs.  L’une des principales conclusions est qu’un système commercial multilatéral fort est le meilleur garant de la sécurité économique, car il offre les options nécessaires en cas de pénurie d’approvisionnement.  Un bon exemple est la réponse du commerce à la pandémie de COVID-19.  En 2020, les chaînes d’approvisionnement internationales sont devenues essentielles pour accélérer la production et la distribution de fournitures médicales, le commerce de ces produits ayant par exemple augmenté de 16 %.

Dans le même temps, le rapport souligne la nécessité d’étendre l’intégration économique à un plus grand nombre d’économies – un premier exemple de re-mondialisation.  La part des « produits goulots d’étranglement » potentiels, définis comme des produits ayant peu de fournisseurs et de grandes parts de marché, a plus que doublé, passant de 9 % à 19 % de tous les biens échangés entre 2000 et 2021.

Le rapport aborde ensuite la relation entre commerce et inclusivité.  Il montre que l’intégration commerciale est un outil puissant pour améliorer le niveau de vie, qui a contribué à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté.  De 1981 à 2019, les économies à revenu faible et intermédiaire ont augmenté leur part dans les exportations mondiales de 19 à 29 pour cent et ont réduit la part de leur population vivant avec moins de 2,15 dollars américains par jour de 55 pour cent à 10 pour cent.

Le rapport reconnaît également que la concurrence des importations a contribué à la perte d’emplois manufacturiers dans des pays comme les États-Unis, mais souligne que l’ouverture commerciale peut aller de pair avec l’inclusion économique, suggérant que des politiques nationales complémentaires sont essentielles.  Par exemple, certaines des économies les plus ouvertes, notamment l’Allemagne, la Lettonie et les Pays-Bas, sont également parmi les plus égalitaires.

La nécessité d’une re-mondialisation est mise en évidence ici – notamment en élargissant l’intégration économique à un plus grand nombre de personnes.  Par exemple, les femmes africaines bénéficieraient de manière disproportionnée de la réduction des coûts du commerce dans les services fournis numériquement, étant donné que trois entreprises africaines sur quatre qui font exclusivement du commerce électronique sont détenues par des femmes.

Ouverture commerciale et inclusion économique

Enfin, le rapport examine la relation entre commerce et durabilité.  Tout en reconnaissant que la relation est complexe, il indique également clairement que le commerce peut grandement contribuer à la solution au changement climatique.  Par exemple, le commerce donne accès à des technologies vitales pour la transition verte, comme les éoliennes.

Cela fournit également une bonne illustration de la nécessité d’étendre l’intégration commerciale à davantage de questions – et donc un troisième exemple de re-mondialisation.  Le commerce est un puissant multiplicateur de force pour les politiques climatiques.  Les simulations montrent que plus d’un tiers des réductions d’émissions obtenues grâce à une taxe mondiale sur le carbone seraient dues aux gains environnementaux découlant du commerce.  Tout comme les pays qui se spécialisent dans ce pour quoi ils sont relativement bons peuvent tirer des gains économiques du commerce, il existe également des gains environnementaux du commerce provenant de pays se spécialisant dans ce pour quoi ils sont relativement verts.  Mais cela nécessite un commerce ouvert associé à une action climatique coordonnée et, en ce sens, une extension de l’intégration commerciale à davantage de questions.

Bien entendu, le rapport aborde également le rôle de l’OMC dans la promotion de la re-mondialisation.  Il souligne que les membres de l’OMC ont déjà progressé vers cet objectif ces dernières années.  Les exemples incluent des accords multilatéraux tels que l’Accord sur la facilitation des échanges et l’Accord sur les subventions à la pêche, ainsi que les résultats plurilatéraux d’initiatives conjointes sur la réglementation intérieure des services et la facilitation des investissements pour le développement.  Pour ne citer qu’un chiffre, les estimations de l’OMC montrent que l’Accord sur la facilitation des échanges a entraîné une augmentation des échanges commerciaux de 321 milliards de dollars.  Les gains ont particulièrement profité aux PMA, dont les exportations ont augmenté de 2,4 pour cent, avec une augmentation de 17 pour cent dans le secteur agricole.  Donc la re-mondialisation en action si vous voulez.

Mais pour parvenir à un avenir sûr, inclusif et durable, il faut faire davantage.  L’Indice des coûts du commerce de l’OMC montre que les coûts du commerce dans les pays à revenu intermédiaire et faible sont 27 pour cent plus élevés que dans les pays à revenu élevé.  Les coûts du commerce des services sont 34 pour cent plus élevés que ceux du secteur manufacturier.  Et les coûts du commerce dans le secteur agricole sont 46 pour cent plus élevés que dans le secteur manufacturier.  Tout cela montre que la réduction des coûts du commerce pour les pays en développement, dans l’agriculture mais aussi dans les services – y compris les services fournis numériquement – ​​est une priorité naturelle pour l’avenir.

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