Le départ massif de nombreux Camerounais à l’étranger n’a plus uniquement des répercussions sociales. Il entraîne aussi un manque à gagner considérable pour les institutions bancaires du pays. En cause, des crédits contractés avant le départ, qui ne sont jamais remboursés, laissant les banques face à un trou financier inquiétant.
Philip Ngole Ngwesse, Haut-commissaire du Cameroun au Canada, dit avoir pris connaissance de ce phénomène quand il était encore au Cameroun. En effet, juste après «sa nomination par le président de la République. De nombreux responsables bancaires l’ont sollicité pour qu’il les aide à recouvrer des créances non remboursées par des Camerounais partis au Canada.», a-t-il confié à nos confrères de Cameroon Tribune.
DES CRÉDITS DÉTOURNÉS POUR FINANCER L’EXIL
Pour beaucoup de candidats à l’immigration, les crédits contractés auprès des banques camerounaises devaient servir à des investissements locaux, mais ces fonds ont souvent été redirigés vers les frais de voyage et d’installation à l’étranger. C’est du moins ce qu’affirme Rodrigue Soffo, responsable du cabinet RS Intelligence & Lobbying, qui collabore étroitement avec les banques camerounaises sur ces dossiers. Pour lui, «l’un des premiers problèmes, c’est que les emprunteurs ont détourné l’usage de leur crédit, destiné à l’équipement ou à la construction d’immeubles, pour financer leur projet d’immigration».
L’essentiel de ces personnes a contracté des crédits d’équipement, qui étaient garantis par leurs revenus salariaux. Cependant «Ces dernières ont arrêté de travailler quelques mois après avoir pris des crédits et sont parties sans que leur employeur ou la banque n’aient eu les moyens en amont d’obtenir le remboursement du crédit», a-t-il affirmé.
Ce phénomène, en croissance depuis plusieurs années, a des conséquences importantes sur les bilans des banques camerounaises. «Nous n’avons pas de statistiques exhaustives, mais les créances non recouvrées liées à cette émigration représentent aujourd’hui 40 % du total des créances en souffrance », souligne Soffo. « En valeur absolue, cela équivaut à environ 5 milliards de FCFA. », a-t-il ajouté
DES MESURES DE RECOUVREMENT AUX FRONTIÈRES INTERNATIONALES
Pour faire face à cette problématique, le cabinet RS Intelligence et Lobbying qui, dans son éventail de services propose le Compagnonnage juridique et financier (contrats, réclamations etc.) dit avoir été contacté par des banques opérant sur le marché local, affectées par le phénomène susmentionné et qui tentent de récupérer les sommes dues par certains camerounais de la diaspora. De cette collaboration sont nées plusieurs stratégies de recouvrement à l’international, notamment celles s’appuyant sur des démarches diplomatiques.
«La particularité des immigrants aujourd’hui, c’est qu’ils ne sont plus résidents sur le territoire camerounais, d’ailleurs pour l’essentiel ils ne sont même plus traçables, d’où l’intervention de notre cabinet pour d’abord les identifier. Nous avons fait un gros travail diplomatique avec les pays d’immigration qui ont perçu le risque, comprenant que ce phénomène pourrait entacher leur réputation», indique Rodrigue Soffo, qui précise par ailleurs que ces pays d’accueil sont aujourd’hui favorables à deux sortes de mécanismes.
«À la différence du Cameroun, pour vivre en Amérique du Nord spécifiquement, on a besoin d’une carte de crédit pour vivre de manière optimale. Il y a donc un travail qui va être fait par ces pays, de manière à ce que les notes de crédit de toutes ces personnes soient directement affectées par la situation financière qu’elles ont laissée au Cameroun», révèle-t-il.
En outre, RS Intelligence et Lobbying, aidé par les autorités camerounaises que ce cabinet indique avoir saisi, songe également à mettre en place un cadre de collaboration avec Interpol, qui devrait permettre de poursuivre ces débiteurs en dehors des frontières nationales. Ce mécanisme est motivé par le fait que certains emprunteurs dûment identifiés, à qui on a proposé un remboursement sur la base d’un moratoire, ont refusé de coopérer. «Notre première approche a été de proposer des échéanciers de remboursement aux personnes concernées, avec des comptes bancaires ouverts aux États-Unis et au Canada pour faciliter les paiements. Cependant, certains refusent de coopérer, espérant échapper au système bancaire camerounais », déplore Soffo.
Cependant, tous ne font pas preuve de mauvaise foi. Certains débiteurs, notamment ceux de la banque leader au Cameroun (Afriland First Bank, ndlr) semblent plus enclins au remboursement, révèle Rodrigue Soffo. «Il y en a avec qui nous discutons actuellement et qui manifestent l’envie de rembourser, il y en a qui proposent des hypothèques sur des biens qui leur appartenaient afin de rembourser le crédit. Il y en a aussi pour qui certains membres de la famille ont pris le relais, et ont décidé de rembourser. Il y en a également qui se croient cachés, mais que nous avons réussi à retrouver. Nous avons leurs adresses, nous connaissons leur lieu de travail, pour ceux qui travaillent. Mais on continue à espérer que d’ici la fin du mois (Octobre 2024) ils vont volontairement rejoindre le processus pour que ça se termine sans obligation de reconduite vers la frontière».
De surcroît, dans un contexte où l’accès au crédit est essentiel pour les nouveaux arrivants, l’historique bancaire des émigrants pourrait désormais influencer leur intégration dans leur pays d’accueil. « Les associations de crédit du Cameroun collaborent avec celles des pays de destination pour que les candidats à l’immigration arrivent avec un « credit record » documentant leur historique bancaire. Si ce bilan est négatif, il pourrait être plus difficile d’obtenir des crédits sur place », précise Soffo.
QUID DE L’ASSURANCE-CRÉDIT
Dans ce cadre, elle a une couverture limitée, assure Rodrigue Soffo. En effet, tente-t-il d’expliquer, les polices d’assurance-crédit qui devaient permettre aux banques d’être indemnisées en cas de pertes financières définitives subies suite à l’insolvabilité déclarée ou présumée des clients, couvraient des risques connus.
Toutefois, l’immigration volontaire et planifiée des débiteurs n’en faisait pas partie jusqu’à récemment, révèle-t-il. « Lorsque des cadres ou employés bien établis empruntent de manière régulière, personne n’imagine qu’ils pourraient décider de tout abandonner pour immigrer », précise Soffo. «L’assurance ne couvrait pas un tel risque», rappelle-t-il.
Pour finir, le départ de nombreux salariés qualifiés vers l’étranger laisse également des entreprises camerounaises fragilisées. Célestin Tawamba, président du Groupement des Entreprises du Cameroun (Gecam), alerte sur les répercussions économiques de ce phénomène «Certaines entreprises se retrouvent à supporter les dettes internes laissées par ces travailleurs démissionnaires, ce qui impacte l’accès au crédit pour les employés restants. La récurrence de ces départs massifs creuse un vide au sein des entreprises et aggrave la fuite des compétences, notamment pour des postes hautement spécialisés. »