Nominations aux hautes fonctions : la cour des miracles !

Par Moussa Njoya, politologue

Gouvernance: les paroles s’envolent mais la réalité reste !

Paris 1432. La misère est ambiante et le peuple grogne. Truands, estropiés, nobles, faux artistes, imposteurs en tout genre, prostituées, religieux, magiciens, troubadours, malades, fous, nobles et roturiers se retrouvent dans la cour de la Cathédrale Notre Dame de Paris. La légende veut que tout y soit possible. Pas besoin d’atouts particuliers. C’est la cour des miracles ! Quand l’on observe les nominations aux hautes fonctions au Cameroun, l’on ne peut qu’être tenter de penser à cette cour des miracles. En effet, la semaine dernière a été marquée par deux actes majeurs dans la haute administration. Avec d’une part la lettre de Jean Pierre Kedi à son ministre de tutelle, le ministre de l’Eau et de l’Energie, l’informant de la fin de son mandat de directeur général de l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (Arsel). D’autre part, la nomination d’un nouveau recteur et des présidents des conseils d’administration dans les universités d’Etat, dont trois noms n’ont pas manqué d’interpeller : Magloire Ondoua, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques dont les relations houleuses avec le recteur Adolphe Minkoa She avaient été portées sur la place publique à l’occasion de la confrontation sur l’organisation du doctorat professionnel, et pas que ; Abdoulaye Babale, qui est parti d’Elections Cameroon suite à un cinglant désaveu du conseil électoral; et Sammy Beban Chumbow qui avait quitté le rectorat de l’université de Yaoundé 1 après la célèbre grève des étudiants de 2005. Ces cas sont assez symptomatiques des nominations aux hautes fonctions au Cameroun, et qui condamnent les différentes organisations et institutions à la l’inefficacité du fait de l’irrationalité qui nimbe le choix des personnalités devant les diriger.

Non-respect de la réglementation en vigueur

Le 19 juin dernier, le président de la république a pris les décrets n° 2019/320, n° 2019/321 et n° 2019/322 visant à clarifier la mise en application de la loi des lois n° 2017/011 et 3012/011 du 12 juillet 2017 régissant le fonctionnement des entités publiques. Si certaines personnes, à l’instar de Vivianne Ondoua Biwolé, peuvent se montrer assez optimistes quant aux changements des comportements suite à l’édiction d’une nouvelle législation, l’expérience antérieure nous amène à largement relativiser cet optimisme. La raison étant simple : au Cameroun on élabore des lois, mais on ne les respecte pas. Il en est ainsi de la loi ° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic dont les dispositions pertinentes et évidentes ont été régulièrement violées pendant environ 20 ans. C’est notamment le cas des articles 20 et 21 qui disposaient respectivement que : « Nul ne peut être président de plus d’un conseil d’administration d’établissement public administratif, de société à capital public et de société d’économie mixte au titre de représentant de l’Etat ou d’une collectivité territoriale décentralisée. » ; et « Les fonctions de président du conseil d’administration d’un établissement public administratif, d’une société à capital public ou d’une société d‘économie mixte, à participation publique majoritaire, sont incompatibles avec celles de membre du gouvernement, de parlementaire, de directeur général ou de directeur général adjoint des établissements publics administratifs et des entreprises du secteur public et parapublic. ». Ces violations flagrantes des dispositions légales font en sorte que les responsables des entités publiques sont désignés en dehors de toute logique et conformité juridique, ouvrant ainsi la voie à toutes sortes de transactions. Ceux-ci une fois désignés en tout illégalité, fonctionnent et gèrent également en marge de la légalité. Bienvenues les fautes de gestion.

Le parcours personnel importe

Peu Dans tout management le recrutement et la promotion du personnel tient compte particulièrement du parcours académique et professionnel du candidat à la fonction. Mais au Cameroun, tout semble indiquer que cela importe très peu. Ainsi, il n’est pas rare de voir des personnes au passé professionnel vraiment indélicat, se voir promouvoir, tandis que des personnalités à probité et l’intégrité éprouvées au fil des années sont maintenus à des postes subalternes, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement virés. Cet état d’injustice et d’iniquité commence d’ailleurs à la sortie des grandes écoles et à la fin de divers cursus de formation. Pendant que les majors sont affectés dans l’arrière-pays ou sont englués dans la paperasse, très souvent en complément d’effectif, les médiocres, sortis ou admis par « défaut » ou « pitié » sont nommés à des fonctions les plus stratégiques. Du coup, ils passent le clair de leur temps à narguer leurs anciens camarades méritants, et à snober les plus travailleurs. Quelle productivité attendre d’une société où les médiocres ont pris les pouvoir ? Où l’abnégation au travail est moquée ? Où l’honnêteté est vilipendée ? Où l’essentiel c’est d’arriver par tous les moyens ? Le pire c’est qu’on a laissé perdurer au Cameroun l’idée selon laquelle tout le monde peut tout faire. Résultat des courses : des magistrats sont comptables, des anthropologues chargés des affaires juridiques, des linguistes responsables du parc informatiques, des politologues contrôleurs de bâtiments. Le Cameroun étant le seul pays au monde où l’on fonctionne en marge de tous les standards internationaux en vigueur dans tous les domaines : économies, ponts et chaussées, administration, éducation, santé, politique, sécurité, etc. Dans ce cadre, pas surprenant de voir des personnes avec un CV tenant en trois lignes être propulsées à la tête des écoles censées former l’élite de l’élite, ou bien aux commandes des entreprises publiques hautement stratégiques.

L’allégeance plus que la compétence

Si des personnalités aux parcours quelconque ou sulfureux sont promues aux hautes fonctions, c’est bien parce que dans le logiciel politico-administratif camerounais, ceux qui sont en charge de nommer privilégient largement l’allégeance à la compétence. C’est Luc Sindjoun qui le mieux résume la nature de la promotion dans le système camerounais lorsqu’il déclare dans un célèbre article : « La logique du système bureaucratique vise à la consécration des « gens sûrs » qui ne sont rien sans le système, qui n’ont “rien d’extraordinaire, rien en dehors de l’appareil, rien qui les autorise à prendre des libertés à l’égard de l’appareil, à faire les malins ».

La performance, le cadet des soucis

Cette logique bureaucratique fait en sorte qu’au Cameroun la performance des institutions est le cadet des préoccupations lors des nominations. En effet, en dépit des textes règlementaires qui fixent les missions des différentes organisations, force est de constater la vacuité voire l’absence des cahiers de charges précis lors de la prise de service des différents responsables. Il s’ensuit une forme de débrouillardise fonctionnelle dans laquelle chacun, selon son entendement et surtout ses humeurs, tend à définir ses objectifs et surtout à deviner les « attentes » de la hiérarchie. Il n’est pas alors surprenant de voir une entité se détourner de son secteur de prédilection, pour se consacrer à des activités qui n’ont à priori rien à voir ses missions prioritaires. Cela est davantage rendu possible par l’illisibilité des critères d’évaluation et surtout l’absence de sanction systématique des défaillances.

Le président démiurge et thaumaturge !

En fait, toute la logique des nominations au Cameroun vise à faire du président de la République un démiurge, le dieu architecte de l’Univers, et un thaumaturge, faiseur de miracles. Ainsi, tout n’a d’essence et de sens que par et pour le président de la République. Tout est alors mis en œuvre pour la préservation de cet « absolutisme présidentiel » dont parlait dans son mémoire de licence le Pr. Augustin Kontchou Kouomegni. Et le meilleur moyen pour le faire étant la capacité du chef de l’Etat à créer littéralement les « ressources humaines » qu’il utilise à sa guise. Aussi, ceux qui assument leur qualité de « créatures » au-delà des quolibets dont ils sont victimes, devraient être appréciés car « la “médiocrité” apparente dans le cas d’espèce est une ressource politique. » qui assure leur longévité aux affaires. Pendant ce temps, le peuple, tel Quasimodo, est condamné à sonner les cloches !

Par Moussa Njoya, politologue in Défis Actuels No 402

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