Certains acteurs intervenant dans la vente et l’achat des devises pratiquent depuis quelques temps, des prix jugés trop élevés par certains clients. Comment comprendre cette surenchère ?
C’est la rareté des devises sur des opérations marginales, conséquence de la guerre économique. On voit donc naitre ce qu’on appelle couramment des «boursicoteurs», des personnes qui jouent sur l’offre et la demande de devises en faisant des opérations de burse, sans nécessairement connaitre les mécanismes. Je dis bien des opérations marginales parce que toutes les monnaies sont territoriales, elles ne sont pas extra territoriales. Ça veut dire que l’argent, en termes de masse ne bouge pas des pays ou zones de leurs émissions. L’inconvénient avec la nôtre, c’est qu’elle est émise à partir d’un gisement référent qui est l’euro. On parlera alors de change à parité fixe pour sa convertibilité. Ainsi, si on n’exporte pas, on ne produit pas de devises et évidemment on n’a pas de CFA. Bien plus, on ne constitue pas de réserves. Si on n’a pas de devises, les petits porteurs qui boursicotent entre en jeux pour faire varier les taux. Je pense que l’enjeu est plus important que ça.
On note quelques fois des hausses des prix de vente des devises de l’ordre de 10 à 15 %. ces marges ne sont-elles pas exorbitantes ?
A mon avis ce sont des variations de taux spéculatifs dues à la rareté plutôt qu’autre chose. C’est difficile de gagner substantiellement, en termes de masse, sur un marché de change qu’on ne maitrise pas en faisant le jeu du hasard. Les positions d’achat ou de vente bénéficient de mécanismes beaucoup plus complexes qui nécessitent les conseils d’un cambiste avisé. Ce cambiste est un opérateur chargé de vendre, il est à la banque ce que le trésorier est à l’entreprise. Il y en a très peu ou pas du tout dans la zone du franc CFA pour des raisons simples et évidentes car cette fonction n’est possible qu’à partir du moment où les monnaies sont convertibles entre elles, ce qui n’est pas vrai pour le franc CFA qui évolue sur la contrepartie euro. Par contre, on pourrait bien supposer que notre compte réserve qui est en multi devises prenne des positions sur le Foreign Exchange (Forex), qui est un marché des changes où les devises sont achetées et vendues. Nous serions alors hors de l’Afrique avec l’aval administrative de l’État. En fait, sur les places de la zone franc CFA, on ne peut que se limiter à des petites variations fixes pour s’assurer de récolter les miettes non significatives qui nuisent à l’homme de la rue qui a besoin de change direct, immédiat pour des raisons diverses.
Que prévoit la règlementation en la matière ?
La règlementation prévoit beaucoup de chose, dont on ne peut vraiment pas débattre ici. Les banques agissent justement en fonction de cette règlementation. Lorsqu’on nous dit que les banques locales ont des réserves de change à l’internationale, c’est autorisé. Sinon elles ne peuvent pas émettre des lettres de crédit confirmé pour l’importation des produits dans leur espace. Une lettre de crédit commercialement n’est valable à l’étranger que si elle est irrévocable et confirmée. Sa confirmation ne peut se faire que si les comptes de l’émetteur sont approvisionnés en devises à l’extérieur, ce qui est tout à fait normale puisque la banque qui reçoit cet instrument n’est pas forcément au Cameroun et elle ne connait son interlocuteur qu’à travers un instrument qui doit témoigner de la crédibilité de l’émetteur. Ce qui est dommage et dramatique c’est qu’on nous fasse croire que les banques commerciales préfèrent conserver des devises à l’étranger pour faire du « traiding » avec des cambistes, cela rapporterait gros. On se demande de quelles banques locales parle-t-on? Quelles sont les banques locales qui ont la possibilité de jouer au Forex avec des cambistes ? Lorsqu’on sait que ce marché des changes est le marché sur lequel les devises dites convertibles (paire de devises) sont échangées l’une contre l’autre à des taux de change qui varient en permanence. Cette plateforme dont les places importantes sont, la New York Stock Exchange (Nyse), la London Stock Exchange (LES), la bourse de Singapour et la bourse de Tokyo fait un volume de transaction de plus 5 000 milliards de dollars par jour. Quelle banque locale qui irait jouer dans cet univers sans maîtriser les mécanismes au risque de tout perdre. A mon avis, c’est une forme de guerre économique déguisée, qui traduit pour ceux qui la mène des stratégies économiques ou autres dont il faudrait une bonne lecture, ce n’est pas une affaire de petits porteurs.
Existe-t-il des textes particuliers en ce qui concerne la fixation des taux et/ou des marges sur la base desquels ce type d’opération doit être fait ?
Oui bien sûr, mais là, nous sommes en Afrique, presque dans la rue sur des marchés qui ne sont pas organisées, d’où l’impression de désordre du fait que l’expression réelle sur les variations de taux est ailleurs. Vous évoquiez tout à l’heure des variations de 10 à 15 %, jamais vous aurez ce type de variation sur un marché de taux flottant, un régime de changes flottants, ou régime de changes flexibles, qui est le régime du système monétaire international dans lequel la valeur des monnaies subit des changements de cote toutes les 20 secondes. Alors les boursicoteurs africains peuvent s’amuser à convenance avec des taux fixés d’avance, preuve d’une masse monétaire non significative. Voyez-vous nous avons une monnaie fiduciaire parce que émise par une fiducie. Cette monnaie fiduciaire comprend les pièces et les billets de banque, c’est un instrument financier, une valeur d’actif au même titre que la cryto monnaie, Bitcoin qui est un instrument financier beaucoup plus interchangeable alors que les bases d’émission sont analogues au francs CFA. On peut comprendre que la place de contrepartie ne soit pas nécessairement là où le franc CFA circule.
Interview réalisée par Junior Matock ( Défis Actuels No 408)