Les tontines, ces regroupements d’épargne communautaire, représentent 12,5% du PIB camerounais, tandis que l’assurance vie peine à franchir la barre symbolique de 0,5%. Ce constat, évoqué en décembre 2022 par le Directeur général de Sanlam Assurance lors du Forum de la microfinance à Douala, illustre une réalité qui tend à perdurer. Avec un taux de pénétration de l’assurance plafonnant à 0,97% en 2022, selon l’Association des sociétés d’assurance du Cameroun (Asac), les assureurs sont à la recherche de solutions innovantes pour élargir leur base clientèle. Et les tontines, bien que majoritairement informelles, apparaissent comme un terreau fertile à explorer.
A LA CONQUÊTE
Les tontines camerounaises ne sont pas de simples cercles d’épargne. Ce sont des structures hybrides mêlant entraide, mutualisation des risques et financement collectif. Selon l’Asac, «elles fonctionnent comme des microbanques et micro-assurances, mais sans régulation stricte. En plus de leur rôle d’épargne solidaire, elles offrent des prêts et placent des fonds pour générer des revenus. Un modèle qui, s’il reste ancré dans l’informel, génère des flux financiers considérables ».
C’est dans ce contexte que les compagnies d’assurance cherchent à s’insérer. Une réflexion menée dans le magazine Assurances et Sécurité de l’Asac publié en décembre 2024, insiste sur la nécessité de repenser les offres pour séduire ces structures informelles. « Quels leviers et quels vecteurs devons-nous actionner pour capter les adhérents des tontines ? », s’interroge l’association.
La réponse se trouve « dans une combinaison de mesures destinées à créer une symbiose entre l’assurance classique et les besoins spécifiques des tontines. L’objectif est de proposer des solutions adaptées, tout en surmontant les barrières socioculturelles et techniques qui freinent cette intégration », se convainc l’Asac. Pour persuader les tontines d’intégrer les services d’assurance, les acteurs du secteur envisagent une refonte de leur approche. L’un des premiers leviers identifiés par les assureurs pour s’intégrer au marché des tontines, est l’accompagnement des adhérents face aux risques inhérents.
En effet, «les tontines, bien qu’efficaces, présentent des failles, notamment en cas de décès d’un membre ayant bénéficié des fonds », croit savoir l’Asac. Pour y remédier, les assureurs proposent « des garanties décès adaptées, couvrant soit la mise individuelle de chaque adhérent, soit un plafond correspondant à l’épargne collective. Une telle couverture renforcerait la confiance des participants tout en réduisant l’impact des imprévus, une valeur ajoutée qui pourrait séduire les tontines ». L’innovation produit constitue un deuxième axe stratégique.
Contrairement aux produits classiques d’assurance-vie épargne, dont le cycle de vie est d’au moins deux ans, « les tontines fonctionnent sur des cycles annuels. Cette différence temporelle est cruciale pour des épargnants souvent pressés de disposer de leurs fonds », soulignent les assureurs. Pour s’aligner sur cet impératif de célérité « les compagnies d’assurance envisagent d’introduire des contrats plus courts, avec des intérêts réduits pour équilibrer la rentabilité. Une adaptation nécessaire pour se rapprocher des pratiques des tontines et répondre aux besoins immédiats des épargnants ».
Pour finir, l’Asac rappelle que le succès des tontines repose sur leur ancrage culturel. Ces structures parlent de « caisse secours » pour désigner leurs dispositifs d’assurance, une expression empreinte d’espoir et de solidarité. À l’inverse, les assureurs utilisent des termes comme « assurance décès » ou « frais funéraires », des « vocables perçus comme anxiogènes », conclut l’association. Pour attirer les adhérents des tontines, «il devient impératif d’adapter le vocabulaire et les approches client. Les assureurs doivent non seulement simplifier leur communication, mais aussi s’aligner sur les pratiques locales, en intégrant des éléments de proximité et de confiance, valeurs clés des tontines », recommande l’Asac.
UN CADRE FISCAL POUR FORMALISER LES TONTINES
Outre les assureurs, l’État camerounais a également entrepris de formaliser les tontines. En 2022, la loi de finances a introduit un régime fiscal spécifique pour les entités à but non lucratif, incluant les tontines. Si elles échappent à des taxes comme l’impôt sur les sociétés ou la patente, les revenus générés par leurs placements deviennent imposables. Cependant, cette réforme a suscité des débats.
Les critiques pointent un risque de double imposition. Mais, comme le souligne le texte de loi, seule la plus-value générée par des activités lucratives est visée, à hauteur de 15% majorés de centimes communaux. « La structuration des tontines représente une réelle opportunité, tant pour les assureurs que pour l’État, dans notre quête commune de promotion de l’inclusion financière », affirme l’ASAC. Pour y parvenir, l’association insiste sur la nécessité de conjuguer pragmatisme et audace. « Il s’agit de développer des offres sur mesure et de tisser une relation de confiance avec ces structures solidaires. L’objectif ultime est clair : faire des tontines des alliées stratégiques dans la modernisation du paysage financier camerounais. »