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AccueilPolitique & SociétéInterviewGUIBAI GATAMA: "Etoudi n'est la chasse gardée de personne"

GUIBAI GATAMA: « Etoudi n’est la chasse gardée de personne »

Le directeur de publication de L’œil du Sahel se prononce sur des sujets qui agitent le landerneau politico-médiatique Interview publiée dans Mutations n°4972 du jeudi 31 octobre 2019

Guibaï Gatama, directeur de publication, homme politique, quelle est la casquette qui vous incarne le mieux aujourd’hui ?
Je suis journaliste. C’est ma profession, c’est mon travail. J’analyse les faits socio-politiques, j’explique et je peux commenter dans le strict respect des canons de mon métier. Je m’en tiens à cette dimension professionnelle. Voilà ce que je suis, mais, cependant, je ne peux empêcher les uns et les autres de me percevoir comme un acteur politique.
Certaines voix au sein de l’opinion publique ont estimé que vous et l’œil du Sahel êtes allés loin dans le soutien à Marafa Hamidou Yaya, c’est une perception que vous partagez ?
J’ignore ce que vous mettez dans l’expression « aller loin ». Ce que je sais, c’est que nous avons défendu comme de nombreux autres journaux, le droit du public à l’information. Rétrospectivement, je peux comprendre que cette affaire ait déchainé les passions en raison principalement de la personnalité du prévenu, un homme qui a occupé de hautes responsabilités et qui plus est, est originaire du Septentrion ; un homme qui a clairement manifesté son désir de succéder à Paul Biya…
Dans un environnement où les passions nourrissent les amalgames et entretiennent la confusion, que notre indépendance et notre professionnalisme aient pu échapper à certains, j’en serais le dernier surpris.
Des militants du MRC estiment que l’oeil du sahel est assez tiède sinon muet sur le cas Mamadou Mota. Qu’en est-il et, partant, avez-vous un souci personnel avec le MRC ?
Muet sur Mamadou Mota ? Non. Son étiquette politique ne guide aucunement notre traitement du sujet. Je trouve le reproche un brin exagéré. La vérité est que nous couvrons ses ennuis judiciaires et cela est vérifiable par une consultation de nos archives ; et plus généralement, qu’il a toujours eu les faveurs de nos colonnes.
Je peux vous rassurer que ni moi, ni le journal que je dirige, n’avons le plus petit différend avec une formation politique, encore moins avec le MRC qui, dans le grand Nord, reste encore une formation politique de seconde zone. Vue d’ailleurs et considérée de loin, cette réalité peut être mal perçue et donner naturellement droit à toutes les supputations, mais telles sont les circonstances du moment.
Vous avez été en pointe dans le Mémorandum du grand Nord, ces dernières années dans les inscriptions sur les listes électorales dans le Septentrion et surtout le combat, médiatique, contre Boko Haram. On est tenté de vous demander ce que vous recherchez et ce qui vous fait courir ?
Je ne suis pas de ces spectateurs qui regardent un film chinois et qui à la fin ne sont ni pour l’acteur ni pour le chef bandit. Je déteste l’indécision. Comme citoyen, chaque fois que j’estime nécessaire de m’engager pour ma région et pour mon pays, je n’hésite pas. C’est le sens de ma vie.
Oui en 2002, il y a 17 ans, j’ai participé, j’en étais le porte-parole, à l’épopée du Mémorandum sur les problèmes du grand Nord aux cotés de Dakolé Daïssala, Issa Tchiroma, Hamadou Moustapha, feu Antar Gassagay et dans une moindre mesure Garga Haman Adji qui avait quitté le groupe à peine l’aventure commencée. Je ne le regrette pas, parce que cette initiative a permis d’attirer l’attention sur la situation douloureuse des régions septentrionales. Au moment où nous tambourinions, on ne comptait pas un seul gynécologue dans toute la région de l’Extrême-Nord ; alors que le grand Nord représentait déjà environ 47% de la population du pays, nos effectifs au sein de la fonction publique n’atteignaient guère 3% ; aucun fils du grand Nord ne siégeait à la Cour suprême ; aucun n’était président de Cour d’appel ; les projets de développement étaient aussi rares que les gouttes d’eau dans le désert… Est-ce les choses ont changé depuis ? Ça c’est un autre débat.
Je ne veux non plus m’attarder sur les trajectoires de mes principaux compagnons construites sur cette noble initiative. Moi, j’y agissais comme un citoyen engagé, eux pour ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être, des hommes politiques.
En revanche, sur le Mémorandum et contrairement à une réputation bien établie, je peux vous dire que cette initiative était loin d’être une manifestation d’un quelconque repli identitaire mais un appel au dialogue, à la solidarité, à la recherche de solutions, à l’amour du Cameroun, toutes choses sans lesquelles il ne saurait y avoir une société viable.
J’ai connu d’autres combats, celui de l’Ecole Normale de Maroua ; et je suis aujourd’hui sur le chantier des inscriptions sur les listes électorales que je considère d’une grande importance pour la place du grand Nord sur l’échiquier national après m’être investi contre le terrorisme de Boko Haram. Je fais tout ceci dans la posture du citoyen parce que je ne suis pas indifférent à la marche de ma région et de mon pays. Telle est ma seule ambition. Pour le moment.
Quels sont vos rapports avec la classe politique du grand Nord ?
Ni connivence ni concubinage : tel est le principe qui gouverne les rapports que vous évoquez. Ceci dit, j’ai avec eux, et plus globalement avec les personnalités politiques du grand Nord, des rapports cordiaux. Il arrive assez souvent que nous échangions quand la nécessité ou les circonstances l’imposent.
Comment analysez-vous les résultats des trois premiers candidats à la présidentielle dans le grand Nord ?
A tout le moins, je les trouve conformes au poids politique des uns et des autres sur le terrain. Ceux qui ont suivi de près la campagne ont remarqué que dans cette partie du pays, il y avait le candidat Paul Biya et il y avait les autres. Je ne me permets pas de juger les adversaires du candidat Paul Biya, mais il me semble qu’ils sont partis un peu tardivement à la conquête du grand Nord, avec en plus des schémas contestables. D’aucuns ont pensé qu’il suffisait tout bonnement d’y effectuer quelques descentes et parler de la pauvreté des populations ou se convertir à la « politique de la gandoura » pour se courber et ramasser des voix.
Le grand Nord cumule certes tous les indicateurs de pauvreté, mais son champ politique n’est pas en ruines ; et pour ceux qui s’obstinent à croire qu’il est un cheval en attente simplement d’un jockey, ils se trompent lourdement. Son électorat est complexe et il faut du temps pour l’apprivoiser. Je vais vous dire, depuis que je couvre les élections présidentielles, je ne connais pas un seul candidat qui a autant parcouru les régions septentrionales que Ni John Fru Ndi, pour, à chaque fois, des résultats mitigés. Lui aussi n’avait pas compris qu’il existe une identité politique particulière à l’électorat du grand Nord.
Donc, il y a un électorat à comprendre, je dirai même à séduire et qu’il faut se garder de réduire les ambitions au seul registre de la lutte contre la pauvreté. Cet électorat a besoin d’artisans de confiance qui prennent en compte ses spécificités et son histoire, qui lui parlent, pas comme des premiers de la classe venus donner des leçons, pas comme des messies, mais comme des compatriotes porteurs d’un projet national dans lequel le grand Nord a une bonne place.
Cette approche, je ne l’ai pas perçue dans les discours des candidats ; c’est pourtant, il me semble, un préalable en dehors duquel toutes les ambitions de pouvoir s’effondreront.
Guibaï Gatama; « Etoudi n’est la chasse gardée de personne ».
Fort de son poids électoral, quel rôle jouera le grand Nord dans le choix du prochain Président ?
De par son confort électoral, le tiers des inscrits sur les listes électorales si mes calculs sont exacts, il est prédestiné à un rôle de premier plan ; celui, minimalement, de faiseur de roi. Mais ne vous y trompez pas, détrompez-vous ; il ne s’agit pas de dire : « le nordiste d’abord », mais « le Cameroun d’abord… » alors qu’au nom de la démocratie et de la dictature du nombre, nous aurions pu être arrogants et nous considérer comme les seuls détenteurs des clés d’une élection présidentielle.
Tout ceci m’invite à dire que le volume, le bruit qu’on entend ici et là aussi bien dans les réseaux sociaux que dans les médias sont une chose ; la discrétion, le silence et la puissance, une autre.
Un courant d’opinion est pour la rupture du fameux axe nord-sud s’agissant de la dévolution du pouvoir. Est-ce que vous êtes d’avis, comme Amadou Ali, que le chef de l’État doit se souvenir de ceux qui lui ont donné le pouvoir si l’envie lui vient de se retirer ?
Je vais être honnête avec vous : si un nordiste venait à succéder, démocratiquement, à Paul Biya, cela ne me gênerait pas. Je serai heureux que le chef de l’Etat soit originaire des régions septentrionales. Le palais présidentiel n’est l’héritage de personne, ni d’une région, ni d’une religion, encore moins d’une ethnie. Je vais encore être plus honnête avec vous : Si le successeur de Paul Biya devait être un Camerounais originaire de la région du Sud, cela ne me dérangerait pas non plus parce qu’il s’agirait d’un camerounais qui aura triomphé, démocratiquement, par les urnes. Je ne jetterai pas non plus à la poubelle ma plus belle gandoura si par des mécanismes démocratiques et transparents, des alliances permettaient la conservation ou le partage du pouvoir entre des acteurs politiques. On ne peut célébrer la démocratie et en même temps promouvoir le rejet, l’exclusion, sur la base de ce qu’un tel, parce que de tel endroit, ne peut être président de la République. Il faut laisser les camerounais choisir, librement.
Donc, je ne suis ni obsédé ni particulièrement préoccupé par la question de dévolution du pouvoir tant qu’elle respecte les règles démocratiques. Par contre, ce sur quoi je reste attentif et sur lequel les populations du grand Nord pourraient être vigilantes, c’est la politique du nouvel élu à l’égard des régions septentrionales de la pauvreté. Je dis parfois aux hommes politiques, sans aucune prétention bien sûr, que l’extrême pauvreté dans le grand Nord doit être une cause nationale car aussi longtemps qu’une région ou une partie du pays sera la dernière en termes d’emploi et de développement, cela constituera un obstacle pour tout le reste du pays.
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