Alors que le continent fait face à une troisième vague brutale, l’urgence de vacciner se fait plus pressante. Mais les obstacles sont nombreux, et beaucoup d’africains sont encore réticents…
La vaccination contre le Covid19 reste un défi en Afrique. Le variant Delta se propage sur le continent et la troisième vague de la pandémie fait craindre des arrivées plus soudaines et plus concentrées de malades gravement atteints dans les hôpitaux. Or, les moyens de les prendre en charge manquent et certaines structures sont déjà saturées. La situation de l’Afrique australe (en plein hiver) et de l’Afrique du Nord (notamment la Tunisie), tout comme celle de l’Ouganda, inquiètent particulièrement. À tel point que le spectre d’un scénario « à l’indienne » est de plus en plus souvent évoqué.
Situation « inacceptable »
Jusqu’à présent, un peu plus de 6 millions de cas et 155 000 décès ont été recensés sur le continent. Mais ces chiffres pourraient être sous-évalués tant les données sont parcellaires. En tout, 51 pays du continent (Maghreb inclus) ont reçu un peu plus de 69 700 000 doses, toutes origines confondues, et 18 millions d’habitants sont désormais protégés par deux injections. Toujours est-il que moins de 2 % de la population africaine a été vaccinée. La pénurie est telle que le directeur des opérations de la Banque mondiale, Axel van Trotsenburg, qualifiait ce mercredi 14 juillet la situation d’ »inacceptable ».
« Le dispositif Covax était censé nous fournir des doses mais on voit qu’il ne fonctionne pas très bien, déplore le Dr Moumouni Kinda, directeur général de l’ONG Alima, qui vient de lancer dans six pays une opération de soutien et de sensibilisation à la vaccination. La situation est très disparate. Dans certains pays on manque de doses, dans d’autre des gens ont reçu la première mais n’arrivent pas à avoir la deuxième… Il faut changer de méthode, sinon la troisième vague qui frappe l’Afrique australe va arriver aussi en Afrique de l’Ouest et ce sera un échec pour tout le monde. Il faut opter pour une vaccination active, c’està-dire qu’il faut sensibiliser les populations et aller vers elles, pas attendre qu’elles viennent dans les centres. »
Complotisme et contradictions
Dans ce contexte tendu, où parvenir à recevoir des doses relève presque de l’exploit, une part importante des populations africaines est, de plus, réticente à se faire vacciner. La défiance est même alimentée par certains dirigeants. Aux interrogations légitimes s’ajoutent préjugés et discours complotistes contre de présumées tentatives d’empoisonnement, voire de stérilisation déguisée. En décembre dernier, seul un quart des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête du Centre de contrôle de prévention des maladies (CDC) de l’Union africaine menée dans 18 pays du continent pensaient que les vaccins contre le coronavirus ne présentent pas de danger. Néanmoins, 79 % d’entre elles se disaient prêtes à accepter une injection dont la sûreté serait prouvée.
« De trop nombreuses fake news circulent, en particulier sur les réseaux sociaux, dénonce le Dr Amavi Edinam Agbenu, point focal sécurité vaccinale de l’OMS Afrique, en appui à l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Les citoyens n’ont pas forcément toutes les données pour les analyser et nous nous employons à leur apporter des informations dès que nous le pouvons. » Campagnes médiatiques, création de vidéos d’information et appui à la communication des États font désormais partie des priorités de l’organisation sur le continent.
« La résistance au vaccin a de nombreuses sources : les amalgames dans la communication, le manque de clarté des informations, la réputation de l’AstraZeneca, que certains pays européens ont un temps suspendu… expose le Dr Kinda. Nous avons donc recours à des réseaux communautaires, des gens qui sont capables d’expliquer les choses aux populations. Mais nous devons aussi faire preuve de transparence sur les effets secondaires des vaccins, les documenter et informer sérieusement, pour rassurer les gens. » Le directeur des opérations de l’ONG Alima déplore aussi les « messages contradictoires » : « Certains qui envoient des doses en Afrique refusent aux ressortissants de nos pays, pourtant vaccinés, d’entrer sur leur sol. C’est très regrettable et ça ne rassure pas les gens. Il faut que cesse la suspicion : nous avons une très bonne expérience des vaccinations de masse, nous sommes capables s’il le faut d’aller dans les villages, de faire du porte-à-porte… Nous savons faire, il faut arrêter de penser qu’en Afrique, on ne vaccine pas comme il faut ! » « Les pays africains ont certes des revenus limités mais leurs systèmes de santé sont souvent aguerris et capables de déployer des campagnes de vaccination de grande envergure, confirme Amavi Edinam Agbenu, docteure en pharmacie et experte en immunologie. Ils ont l’habitude de vacciner plus de 10 millions de personnes en une semaine contre la fièvre jaune, la méningite ou la polio par exemple ».
Livraisons en juillet et Août
En plus du dispositif Covax, qui annonce 31,5 millions de doses de Pfizer pour l’Afrique d’ici à la fin août, l’Union africaine a sécurisé 400 millions de doses du vaccin Johnson & Johnson, qui ne nécessite qu’une injection. Elles sont attendues dès ce troisième trimestre 2021. Selon le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour le continent, les livraisons (tous dispositifs confondus) devraient être beaucoup plus importantes en juillet et en août – l’OMS évoque notamment 25 millions de doses envoyées par les États-Unis dans les prochaines semaines et 3,5 autres millions venues de Norvège, de Suède, de France et du Royaume-Uni.
La Banque mondiale et plusieurs dirigeants africains se réunissaient par ailleurs ce jeudi à Abidjan au sujet de l’aide au développement attendue pour les trois années à venir, notamment pour lutter contre la pandémie. Mais des ONG craignent que les dons de doses n’arrivent trop rapidement à expiration pour que les pays aient le temps de déployer leurs campagnes.
Course contre la Péremption
Paradoxalement, malgré la pénurie, des lots de vaccins ont récemment périmé en RDC, a annoncé le 14 juillet le ministre de la Santé Jean-Jacques Mbungani. Et ce n’est pas un cas isolé. D’autres pays ne parviennent pas à les administrer à temps. En mai, le Malawi a ainsi détruit près de 20 000 doses arrivées à expiration. La RDC, le Soudan du Sud et l’Afrique du Sud en ont par ailleurs renvoyé à l’expéditeur, soit parce qu’elles allaient expirer, soit par refus d’administrer le vaccin AstraZeneca, peu probant face au variant sud-africain. Voyant la date limite de ses doses approcher, le Cameroun a de son côté intensifié ses campagnes de vaccination la semaine dernière. En tout, une vingtaine de pays subsahariens se trouveraient toujours confrontés à ce risque, certaines doses périmant d’ici à la fin de l’été.
L’OMS et les centres CDC d’Afrique épaulent depuis des mois les États dans l’organisation de leurs campagnes vaccinales. Un suivi régulier des stocks et de leur date limite a été mis en place. « Dans certains pays, l’utilisation de certaines marques de vaccin a été gelée pour écouler les doses prioritaires, précise Amavi Edinam Agbenu. La vaccination a également été ouverte plus tôt que prévu à des cibles non prioritaires. » Mais le taux d’utilisation des vaccins reçus varie considérablement d’une région à l’autre. Ainsi, selon les derniers chiffres dont dispose l’OMS, le Maroc, l’Angola et le Rwanda auraient administré la totalité de leurs doses, suivis de près par le Nigeria, le Malawi, le Kenya, la Tunisie, le Ghana, l’Ouganda et le Soudan du Sud, qui dépassent les 90% d’utilisation. Le Soudan, la Côte d’Ivoire, la Gambie et l’Eswatini tournent quant à eux autour de 80 %. Moins prompts à développer leurs campagnes vaccinales, une trentaine de pays ont utilisé entre 30 et 80 % de leurs doses et sept autres sont vraiment à la traîne. Certains ont commencé tardivement leurs campagnes. Et il est possible que toutes les données n’aient pas été transmises…
Par Camille Lafrance et Olivier Marbot