Le président Paul Biya a signé, le 28 janvier 2025, un décret autorisant le ministre des Finances, avec faculté de délégation, à procéder à des émissions de titres publics pour un montant maximal de 380 milliards de FCFA. Cette opération, inscrite dans la Loi de Finances de l’exercice 2025, vise à financer des projets de développement. Toutefois, la mobilisation de ces ressources intervient dans un environnement où les conditions de marché deviennent de plus en plus contraignantes, rendant le recours à l’endettement plus complexe qu’auparavant.
Un marché sous pression
Depuis plusieurs années, le Cameroun s’appuie fortement sur le marché des titres publics de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) pour financer une partie de ses besoins budgétaires. Il est l’un des émetteurs les plus actifs de cette place financière créée en 2011. Cependant, la conjoncture actuelle ne joue pas en faveur du Trésor camerounais.
Les taux d’intérêt sur le marché des titres publics de la Beac connaissent une tendance haussière depuis 2022. Cette évolution complique les levées de fonds, car elle accentue la concurrence entre les États de la Cemac (Cameroun, Gabon, Congo, Guinée équatoriale, Tchad et Centrafrique). Certains pays, en quête de liquidités, offrent des rendements plus attractifs, atteignant parfois 7 %, contre environ 4 % pour les émissions à court terme du Cameroun. Cette disparité incite les investisseurs à privilégier les titres mieux rémunérés, au détriment de ceux du Trésor camerounais.
« Nous essayons de faire comprendre aux banques, c’est-à-dire les SVT (spécialistes en valeurs du trésor), que l’essentiel n’est pas d’aller chercher des taux d’intérêt de 7% dans les autres pays. Il faut regarder aussi le risque. Nos titres de court terme sont autour de 4%. Mais, il y a des pays dans la Cemac qui offrent jusqu’à 7%. (…) Le même phénomène est observé sur les titres de longs termes, sur lesquels il y a des décotes énormes. C’est-à-dire qu’on affiche un taux de 7%, mais derrière il y a des décotes très élevées. Ce qui vient dénaturer la transparence et même tout le système », indiquait le directeur général du Trésor du ministère des Finances, Sylvester Moh, au cours d’une rencontre à Douala en février 2023
Des tensions sur le refinancement de la dette
Le contexte devient d’autant plus préoccupant que les remboursements des précédentes émissions pèsent sur la stratégie d’endettement du pays. Selon les prévisions budgétaires, le Cameroun devra lever un total de 1 130 milliards FCFA en 2025 sur le marché régional, dont 750 milliards FCFA sous forme de bons du Trésor assimilables (BTA) – des instruments de court terme – et 380 milliards FCFA à travers des obligations du Trésor assimilables (OTA), qui couvrent des maturités plus longues.
Cependant, la capacité du marché à absorber ces volumes d’émission reste incertaine. Lors des récentes opérations, plusieurs États de la Cemac ont rencontré des difficultés pour atteindre leurs objectifs de financement. En 2024, le Gabon et la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (Bdeac) ont dû prolonger la période de souscription de leurs emprunts obligataires pour attirer suffisamment d’investisseurs. De son côté, le Cameroun a renoncé à son emprunt obligataire de 200 milliards FCFA prévu cette même année, faute de conditions favorables.
L’impact des restrictions bancaires
En parallèle, la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) a introduit de nouvelles règles visant à limiter l’exposition des banques au risque souverain. Désormais, les prêts et investissements bancaires en titres publics de certains États sont pondérés jusqu’à 100 %, augmentant ainsi le coût du refinancement pour les établissements financiers. Cette mesure, qui vise à préserver la stabilité du système bancaire, complique davantage l’accès des États aux ressources du marché régional.
Selon les données officielles, l’exposition des banques au risque souverain dans la Cemac est passée de 10 % en 2015 à 31 % en 2023, ce qui suscite des inquiétudes quant à la soutenabilité du modèle actuel de financement des États par le secteur bancaire. En conséquence, les établissements financiers, qui jouent un rôle central dans le marché des titres publics en tant que spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), adoptent une posture plus prudente.
Une offre concentrée sur les maturités courtes
Face à ces défis, la stratégie du Trésor camerounais pour 2025 repose sur une concentration des émissions sur des maturités courtes, jugées moins risquées par les investisseurs. Sur les 1 130 milliards FCFA à lever, 490 milliards seront mobilisés à travers des titres de 26 semaines, et 175 milliards via des instruments à 52 semaines. En revanche, les emprunts à long terme restent limités. Seulement 15 milliards FCFA sur des obligations de 10 ans et 40 milliards FCFA sur des titres de 7 ans.
« Cette prudence reflète la faible profondeur du marché financier régional, où les investisseurs privilégient les échéances courtes, plus liquides et moins exposées aux fluctuations économiques. Néanmoins, ce choix pose un défi de renouvellement fréquent des dettes à court terme, exposant le pays à des risques de refinancement en cas de durcissement des conditions de marché », souligne un expert.
Un test dès le début d’année
Les premiers signaux de 2025 confirment ces difficultés. Lors de la première semaine de janvier, quatre États, dont le Cameroun, ont tenté de lever 110 milliards FCFA sur le marché des titres publics de la BEAC. Seuls 32 milliards FCFA ont été obtenus, illustrant la contraction de la liquidité disponible et la prudence croissante des investisseurs.
Dans ce contexte, la réussite de la mobilisation des 380 milliards FCFA autorisés par le décret présidentiel dépendra de plusieurs facteurs : l’évolution des taux d’intérêt, la confiance des investisseurs et la flexibilité des régulations bancaires. Le Trésor camerounais devra faire preuve de rigueur et d’adaptabilité pour sécuriser les financements nécessaires au développement des projets inscrits dans la Loi de Finances 2025, tout en maîtrisant les coûts liés à l’endettement