jeudi, octobre 16, 2025
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Pr Jean-Emmanuel Pondi : « Nous ne pouvons pas développer l’IA en comptant sur les poches des autres »

Face aux modèles éthiques importés, le Recteur de ICT University défend une approche africaine de l’intelligence artificielle. Pour lui, l’Afrique doit veiller à intégrer sa propre vision du monde dans les algorithmes et logiciels, en respect de ses valeurs culturelles et communautaires.

Pensez-vous que l’implication active du secteur privé dans le financement soit essentielle pour donner corps aux fondements conceptuels et opérationnels de l’intelligence artificielle ?

Disons qu’en relation internationale, il y a des domaines qu’on appelle stratégiques. Et techniquement, les domaines stratégiques sont des domaines prioritaires. Et il est important que ces domaines prioritaires soient supportés financièrement par les intéressés eux-mêmes. Il est un peu illusoire de croire que dans ces domaines où vous êtes en compétition, vous allez voir vos compétiteurs vous soutenir dans une course où vous êtes susceptible de passer devant eux. Ce n’est pas logique comme raisonnement. Donc il faut sécuriser certains domaines qu’il faut plutôt autonomiser plutôt que de les mettre à l’air libre où tout le monde voit ce qui se passe. L’intelligence artificielle est un levier pour accélérer le développement ou la croissance dans tous les domaines de l’action humaine.

Il est donc important pour nous de voir comment et par quelle structure ce domaine crucial devrait être financé. Nous avons aujourd’hui des banques panafricaines, c’est-à-dire qui ont un ADN qui est officiellement reconnu comme étant des banques panafricaines. Nous avons des banques nationales et nous avons des banques régionales. Il serait bon pour ces banques d’avoir ce qu’on peut appeler des fenêtres pour le financement de l’IA. Parce qu’en résolvant beaucoup de problèmes, il y aura un retour sur l’investissement chez elles-mêmes, chez ces banques-là. Ça peut être à moyen terme ou à long terme, mais de toutes les manières, si l’économie globale devient revivifiée, si elle s’accélère, il est clair que ce sera un investissement qui sera un investissement positif.

Donc les Africains doivent comprendre, à mon avis, qu’on ne peut pas avoir des programmes pour lesquels nous comptons sur les poches des autres. Ce n’est pas logique. Il faut que nous comprenions que pour être pris au sérieux, pour être pris comme des adultes, parce que nous réclamons désormais de ne plus être infantilisés, l’une des conditions de la sortie de l’infantilisation de l’Afrique, c’est de prendre en charge ses responsabilités financières. L’Afrique n’est pas pauvre, contrairement à ce que nous-mêmes nous croyons.

L’Afrique a quand même près de 40% de toutes les ressources minières mondiales. Nous avons 60% des terres arables, c’est-à-dire cultivables, du monde, qui se retrouvent sur le continent africain. Nous avons des essences de toutes sortes, Iroko, Ébène, qui sont des richesses incommensurables. Il faut donc que nous sachions que toutes ces richesses sont transformables en valeurs, des valeurs financières. Et que nous nous dressions maintenant non plus en mendiant, mais en acteurs sérieux qui ont été capables de recenser toutes ces richesses, nous-mêmes, on ne doit pas compter sur les autres pour venir recenser nos richesses. Nous pouvons le faire nous-mêmes.

Nous avons aujourd’hui le know-how, la capacité de le faire. Quand on recense les richesses africaines, elles sont énormes. L’Afrique est le premier producteur mondial d’or, par exemple. Premier producteur mondial de diamants. 75% du cacao et du café et tout ça, que les gens consomment tous les jours sur les cinq continents, viennent d’Afrique. Comment, d’où vient-il que nous persistons à accepter nous-mêmes que nous sommes pauvres ? Comment définit-on la richesse ? Comment définit-on la pauvreté ? Ce sont des termes qu’il faut revoir avec beaucoup de sérieux. Et quand on aura fait cela, nous allons nous rendre compte de beaucoup de découvertes.

Donc je pense pour ma part que nous devons… pour considérer l’IA comme un moteur qui peut accélérer non pas seulement le développement, mais la croissance de l’Afrique. Et ça, ça ne se fait pas sans mettre des sommes conséquentes. Il ne s’agit pas de saupoudrer, il s’agit d’avoir des sommes conséquentes, mais aussi une vision claire sur les étapes de ces financements, sur les acteurs de ces financements et sur les objectifs de ces financements.

Quelle est votre position sur le renforcement d’une intelligence artificielle locale respectueuse des droits humains et des normes éthiques, face aux risques culturels liés à l’usage de données inadaptées ?

 Alors je dirais que l’une des choses qu’on a remarquées pendant tous les ateliers, les six ateliers qui ont été organisés, elles avaient au moins un trait commun, c’est qu’on revenait toujours sur la nécessité d’appropriation de la dimension éthique par l’Afrique. Et je crois que c’est une préoccupation qui vaut son pesant d’or et qui s’explique parfaitement. Alors quand on dit l’éthique, on utilise les mêmes mots, le même vocabulaire, mais qui ne recouvrent pas les mêmes réalités. Et je crois que c’est là que se pose le problème.

L’éthique a une valeur morale, une valeur comportementale, mais aussi une valeur culturelle. Alors on ne peut pas venir en Afrique, faire fi de nos de voir le monde, de notre cosmogonie, de notre vision vis-à-vis de l’être humain, de la famille, de la communauté. Dire qu’il n’y a qu’une seule vision, qui n’est pas africaine et qu’on déclare universelle. Ce n’est pas possible d’accepter cela. Il faut comprendre que le monde est fait de civilisations avec S. Et sur ce S ont été générés beaucoup de guerres et de conflits. Parce qu’il y en a qui disent qu’il y a une civilisation avec ON à la fin. Alors qu’en fait il y a des civilisations. Comme il y a de nombreuses cultures, et c’est la complémentarité de cette diversité qui rend le monde intéressant. On ne peut pas nous imposer, comme nous voyons.

Parce que l’éthique, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous avons notre lecture du monde. Par exemple, en Afrique, nous donnons davantage d’importance à la communauté qu’à l’individu. Et la preuve de cela, c’est quand vous prenez les droits de l’homme et des peuples, c’est la convention bien sûr de Banjul, la capitale de la Gambie, en 1980, Et c’est le sommet de Nairobi de 1981 qui a en fait adopté cette résolution et ce texte-là.

Donc, vous comprenez que nous ne pouvons pas accepter, qu’entre la communauté et l’individu, qu’on nous fasse comprendre que c’est l’individu qui vient en avant. Peut-être dans d’autres systèmes culturels, c’est le cas. Mais pour ce qui nous concerne, ce n’est pas du tout une vérité. Premièrement, nous avons notre définition de la famille. Et ces derniers temps, nous entendons toutes sortes de définitions de famille que nous avons beaucoup de mal à comprendre.

Alors, le danger c’est quoi ? C’est que certaines organisations internationales voudraient maintenant faire passer l’aide internationale en forçant les Africains à accepter des définitions de famille qui nous sont répugnantes. Il faut que les gens comprennent que ce qui sied chez eux n’est pas nécessairement quelque chose qu’on peut accepter chez nous. Et je dirais même, pour beaucoup d’Africains, quelque chose d’inacceptable. C’est pour ça que je parle, moi, non seulement de sécurité militaire, je crois de moins en moins à ça, je crois davantage en la sécurité culturelle. C’est-à-dire la nécessité par toutes les cultures d’accepter les autres comme étant des cultures valables, même si elles ne sont pas les vôtres. Et je pense que beaucoup de pays occidentaux gagneraient à avoir un tout petit peu plus d’humilité, pour comprendre qu’ils ne peuvent pas imposer aux gens des choses que ces gens ne veulent pas du tout adopter, parce qu’elles sont contraires à leur valeur, contraires à leur éducation, contraires à leurs us et coutumes. Si nous n’acceptons pas cela, il est illusoire de parler de paix. Parce que la paix c’est quoi ? C’est l’acceptation de l’autre dans sa diversité.

La paix c’est quand vous dites que vous acceptez l’autre, non pas parce qu’il est comme vous, mais précisément parce qu’il est différent de vous, même dans ses valeurs culturelles. Et nous pensons que les Asiatiques ont leur manière de voir le monde, les Africains ont leur manière de voir le monde, les Européens ont leur manière de voir le monde, les Américains ont leur façon de voir le monde. Très bien, mais il ne s’agit pas de venir imposer une vision au motif fallacieux que cette vision serait universelle. L’intelligence artificielle doit nous aider à mettre un contenu africain, dans des logiciels, dans des applications et dans les algorithmes en particulier. L’intelligence artificielle doit davantage mobiliser des veilles africaines pour que nous voyons où sont les défaillances et que nous mettions notre narratif à nous, notre manière de voir le monde au travers de ces algorithmes-là.

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