dimanche, mai 25, 2025
spot_img
spot_img
AccueilA LA UNEWilly Stéphane Zogo, fondateur du Cabinet Droit Médias Finance: «Limiter les investisseurs...

Willy Stéphane Zogo, fondateur du Cabinet Droit Médias Finance: «Limiter les investisseurs a permis au Cameroun de réussir son emprunt»

Titulaire d'un Phd en droit des affaires avec une spécialisation en droit financier, cet expert décrypte pour défis actuels, les contours du récent emprunt de 335 milliards de fCfA opéré par le Cameroun sur le marché financier international. Il détaille également les raisons qui ont poussé Yaoundé à opter pour un placement privé

Le Cameroun vient de recourir à emprunt international pour lever 335 milliards de fCfA, trois ans après sa dernière sollicitation sur ce marché. Qu’est-ce qui selon vous a poussé les autorités camerounaises à opter pour ce choix ?

Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer sur cet aspect de la politique financière de l’Etat du Cameroun. Tout d’abord, je veux restituer les raisons officielles qui soutiennent cette troisième émission obligataire de l’Etat camerounais sur le marché financier international. Dans le Décret du 22 juillet 2024 qui a précédé et a autorisé le bouclage de l’opération de levée de ces 335 milliards de FCFA, le président de la République a bien évoqué le fait que ces fonds serviront à l’apurement des restes à payer. Effectivement, nous pouvons penser que ce troisième Eurobond est sous-tendu par l’engagement du Cameroun à procéder dans les délais contractuels au remboursement des arriérés intérieurs chiffrés à 261,6 milliards de FCFA fin août 2023, sur une dette intérieure globale ayant franchi les 1 979 milliards FCFA et exigeant une ressource de long terme. Tout ceci intervient dans un contexte où le marché des capitaux sous-régional de la CEMAC n’est pas forcément en capacité de pleinement satisfaire à ces attentes. Comme vous le savez, sur les mêmes maturités, le Cameroun ne parvient souvent à lever que 200 voire 150 milliards de FCFA…et même qu’il y a eu en avril un report d’une opération similaire.

Contrairement à la plupart des pays africains qui ont opté pour un eurobond par appel public à l’épargne cette année, le Cameroun a préféré un emprunt privé qu’est-ce qui peut justifier le choix d’une telle stratégie?

Le placement privé qui a effectivement été adopté comme modalité de cette opération, sans doute en accord avec Citigroup Global Markets Ltd comme unique agent de placement et en coarrangement avec Cygnum Capital Middle East, ne peut viser qu’un seul but : la garantie et le contrôle dans le but d’atteindre efficacement et dans les brefs délais l’objectif de la levée de fonds. En effet, le placement privé ici permet à l’émetteur, en l’occurrence, l’Etat du Cameroun, de se focaliser sur des investisseurs précis préalablement identifiés sur le marché primaire et le marché gris (dans le monde financier, c’est un marché non officiel, de gré à gré, qui permet aux investisseurs d’échanger des titres avant leur cotation en Bourse, ndlr) comme ayant les capacités financières de répondre à l’offre.

Depuis que les résultats de cette opération ont été rendus publics, les analystes sont tous d’accord que le coût de cet emprunt est très élevé, avec un taux d’intérêt à deux chiffres. Partagez-vous cette analyse ?

D’après ce que nous savons à ce stade, effectivement, le premier Eurobond du Cameroun de 2015 était rémunéré à 9,50% et le deuxième de 2021 l’était à 5,95 %. Pourtant, sur cette dernière opération de 2024, il ne faut pas oublier que les conditions du marché financier international sont plus ou moins rigides pour tout le monde. Mais aussi, la notation du Cameroun en monnaies étrangères sur les dettes de long terme selon des agences de notation se présente en B ou B- selon les cas. Pourquoi le Cameroun n’a pas renoncé ? L’urgence peut-être… Selon toutes les évidences, le Cameroun ne prendrait pas plaisir à payer fort une dette si la liberté lui était totalement offerte. L’obligation de liquider la dette intérieure qui se présente déjà sous forme d’arriérés comme indiqué plus haut pouvait être soldée lentement, sauf que le Fonds Monétaire International aurait recommandé un apurement plus urgent pour le bien des finances publiques. Donc, voilà la lecture qui peut justifier cette posture du Cameroun sur cette opération.

Certaines sources parlent des conditions particulières du marché pour justifier cet emprunt. Quelles sont-elles à votre avis ?

 Les conditions de marché pour les prêts des Etats africains en matière d’Eurobond sont un peu plus difficiles depuis au moins deux à trois ans. Le lien peut être établi avec la sortie de la pandémie de Covid-19 qui, si elle n’a pas été ressentie en interne, elle a été ressentie sur les marchés internationaux. On peut également invoquer la guerre en Ukraine qui est loin d’avoir livré son dernier chapitre ou encore la hausse des taux d’intérêt dans les grandes puissances comme les Etats-Unis. La situation des monnaies locales en difficulté est aussi un facteur pouvant susciter de la méfiance auprès des investisseurs qui peuvent se montrer intéressés par les actifs des économies émergentes. Ils peuvent se dire que leurs placements seraient trop risqués. Mais, pour le cas particulier du Cameroun, il faut indiquer que les investisseurs tiennent également compte de l’encours des obligations déjà en circulation et dont l’émetteur est le Cameroun pour se faire une idée.

Avec les notes relativement bonnes attribuées au Cameroun ces dernières semaines par les agences de notation financière, il n’était pas vain d’espérer des taux d’intérêt moins élevés. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?

Pour des raisons déjà invoquées, on ne peut pas corréler le taux d’intérêt de plus de 10% de cette opération uniquement à la notation financière récente du Cameroun par Standard & Poor ou Fitch. Et même, il faut relativiser, vous le dites vous-même, les notations à considérer pour cet Eurobond ne sont pas celles globales, mais plutôt celles liées à l’endettement en devises étrangères. Sur ce point, il me souvient qu’en mai dernier, Fitch a bien confirmé la note de défaut d’émetteur à long terme en devises étrangères du Cameroun à « B » avec une perspective négative. En dernière analyse, la réponse doit également être recherchée sur le fait que les rendements des obligations en dollars du Cameroun arrivant à échéance en novembre 2025 ont baissé de 36 points de base quelques jours avant l’émission, pour s’échanger à 10,53%, le niveau le plus bas depuis plus de deux mois.

Avec cet emprunt, le Cameroun ne fait-il pas une entorse à sa politique de réduction des emprunts de type non concessionnels suggérée par le fmI dans le cadre de leur programme économique et financier commun ?

Avec une rémunération de 10,75% le dernier Eurobond de l’Etat camerounais est tout sauf «concessionnel». Si le FMI lui suggère des emprunts de type non concessionnels, il faut aussi dire que le même FMI peut comprendre exceptionnellement ses « débiteurs ». Si l’on se réfère à la position officielle du FMI en juin dernier, le Cameroun peut se permettre une marge de manœuvre tant « la mise en œuvre du programme appuyé par la facilité élargie de crédit est globalement conforme aux attentes. [Même s’] Il convient de poursuivre les efforts pour accélérer la réforme de la gestion des finances publiques, favoriser la transformation structurelle»

spot_img
LIRE AUSSI
0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

ACTUELLEMENT EN KIOSQUE

spot_img

LES PLUS RECENTS

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x