lundi, novembre 3, 2025
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Violences post électorales : dégâts et moyens d’indemnisation des entreprises pillées

Alors que plusieurs enseignes commerciales ont été vandalisées dans le cadre des manifestations de ces derniers jours, des interrogations sur la couverture de ces sinistres par les compagnies d’assurance s’imposent.

Douala, 31 octobre 2025, les rues où grouillent d’habitude du monde sont presque vides, sous un silence pesant.  Dans le troisième arrondissement de la ville, épicentre des manifestations populaires qui ont eu lieu ces derniers jours, les activités économiques reprennent timidement. Quelques commerces fonctionnent à guichet fermé au milieu des traces de chaos laissées partout. Des vitrines de plusieurs magasins brisées, des comptoirs et poubelles renversées… « Nous avons ouvert ce matin pour essayer d’évacuer les œufs ci par ce qu’on ne sait pas ce qui va arriver les prochains jours. Ça ne sera plus mangeable si la boutique reste longtemps fermée, on va tout perdre », renseigne Patrick Ngan, tenancier d’une supérette en nouant le fil autour d’un alvéole d’œufs.

A Yassa, à l’entrée est de la ville, des hommes physiquement bien bâtis sont assis sur la piste d’une station-service pourtant fermée. Ils se tiennent prêts à repousser une éventuelle menace. C’est l’une des rares stations ayant résisté aux émeutes.  Tradex, Bocom, Nepturne oil, ont été prises pour cibles. Sur chaque kilomètre, au moins une station-service a été vandalisée et présente désormais un visage grisé. Les infrastructures ont pris la coloration des fumées sous l’effet des incendies.  Pompes à terre, véhicules calcinées, boutique pillée, les dégâts sont visibles. Si le montant des préjudices n’a pas encore été officiellement avancé, le groupement des professionnels du pétrole estime que chaque station-service détruite entraîne la perte de 20 emplois directs.

Des pertes matérielles aussi considérables ont été enregistrées par diverses entreprises dont des établissements financiers, des grandes surfaces, des boulangeries et même des sociétés de télécommunications. Congelcam, principal importateur de poissons, a vu l’une de ses agences   pillée par les assaillants. Certains employés avancent que plusieurs centaines de cartons de poisson ont été dérobés, en plus des quantités qui gisaient dans les congélateurs. Le matériel de conservation des produits a lui aussi été vandalisé.

Quels recours pour les dommages subis ? La question se pose au regard d’importants dégâts matériels et humains occasionnés par ces mouvements nés de la contestation des résultats de l’élection présidentielle. Les avis des experts convergent.  Difficile d’obtenir réparation d’un tel préjudice auprès des compagnies d’assurance. Ces entreprises peuvent cependant engager la responsabilité de l’Etat, nous confie un dirigeant d’assurance. Dans ce cas de figure, il faudra saisir la justice administrative pour obtenir cette responsabilité de l’Etat, garant de la sécurité publique.

Interview

 Ijeoma Vanessa MBOULE, cadre d’assurance

« Il faut créer un fonds national de garantie des risques exceptionnels »

L’expert nous éclaire sur les dispositions légales en matière de dommages occasionnés par des émeutes et nous livre une analyse sur l’état de l’assurance au Cameroun et ses perspectives.

 Plusieurs entreprises et même des édifices publics ont vu leurs enseignes vandalisées ces derniers jours dans le cadre des manifestations populaires. Ce type de risque est-il couvert par les compagnies d’assurance ?

En principe, non. L’article 38 du Code CIMA Edition 2019 stipule que ‘’L’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés, soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires.  Lorsque ces risques ne sont pas couverts par le contrat, l’assuré doit prouver que le sinistre résulte d’un fait autre que le fait de guerre étrangère ; il appartient à l’assureur de prouver que le sinistre résulte de la guerre civile, d’émeutes ou de mouvements populaires’’ En effet, le code CIMA ne traite pas directement des risques politiques en tant que tels, mais il encadre les assurances en tenant compte de leur aggravation et de certaines exclusions spécifiques. Il impose notamment une déclaration de toute circonstance nouvelle qui aggrave le risque (article 15) et exclut les dommages causés par la guerre, les émeutes ou les mouvements populaires, sauf convention contraire. L’assureur n’indemnise que les dommages résultant d’un risque expressément garanti par le contrat. Les émeutes, mouvements populaires, grèves ou actes de vandalisme sont en général exclus des garanties standards, que ce soit dans les polices incendie, multirisque professionnelle ou automobile.

Toutefois, certaines entreprises prévoyantes peuvent souscrire une extension de garantie “Émeutes et mouvements populaires”. Cette clause complémentaire permet de couvrir les pertes matérielles causées par des troubles civils ou des actes de vandalisme, à condition qu’elle figure clairement dans la police d’assurance.

En cas de couverture, quelles procédures pour obtenir une indemnisation et comment analysez-vous la situation actuelle de nos entreprises et administrations en matière d’assurance ?

Lorsqu’un sinistre survient, l’assuré doit respecter la procédure légale prévue par son contrat. Le code CIMA stipule que l’assuré a une obligation légale de déclarer tout sinistre à son assureur rapidement et avec exactitude, conformément aux clauses du contrat. Cette déclaration doit être accompagnée de preuves matérielles : photographies, procès-verbaux de police, devis ou factures de réparation, etc. Cependant, si la garantie “émeutes” n’a pas été souscrite, l’assureur n’a aucune obligation d’indemniser, même si le dommage est réel.

Cette situation met en évidence un déficit de sensibilisation et de prévention dans la culture assurantielle nationale. Beaucoup d’entreprises se limitent à des garanties minimales, sans anticiper les risques politiques, sociaux ou climatiques auxquels elles sont exposées.

Les administrations publiques, quant à elles, sont encore très peu engagées dans une véritable politique de gestion préventive des risques.

Comment peut-on prévenir ce type de situation, tant pour les entreprises privées que pour les administrations publiques ?

A mon avis, je pense que la prévention repose sur trois piliers essentiels :

L’évaluation proactive des risques : chaque entreprise ou institution devrait réaliser un audit annuel de ses risques pour identifier les menaces liées à son environnement. L’adaptation des contrats d’assurance : il est crucial d’ajuster les polices en y intégrant des extensions spécifiques (émeutes, actes de vandalisme, pertes d’exploitation, catastrophes naturelles, etc.). Le partenariat public-privé : il serait pertinent de créer un fonds national de garantie des risques exceptionnels, à l’image de certains pays de la zone CIMA, afin d’offrir une protection globale aux infrastructures publiques et privées lors de crises majeures.

En définitive, ces récents événements rappellent que l’assurance n’est pas une simple formalité administrative, mais un levier stratégique de résilience et de continuité économique. Il est à noter que la note circulaire de la FANAF du 10 octobre 2025 vient rappeler de manière claire la volonté de renforcer la cohérence et la crédibilité du marché africain de l’assurance face aux risques politiques et connexes. En rendant obligatoire l’application des nouvelles clauses PVT FANAF2025, applicables à compter du 1er janvier 2026, la Fédération marque un tournant stratégique dans la gestion des risques politiques, des actes de terrorisme et de sabotage.

Cette directive s’inscrit dans une logique d’harmonisation régionale et de protection renforcée des assurés et réassureurs. Elle appelle les compagnies, courtiers et souscripteurs à faire preuve de rigueur contractuelle et d’anticipation, afin d’éviter toute confusion et de garantir une meilleure couverture face aux risques émergents.

En somme, cette initiative de la FANAF traduit une maturation du marché africain des assurances, où la gouvernance, la conformité et la prévention deviennent des leviers essentiels de résilience économique et sociale.

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