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Les chefs traditionnels doivent-ils faire la politique ?

Par Moussa Njoya, politologue

Le grand meeting du Rdpc du 20 juillet dernier qui avait pour objectif de démontrer le soutien des élites de cette localité aux institutions et à celui qui les incarne, Paul Biya, a été l’occasion d’une forte polémique, remettant sur la table la question de la participation politique des chefs traditionnels, car ce grand raout politique a été organisé par une autorité traditionnelle, Ibrahim Mbombo Njoya, le sultan roi des Bamoun.

De la liberté politique des chefs traditionnels

D’emblée, il faut dire que se poser la question de savoir si les chefs traditionnels doivent-ils faire la politique est une incongruité, dans la mesure où leur position de monarque traditionnel est déjà une fonction politique. La chefferie traditionnelle étant souvent un véritable micro-Etat, et sa gestion relevant de la haute politique. Ce qui poserait problème c’est l’engagement des autorités traditionnelles au sein des partis politiques, dans un contexte de multipartisme. En effet, pour une bonne partie de l’opinion publique, le chef traditionnel, en tant que le « père » de tous ses « sujets », il se doit de rester audessus de la mêlée, en dehors de la compétition entre les formations politiques. Cette posture serait nécessaire pour préserver son impartialité et surtout sa sacralité. Mais à y voir de près, cette « suggestion » ne se justifie nullement. Il faut préciser que les chefs traditionnels, en dépit de leur statut d’auxiliaire de l’administration sont des citoyens comme les autres qui peuvent librement s’engager dans les partis politiques. Le décret du 15 juillet 1977 régissant les chefferies traditionnelles ne leur imposant aucune obligation de réserve à l’instar de ce qui est des autorités de la préfectorale. C’est au nom de cette liberté juridique que l’on a non seulement des chefs traditionnels qui sont membres et responsables dans le parti au pouvoir, mais également d’autres qui sont engagés dans l’opposition. C’est notamment le cas de Paul Marie Biloa Effa qui est chef coutumier Mvog-Betsi à Messa Nkoa-Ba’a (Arrondissement du Mfoundi II), président de l’Association des chefs traditionnels de Yaoundé II, vice-président de l’Association des chefs traditionnels du Mfoundi, et qui est membre du directoire du MRC et conseiller spécial du président national, Maurice Kamto. Il en est aussi du cas de Paul Tchatchouang, ancien vice-président du Sénat, qui est chef supérieur de Mucha dans le Koung-khi, et fervent militant du SDF. En fait, l’engagement des chefs traditionnels dans divers camps politiques est aussi vieux que l’histoire contemporaine du Cameroun. C’est ainsi que le premier président de l’UPC en 1948 est un chef traditionnel en la personne de Mathias Djoumessi, qui était chef de Foréké à Dschang entre 1925 et 1966. Même Sokoudjou Jean Rameau, le roi de Bamendjou qui estime aujourd’hui que « l’engagement des chefs traditionnels dans les partis politiques n’est pas honorable » était un responsable de l’UPC dans les années 1950, ce qui lui vaudra même une peine d’emprisonnement de 18 mois à Bafoussam lors de la période coloniale. D’ailleurs, au début des années 1990 il aura une présence plus que remarquée aux cotés de l’Union pour le Changement qui soutenait Ni John Fru Ndi. Son relatif retrait s’expliquant davantage par une certaine lassitude face aux travers du SDF, comme bien de citoyens, que par une quelconque volonté de neutralité. Postuler la dignité des autorités traditionnelles à leur non-engagement dans les partis politiques est non seulement caricatural, mais surtout empreint d’une bonne dose de mauvaise foi des partisans situés de part et d’autre du pouvoir, et qui veulent les contraindre à suivre leur obédience, par une forme de terrorisme intellectuel. Les choses prenant parfois une tournure largement dramatique comme on l’observe avec les agissements de la fameuse « Brigade Anti-Sardinard (BAS) » qui a humilié bon nombre de chefs traditionnels ces derniers mois. Leur « crime » étant de soutenir le régime en place.

 De la liberté des autres

Leur liberté d’engagement politique étant acquise, ce qui est demandé aux chefs traditionnels, c’est de respecter celle des autres. Aussi, ceux-ci ne doivent pas utiliser leurs attributs pour obliger ou influencer l’adhésion de leurs « sujets » à tel ou tel autre bord politique. Pire encore, les situations comme celles qui ont été vécues dans certaines localités du Septentrion ou du Nord-Ouest où des militants, des responsables et des élus des partis d’opposition sont violentés voir tués sous les ordres des chefs traditionnels, du fait de leur dissidence, sont plus que condamnables. C’est d’ailleurs tout l’enjeu du débat de la présence des bureaux des votes dans les chefferies traditionnelles, car il est établi que cela est souvent un lieu de pression sur l’expression libre des opinions politiques.

De ce qui se passe ailleurs

D’aucuns estiment que pour éviter les différentes dérives découlant de l’engagement partisan des chefs traditionnels, il vaudrait mieux les y soustraire en prenant pour modèle ce qui se passe en occident ou encore dans certains pays africains tel que le Maroc où le roi est au-dessus des partis politiques et n’appartient à aucun. Plus que jamais, l’on n’est fondé dans ce cas de dire : « comparaison n’est pas raison », car les situations sont totalement différentes. En effet, que l’on soit au Royaume-Uni ou au Royaume Chérifien, l’on a affaire à des monarchies constitutionnelles où le monarque à des attributions politiques très importantes sur le plan national et supplante l’entièreté du système politique. Allant jusqu’à avoir une implication quotidienne dans la vie des institutions. Alors, quel serait l’intérêt d’un souverain qui règne sur l’ensemble du système de politique, et ce ad vitam aeternam, de venir encore s’engager dans un élément du sous-système politique, que sont les partis politiques ? Etant entendu que l’on s’engage dans les formations politiques pour conquérir ou conserver le pouvoir, tout engagement partisan dans ces contextes est tout simplement dénué de tout sens. De l’assemblée des chefs traditionnels

Face à la myriade des chefferies traditionnelles au Cameroun, contrairement aux situations sus-évoquées, certains proposent que soit mise sur pied une « assemblée des chefs traditionnels ». Inspirée de la « house of chiefs » en vigueur sous la colonisation anglaise, celle-ci qui aura une voix consultative permettrait de donner aux chefs traditionnels une position honorable dans le champ institutionnel tout en les soustrayant aux aléas de l’engagement partisan. Une telle posture traduit une forte paresse intellectuelle car elle postule une fixité de la société camerounaise, condamnée à envisager éternellement son organisation sur la base de la tribalité. Elle s’avère même dangereuse à plus d’un égard dans la mesure où une pareille instance serait à coup sûr le lieu de l’exacerbation des replis identitaire. Ce qui serait un écueil radical à la construction d’une véritable nation camerounaise, dans un contexte marqué par un retour en force des discours tribalistes. Cette proposition s’avère davantage inopportune dans une conjoncture économique où l’idéal serait la dissolution ou tout au moins la diminution des institutions à l’utilité peu probante, car mettre sur pied une telle assemblée « consultative » c’est créer un autre gadget budgétivore. Alors que les populations ont d’autres urgences notamment en ce qui concerne la fourniture en eau, en électricité, en infrastructures, en logement, en santé ou encore en éducation.

De la civilisation des mœurs politiques

En définitive, ce qui pose problème ce n’est pas tant le principe de l’engagement des chefs traditionnels dans les partis politiques, mais plutôt l’absence dans bien de cas d’une certaine civilisation des mœurs politiques, une forme de galanterie politique, de gentlemen agreement. Celle-ci préconise l’observance d’une tolérance scrupuleuse des opinions des uns et des autres. Et des cas sont légions. C’est ainsi que lors de la dernière élection sénatoriale, l’on a vu le secrétaire du SDF, Jean Tsomelou, affronter son chef de Bamissingué, Joseph Teingnidetio, qui était candidat sur la liste Rdpc. Cette confrontation qui est allée jusqu’au constitutionnel n’a porté aucun coup aux rapports entre les deux personnalités, le chauffeur du secrétaire général du SDF étant grand notable au palais Bamissingué. Cette « sportivité » des mœurs politiques a été également observée par le sultan des Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya, lorsqu’il reconnut sa défaite à l’élection municipale de 1996, face à son « notable » Adamou Ndam Njoya. Et ce en dépit de suggestions de passage en force de bon nombre des élites du Noun. Ceci a été rendu possible par le fait que les deux parties ont compris que bien qu’étant adversaire politique, ils ne sont pas des ennemis. Ce passage du paradigme « ami/ennemi » à celui de « adversaire/partisan », et qui voudrait que l’adversité ne soit pas de l’inimitié, demande que l’on évite de faire usage de certains moyens, que l’on ait affaire à un chef traditionnel ou pas. Aussi, les injures visant à atteindre l’honorabilité de l’autre, les attaques personnelles, les violences physiques et matérielles, la prise à partie des membres des familles des candidats, les abus de position dominante, bref les coups en deçà de la ceinture, sont à prohiber. Cette civilisation des mœurs politiques demandent aussi une bonne dose de loyauté. Par conséquent, la politique, bien que perçue comme un jeu de ruse, doit être dépouillée d’une certaine forme abjecte de duplicité, où l’on voudrait atteindre ses objectifs à coup de trahison et de mensonges entre « copains », comme cela a été le cas entre l’ancien maire de Bafoussam, Joseph Confiance Fongang, et le regretté chef supérieur de Bamougoum, Jacques Fotso Kankeu.

Par Moussa Njoya in Défis Actuels N° 406 du 29 juillet 2019

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