jeudi, décembre 5, 2024
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Par Moussa Njoya,Cameroun-Etats-Unis : entre méfiance et défiance !

La semaine du 1er au 7 juillet qui vient de s’achever a été marquée par la visite d’une délégation du Congrès américain conduite par la démocrate Karen Ruth Bass. Au-delà des formules convenues et diplomatiques au sortir de ses différentes rencontres avec le premier ministre, Joseph Dion Ngute, les membres du gouvernement et ceux de la société civile, cette tournée vient aussi marquer un autre épisode dans les relations plus que délicates entre les autorités camerounaises et ceux du pays de Donald Trump. Et ce depuis belle lurette.

Les Etats-Unis, un soutien permanent aux dissidents Camerounais

L’histoire récente des relations entre le Cameroun et les Etats-Unis fait ressortir un fil conducteur permanent à savoir le soutien permanent des autorités américaines aux dissidents camerounais. En effet, depuis le retour du pays de Paul Biya au multipartisme il est plus que constant que les opposants au gouvernement en place ont toujours eu une oreille plus qu’attentive du côté de Washington. Frisant souvent l’ingérence et l’incident diplomatique. L’on se souvient des prises de positions de l’ancienne ambassadeur Frances Cook au début des années 1990, qui avait pris fait et cause, et ce sans réserve aucune pour le candidat de l’Union pour le changement, Ni John Fru Ndi. Ne ratant pas une seule occasion pour brocarder en dictature sanguinaire le régime de Yaoundé, elle se fera le chantre du « changement » allant jusqu’à publier devant les services de son ambassade des résultats alternatifs de l’élection présidentielle d’octobre 1992 et qui donnaient Paul Biya perdant. Ces comportements et ses séjours récurrents à Ntarikon avaient même fait subodorer à d’aucuns des relations plus intimes avec certains hauts responsables du Social Democratic Front (Sdf). Depuis lors, de l’eau a coulé sous le pont, mais la réalité des rapports entres les gouvernants des deux pays n’a pas beaucoup évolué. Et les périodes comme celle du début des années 2000, marquée par un appui américain pour l’accession du Cameroun à l’initiative des pays pauvres et très endettés (Ippte) ou encore dans le cadre de l’accord de Greentree, ne peuvent être interprétées que comme des phases d’accalmie, largement dictées par la nouvelle pétrostratégie américaine au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et la recherche des soutiens dans le cadre de la guerre en Irak. La preuve, tout juste après, l’on a noté un activisme tous azimuts de l’ancien ambassadeur des Etats-Unis Niels Marquardt, qui avait largement contribué à vulgariser l’image d’un Cameroun extrêmement corrompu, et travailler avec fort enthousiasme pour l’avènement de l’alternance au Cameroun. Ainsi, les propos de l’actuel ambassadeur Peter Barlerin, appelant Paul Biya à la veille de la récente élection présidentielle à « penser à son héritage et à la façon dont il souhaite que les livres d’Histoire, qui seront lus par les générations futures, se souviennent de lui » en passant la main, n’ont rien d’innovant.

Des ONG américaines plus portées sur la condamnation que l’action sur le terrain

Ces pressions gouvernementales sont complétées par les actions des organisations non gouvernementales (Ong) américaines. En effet, en droite ligne de leur gouvernement, les Ong américaines sont constamment dans une posture de défiance vis-à-vis du gouvernement camerounais. Ainsi, tous les rapports de celles-ci, à l’instar de ceux de Transparency International, d’International Crisis Group, Human Rigths Watch et autre Open Society in West Africa (qui sont bel et bien américaines en dépit de leurs pays d’établissement) condamnent systématiquement le Cameroun, quel qu’en soit le sujet traité. Le plus notable dans ces rapports est qu’ils sont presqu’exclusivement élaborés sur la base des témoignages à charge des opposants au gouvernement de Yaoundé. Résultat, ils font souvent état des chiffres assez impressionnants et dont la vérification laisse plus que perplexe. Il en est ainsi des 1850 morts en 20 mois, allégués par International Crisis Group dans le cadre de la crise anglophone, que tout le monde semble avoir entériné sans ses poser des questions méthodologiques de base qui, indubitablement auraient amené à les relativiser très largement. L’autre aspect de ces Ong est que leurs activités se limitent le plus souvent à la condamnation sans que l’on ne perçoive des véritables actions sur le terrain. Le cas le plus illustratif étant celui du National Democratic Institut (Ndi) dont le département Afrique est dirigé par le camerounais Christopher Fomunyoh qui, en dehors de ses grandes déclarations dans les médias internationaux, n’a apporté aucun soutien substantiel à l’opposition camerounaise et n’a posé aucun acte fondamental pour le renforcement du processus de démocratisation au Cameroun depuis près de 30 ans. Situant ainsi les Etats-Unis aux antipodes de l’Union Européenne.

Rôle trouble dans La Crise anglophone

La crise qui prévaut depuis plus de trois ans dans les régions anglophones n’échappe pas à cette logique américaine au Cameroun. En effet, tout porte à croire que depuis le début, les autorités américaines ont pris fait et cause pour les mouvements indépendantistes. Tout d’abord, une rapide observation permet de constater que la très grande majorité des leaders et financiers des groupes sécessionnistes résident aux Etats-Unis, certains en possédant la nationalité. Et il est assez curieux qu’en dépit de la législation américaine sur le financement du terrorisme, et qui est souvent source de tracasseries pour les transferts de fonds pour les hommes d’affaires, ceux-ci mènent de manière plus que paisible leurs activités. Ensuite, bien que l’on puisse comprendre la préoccupation des américains pour le respect des droits de l’Homme dans le cadre de ce conflit, tout porte à croire que le pays de l’Oncle Sam tant à réduire les marges de manoeuvre des forces de défense et de sécurité. C’est ainsi que dans un premier temps, suite à l’activisme de certains parlementaires américains tel que Dick Durbin, les Etats-Unis ont décidé en février 2019 de réduire drastiquement leur aide militaire au Cameroun, et dont le fait le plus symbolique aura été le retrait des 300 soldats engagés au grand Nord dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Cette « sanction » est d’autant plus questionnable si l’on la met en parallèle avec ce qui se passe en Arabie Saoudite, au Yémen ou en Israël qui bénéficient d’un très large soutien militaire américain. Enfin, la résolution No H. res 358/ S1/116e Congres du sénat américain portée par Karen Bass déclare en substance que, « Résolu, que la Chambre des représentants : (1) condamne fermement les exactions commises dans les régions anglophones du Cameroun par les forces de sécurité et les groupes armés du gouvernement camerounais, notamment les exécutions extrajudiciaires et les détentions, l’utilisation de la force contre des civils et des manifestants non violents, ainsi que la violation des libertés de la presse, de l’expression Assemblée; (2) affirme que les États-Unis continuent de tenir le gouvernement du Cameroun pour responsable du respect des droits de tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions ou convictions politiques ou la région dans laquelle ils résident, conformément aux obligations internationales du Cameroun et à la propre Constitution du Cameroun; (3) exhorte toutes les parties, y compris les groupes d’opposition politique, à faire preuve de retenue et à veiller à ce que les manifestations restent pacifiques; (4) exhorte le gouvernement du Cameroun à: (A) engager un dialogue élargi sans conditions préalables et faire un effort de foi crédible pour travailler avec les chefs religieux et communautaires de la région anglophone afin de régler les griefs et de rechercher des solutions non violentes pour résoudre les conflits et des réformes constitutionnelles susceptibles de protéger les préoccupations des minorités, telles que reconstitution d’un système fédéral; (B) donner suite aux initiatives élaborées pour régler les griefs, y compris la Commission du bilinguisme et du multiculturalisme, le Ministère de la décentralisation et la Commission nationale pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration, qui n’offrent actuellement aucune preuve visible de leur rôle constructif pour résoudre la crise; (C) respecter les droits fondamentaux de tous les citoyens camerounais, y compris les militants politiques et les journalistes; (D) veiller à ce que toutes les opérations de sécurité soient menées conformément aux normes internationales des droits de l’Homme, notamment pour faire en sorte que les forces de sécurité n’utilisent la force que dans des circonstances appropriées; (E) enquêter de manière transparente sur toutes les allégations de violations des droits de l’Homme commises dans les régions anglophones et prendre les mesures nécessaires pour prévenir les détentions arbitraires, la torture, les disparitions forcées, les morts en détention et les conditions inhumaines des prisons; (F) inculper ou libérer rapidement toutes les personnes détenues dans le contexte de la crise anglophone, y compris les Camerounais renvoyés de force du Nigéria, et veiller à ce que tous les futurs détenus soient traités comme prévu, conformément au code pénal camerounais; (G) permettre un accès sans entrave aux travailleurs humanitaires et aux professionnels de la santé conformément aux principes humanitaires d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance; (H) libérer les dirigeants et les membres du parti du Mouvement de la Renaissance pour le Cameroun arrêtés à la suite de leurs manifestations pacifiques et veiller à ce que ce parti, comme les autres, puisse participer pleinement aux prochaines élections municipales, parlementaires et régionales; (I) libérer les défenseurs des droits de l’homme, les militants de la société civile, les prisonniers politiques, les journalistes, les syndicalistes, les enseignants et tout autre citoyen qui a été arrêté arbitrairement et détenu sans procès ni accusation; (J) veiller à ce que les détenus soient traités équitablement et humainement, dans le cadre de procédures judiciaires appropriées, notamment d’un registre des personnes détenues par les forces de sécurité camerounaises, et d’un accès sans restriction aux ressources judiciaires; et (K) veiller à ce que la législation antiterroriste du Cameroun ne soit utilisée que pour poursuivre des infractions qui seraient considérées comme des actes de terrorisme au regard des normes juridiques internationales, et cesser de recourir à cette législation pour sanctionner des activités protégées par des garanties nationales et internationales de la liberté d’expression, de réunion pacifique et association avec d’autres; et(5) exhorte les groupes séparatistes à: (A) engager un dialogue large, sans conditions préalables, avec les représentants du gouvernement camerounais, ainsi que la société civile et les chefs religieux, afin d’exprimer pacifiquement leurs griefs et de s’engager de manière crédible dans des efforts non-violents pour résoudre le conflit; (B) cesser immédiatement de commettre des violations des droits de l’Homme, notamment des meurtres de civils, l’utilisation d’enfants soldats, la torture, les enlèvements et l’extorsion de fonds; (C) mettre immédiatement fin au boycott de l’école et cesser les attaques contre les écoles, les enseignants et les responsables de l’éducation, et permettre le retour en toute sécurité de tous les élèves en classe; (D) mettre fin à l’incitation à la violence et aux discours de haine de la part de la diaspora; et (E) libérer immédiatement tous les civils illégalement détenus ou kidnappés dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud- Ouest. ». Une lecture, même rapide, de celle-ci permet de faire deux constats majeurs évidents : d’un côté l’incrimination systématique et drastique du gouvernement du Cameroun, et de l’autre, la quasi-protection des séparatistes qui sont mis sur le même pied d’égalité que les forces de défense et de sécurité du Cameroun. Ce qui traduit à suffisance la démarche globale américaine dans le cadre de cette crise et qui laisse quelque peu interloqué!

Par Moussa Njoya, politologue ( Défis Actuels No 400)

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