Mondial 90 : Le cadeau de Paul Biya divise

Relancé trente ans après sa promesse, le président de la république tient sa parole, mais oublie les entraîneurs. Entre temps, d’autres héros réclament leur part.

Trente ans après l’annonce, Paul Biya a enfin donné une suite à la promesse qu’il a faite aux Lions indomptables après leur épopée de la coupe du monde 1990. Le président de la République a ordonné à la Société immobilière du Cameroun (SIC) d’offrir 22 logements aux ambassadeurs du Cameroun à l’expédition italienne. Une lettre du ministre des Sports et de l’éducation physique (Minsep) Narcisse Mouelle Kombi aux joueurs ayant pris part à cette compétition, les en informe. Un ouf de soulagement pour les fauves d’Afrique centrale qui avaient forcé le respect du monde du football en terre italienne en neutralisant l’Argentine championne du monde d’entrée (1-0) sur un but de François Omam Biyik, avant de terminer sa marche en quarts de finale face à l’Angleterre (3-2). Paul Biya qui avait assisté à l’étouffement de Diégo Maradona en match d’ouverture, retournait dans un pays qu’il a laissé à feu et à sang. Le ballon rond ayant en partie réconcilié le pays en proies aux revendications politiques de la mouvance démocratique. Les héros d’Italie 90 seront reçus au Palais présidentiel pour être décorés, avec la promesse d’une maison pour chacun. Il aura fallu attendre trente ans. C’est une récompense qui arrive trente ans après, alors que nombre de ces héros sombrent dans la misère. Trois sont déjà décédés : Louis Paul Mfédé, Benjamin Massing et Stephen Tataw quelques jours après l’aboutissement du dossier. Alors qu’au sein de l’opinion, l’on dénonce cet « oubli », les bénéficiaires n’y voit que du positif : « Nous ne pouvons qu’être contents, c’est une reconnaissance suprême», a salué Roger Milla qui était de l’expédition. « Nous savions que le chef de l’Etat allait tenir cette promesse qu’il avait faite. Le chef de l’Etat n’oublie jamais de répondre quand un dossier est sur sa table», croit l’ambassadeur itinérant à la présidence de la République. L’auteur des deux doublés qui ont qualifié le Cameroun pour le second tour et pour les quarts de finale au micro d’Olympia sports, une émission produite et présentée par Bonney Philippe, sauvé déjà il y a une vingtaine d’années par Paul Biya, reconnaît tout de même sur le poste national que « nous avons profité de le 30ème anniversaire de cette Coupe du monde pour lui écrire afin de relancer le dossier».

Les entraîneurs à la touche

Entre temps, les entraîneurs sont abandonnés dans les annales de l’oubli. Les techniciens locaux qui ont accompagné Valeri Nepomniashchi n’auront rien. « On ne peut pas récompenser les joueurs en oubliant les entraîneurs qui ont contribué au succès de l’expédition », regrette un chroniqueur sportif. « En son temps, le ministre Joseph Fofé voulait que les entraîneurs soient aussi récompensés, mais certains au sommet de l’Etat n’étaient pas d’accord. Sauf qu’après le Mondial le ministre Fofé a été affecté comme ambassadeur en Centrafrique, et après il est décédé. Le dossier a été enterré…», rapporte cet ancien reporter de la radio nationale. Michel Kaham, Jules Frédéric Nyongha et Jean Pierre Sadi n’auront donc rien. Des sources ont attribué à Jules Nyongha et Michel Kaham une lettre adressée au président de la République pour solliciter réparation du tort. «C’est faux ! », crache Michel Kaham joint au téléphone. Avant de philosopher : « je ne confirme pas et je n’infirme pas. Comment a-t-on pu faire une telle division entre les acteurs d’une victoire ? On ne revient pas sur ce dossier. Nous sommes des adultes et nous sommes passés à autre chose».

Les médaillés d’or de Sydney aux abois

Si les techniciens de l’épopée italienne minimisent la portée de la discrimination, les autres générations de Lions indomptables s’y accrochent. Parmi les champions d’Afrique 2000 et 2002, et surtout les médaillés d’or olympiques. « Ça nous fait penser qu’il faut que nous aussi, nous attendions trente ou quarante ans quand certains d’entre nous seront déjà morts, pour pouvoir recevoir quoi que ce soit, comme reconnaissance de l’Etat», redoute Serge Branco, médaillé d’or des Jeux olympiques. « Quand je pense que notre consœur championne olympique Françoise Mbango a reçu une maison et une voiture de fonction pour sa médaille olympique, je me demande, pourquoi ce ‘’deux poids, deux mesures’’ ?», condamne celui qui salue pourtant le geste de Paul Biya. « S’il en est ainsi, moi j’aurais trois maisons ! Tous les anciens Lions n’ont pas eu le même parcours». Roger Milla intervient : «Qu’ils fassent leurs demandes. Les jeux olympiques c’était en 2000 ». En face, on essaie de calmer le jeu. Nul ne se risque à riposter à l’attaque du Vieux Lion. De toutes les façons, Serge Branco qui n’a pas voulu laisser le fer se refroidir avant de le battre a vite trouvé le moyen de trouver des accointances entre sa génération et celle des héros de 90. « Il n’y a pas de conflit entre générations. Nous respectons les aînés ; ils ont créé le Calif pour défendre leurs droits. C’est tout à fait légitime. On est content pour eux, on est d’accord avec eux. Nous aussi avons le droit de défendre les nôtres», reconnaît le porte-parole officieux des héros de Sydney 200. « C’est un problème d’après-carrières. Certains d’entre nous sont dans la précarité et dans dix ou quinze ans, nous serons dans la même situation que celles de certains de nos aînés de 1990 », recadre-t-il. «J’aimerais plutôt qu’on ait ce débat pour voir comment nos héros, les héros nationaux, après leurs fins de carrières, à leurs fins de vie, ne se retrouvent dans la précarité et ne meurent pas comme de petits chiens ? », tempère-t-il en rejetant la question de la reconnaissance de la nation.

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